1 100 milliards de dollars pour l’expansion du charbon

Sept ans après l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat, le charbon demeure une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre au monde, et met en péril le climat et la santé de millions de personnes.

Le secteur financier a une forte responsabilité dans l’échec collectif à organiser la sortie du secteur. Leurs financements, couvertures d’assurance, investissements et autres services financiers maintiennent à flot une industrie concurrencée par des renouvelables désormais plus compétitifs. Rien qu’entre octobre 2018 et octobre 2020, les banques ont accordé plus de 1 100 milliards de dollars aux entreprises du secteur. En janvier 2021, près de 4 500 investisseurs détenaient également 1 000 milliards de dollars en actions et obligations dans ces mêmes entreprises.

Reclaim Finance appelle les institutions financières à adopter une politique publique sur le charbon visant à aligner leurs services financiers avec l’objectif de 1,5°C. Ils doivent immédiatement mettre un terme à tous leurs services financiers visant à l’expansion du secteur. Par ailleurs, ils doivent adopter une stratégie soutenant la fermeture des infrastructures d’exploitation du charbon toujours en opération.

Les chiffres du charbon

0 %
de CO2 émis par le secteur énergétique
0
décès prématurés tous les ans
+ 0
nouvelles centrales à charbon devraient voir le jour

On dénombre environ 6 600 unités de production d’électricité à partir de charbon en opération. Le charbon représente encore plus du tiers de l’électricité produite dans le monde. De plus en plus d’Etats s’engagent vers une sortie du charbon, mais nous sommes loin du rythme de fermeture nécessaire pour contenir le réchauffement à 1,5°C.

Au contraire, les appels des scientifiques, des Nations Unies et de l’ l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) pour un arrêt de la construction de nouvelles centrales à charbon ont beau se succéder, la capacité mondiale de la production d’électricité à partir de charbon n’a cessé d’augmenter depuis que l’Accord de Paris a été adopté. On recense environ 1 000 nouvelles centrales à charbon en cours de développement, notamment en Asie. On ne construit pas ce type d’installations pour quelques années uniquement, mais bien pour 40 ou 50 ans; ce qui mènerait les nouvelles centrales à rester en opération bien au-delà de 2060.

Limiter le réchauffement à 1,5°C maximum ne sera possible qu’avec un arrêt total de la production d’électricité à partir de charbon, au plus tard en 2030 dans les pays européens et de l’OCDE, et en 2040 ailleurs dans le monde. Le secteur financier doit prendre ses responsabilités en renonçant à soutenir l’industrie du charbon.

Stopper l’expansion du charbon

Selon le Coal Policy Tool, notre outil d’évaluation des politiques d’exclusion du charbon, près de 300 institutions financières affichent désormais une politique restreignant leurs soutiens à l’industrie du charbon. Le problème, c’est que quantité ne rime pas toujours pas qualité.

Premièrement, malgré leurs politiques, de trop nombreux acteurs financiers peuvent continuer à soutenir le développement de mines et centrales à charbon. Les politiques tendent à exclure les entreprises en fonction de leur part d’activité existante dans le charbon, mais sans prendre en compte leurs plans de développement. Cela pose problème étant donné que plus de la moitié des entreprises du secteur, soit environ 500, prévoient encore des nouveaux projets charbon, tous incompatibles avec notre budget carbone 1,5°C et un air respirable.

Malgré le consensus croissant pour accélérer la sortie du charbon, aucune des alliances net zéro rassemblant les banques, assureurs, détenteurs et gestionnaires d’actifs n’exigent de ses membres qu’ils arrêtent de soutenir l’expansion du charbon. Notre analyse montre qu’après la COP26, une grande majorité des membres de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), listés dans le Coal Policy Tool, ne limitent pas leurs soutiens aux développeurs du charbon.

Deuxièmement, même quand les institutions financières adoptent les bons critères pour exclure les géants et développeurs de charbon de leurs portefeuilles, ils sont nombreux à ne pas appliquer leur politique à l’ensemble de leurs activités. C’est souvent le cas des gestionnaires d’actifs qui appliquent leur politique aux investissements sous gestion “active”, mais font l’impasse sur les investissements (croissants) sous gestion “passive”. Ce type d’approche à géométrie variable est révélateur de l’hypocrisie à l’œuvre.

Heureusement, certaines institutions financières montrent l’exemple : on recense désormais plus de 30 acteurs avec une politique charbon robuste. Ces bonnes pratiques sont identifiées comme telles dans le Coal Policy Tool de Reclaim.

Un équilibre à trouver entre dialogue et exclusion

Nous sommes convaincus qu’il faut faire les deux : il est vital de procéder à des exclusions pour faire pression sur le coût du capital, faire baisser la valeur boursière des activités fossiles et libérer des capitaux supplémentaires pour la transition. Dans le même temps, le dialogue, appelé engagement, est nécessaire pour faire évoluer les modèles d’entreprise, surtout dans les secteurs essentiels pour lesquels l’alternative manque et où il est plus difficile d’opérer des baisses d’émissions.

Cependant, l’engagement est devenu un terme très à la mode, et une excuse commode pour les institutions financières qui veulent éviter d’exclure des entreprises qui sont très loin d’être dans une démarche de transition.

Nous croyons que le dialogue avec les entreprises est un outil important à mobiliser, mais à condition de le muscler avec des demandes publiques significatives, assorties de délais, et d’une stratégie d’escalade avec des sanctions pour les entreprises qui ne répondent pas aux exigences. La perspective d’une exclusion est un pré-requis essentiel pour rendre l’engagement crédible. Dans le cas contraire, l’engagement ne signifie rien d’autre que le maintien du statu quo.

Dans un contexte d’urgence climatique et après des années d’alerte sur le charbon, nous pensons que le dialogue doit être réservé aux entreprises qui ne développent plus de nouveaux projets charbon et ne comptent pas parmi les plus gros poids lourds du secteur.

Des plans crédibles de sortie du charbon ?

Il faut planifier de toute urgence la sortie du charbon pour que la transition se fasse de manière progressive et juste pour les bassins d’emplois et les territoires concernés. Pourtant, fin 2021, moins de 5% des entreprises du secteur avaient publié un plan de sortie du charbon, et très peu de ces plans étaient jugés crédibles.

Un nombre croissant d’institutions financières reconnaissent la nécessité de sortir du charbon et appellent les entreprises à publier des plans de sortie. Au regard des enjeux sociaux et environnementaux, les institutions financières doivent s’assurer que ces plans sont bien crédibles et excluent bien toutes les entreprises qui s’entêtent dans la mauvaise direction :

  • Les entreprises qui développent de nouvelles capacités charbon
  • Les entreprises qui n’ont toujours pas prévu une sortie totale du charbon
  • Les entreprises qui prévoient de sortir du charbon mais trop tard
  • Les entreprises qui, au lieu de fermer leurs actifs charbon, les revendent ou opèrent une transition du charbon vers le gaz ou la biomasse
  • Les entreprises qui ne prennent pas les mesures nécessaires pour garantir une transition juste pour les travailleurs et les communautés locales

Reclaim Finance et Urgewald ont publié les 10 critères que les acteurs financiers devraient prendre en compte pour évaluer la crédibilité des plans de transition de leurs clients. Pour les aider à séparer le bon grain de l’ivraie, nous avons évalué les plans transition de plus de 40 entreprises du secteur. Verdict : fin 2021, 94% des plans que nous avons étudiés ne sont malheureusement pas crédibles.

Attention aux promesses creuses et non tenues

Près d’une trentaine d’institutions financières françaises ont désormais des politiques de sortie du charbon robustes et montrent l’exemple au reste de la place financière française et internationale. Mais il reste du pain sur la planche: dans leur dernier rapport publié en octobre 2021, les régulateurs français notent un “durcissement lent” des politiques charbon et pointent du doigt des zones de flou qui freinent l’applicabilité et l’impact des politiques. L’ACPR et l’AMF constatent de nouveau des imprécisions sur le périmètre d’application de la politique et le traitement réservé aux entreprises dotées d’une stratégie de transition jugée “crédible”. Ces préoccupations sont à prendre au sérieux et Reclaim Finance entend surveiller de près l’application des politiques.

De nombreux acteurs de la place financière de Paris n’ont toujours pas donné suite à l’engagement du 2 juillet 2019 visant à adopter (en principe avant la mi-2020) une politique de sortie du secteur du charbon. Natixis Investment Managers reste le dernier acteur à n’avoir toujours pas qui n’a pas de politique minimale charbon pour tous ses affiliés.

Plusieurs acteurs sont en retard et doivent encore améliorer leur politique, particulièrement concernant l’exclusion des développeurs de charbon ou l’adoption d’une stratégie de sortie du secteur : le ré/assureur SCOR et SMA.