Provocatrice est la question : peut-on protéger le climat tout en finançant Total ? Nombreux seront ceux qui y répondront par la négative. Et pourtant, si un nombre croissant d’acteurs financiers français s’engagent à atteindre la neutralité carbone (net-zero) et à aligner leurs activités avec l’objectif de 1,5°C, aucun ou presque n’a exclu la major de ses soutiens. Provocateurs ou tout simplement hypocrites ?

C’est ce que cherche à comprendre un rapport publié par Reclaim Finance et Greenpeace France intitulé « Total fait du Sale : La Finance Complice ? » Etant donné la responsabilité de Total dans les émissions de gaz à effet de serre et le dérèglement climatique au niveau international, la manière dont les acteurs financiers adaptent leur relation à Total SE (3) est un bon indicateur de la sincérité de leurs engagements en matière climatique et des défis qui sont liés à leur atteinte.

Etape 1 : faire le point sur Total et le climat

Le rapport fait d’abord l’état des lieux des engagements de Total sur le climat. Le groupe s’est engagé à investir massivement dans les énergies renouvelables. Il faut s’inquiéter de la part des fausses solutions comme la biomasse, mais les montants importants qui y sont investis appuient les efforts de communication de Total pour apparaître comme un groupe multi-énergies. Dans cette optique, Total a d’ailleurs annoncé qu’il soumettra au vote de ses actionnaires son changement de nom en TotalEnergies, lors de la prochaine assemblée générale.

Mais il faut les comparer aux autres chiffres et c’est là que le bât blesse : en 2020, Total a produit 447 unités d’énergies fossiles contre 1 d’énergies renouvelables – les énergies fossiles représentent ainsi plus de 99,7% de son mix. Cet ordre de grandeur devrait très peu changer sur les 10 années qu’il nous reste pour opérer les transformations nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5°C. En effet :

  • L’évolution de la production de Total dans les hydrocarbures nous amène vers une augmentation de + de 50% de cette dernière entre 2015 et 2030
  • En 2030, les émissions de CO2e de Total devraient excéder de 200Mt les émissions maximales autorisées sur une trajectoire à 1,5°C.
  • En 2030, 80% des investissements de Total seront toujours orientés vers les énergies fossiles.

Investir dans Total, c’est donc investir dans l’expansion des énergies fossiles et l’aggravation de la catastrophe climatique.

Etape 2 : étudier les options possibles

Les acteurs financiers pourront atteindre leurs objectifs climatiques de long terme à une condition : pousser Total à s’aligner rapidement sur des trajectoires de transition équivalentes. A défaut, ils doivent suspendre puis mettre un terme à leurs soutiens financiers à la major. D’après les Nations-Unies, la production de pétrole et de gaz doit baisser de 4 et 3% par an d’ici 2030 et les émissions de gaz à effet de serre doivent baisser de 7,6% par an d’ici 2030 afin de limiter le réchauffement à 1,5°C.

S’ils décident d’engager Total, banques, assureurs et investisseurs doivent donc demander à Total quels sont ses engagements en matière de réduction de sa production d’hydrocarbures et de baisse en absolu de ses émissions de gaz à effet de serre, sur toutes ses activités (scope 1+2+3). A l’heure actuelle, Total n’en a aucun.

Les acteurs financiers français sont aussi contraints de fixer dès maintenant des lignes rouges à Total : le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, a appelé tous les acteurs financiers à se doter de politiques de sortie des financements des gaz et pétrole non conventionnels. Or, Total c’est notamment 5 nouveaux projets en Arctique. Exiger de Total l’arrêt du développement de ce type de projets leur permettra de répondre à la demande du Ministre mais cette demande devra très vite être étendue à tous les projets d’énergies fossiles afin de répondre aux réalités scientifiques.

Etape 3 : passer à l’action

Car il leur faudra aussi adopter des politiques sur les gaz et pétrole non conventionnels dès cette année, les acteurs financiers doivent dès maintenant exiger de Total l’arrêt dans le développement de nouveaux projets dans les eaux profondes et en Arctique. L’arrêt du projet EACOP en Ouganda-Tanzanie devrait aussi faire partie des conditions à la provision de nouveaux soutiens.

Mais leur alignement sur les objectifs climatiques de l’Accord de Paris exige d’aller plus loin et notamment de ne plus soutenir les entreprises comme Total SE tant qu’elles n’ont pas renoncé à explorer ou à ouvrir de nouvelles réserves d’énergies fossiles, y compris à travers la construction d’infrastructures de transport comme les terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié.

Banques, assureurs et investisseurs doivent aussi conditionner leurs soutiens dès 2022 à l’adoption d’un plan de décarbonation de leurs activités aligné avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C. Les investisseurs de Total ont l’opportunité d’agir dès maintenant en vue de l’Assemblée générale de Total. Car Total communique déjà sur sa stratégie climat, un Say on Climate ne saurait être pertinent. En revanche, les actionnaires doivent déposer leur propre résolution afin d’influencer les termes du débat.

Plus particulièrement, ils doivent exiger de Total l’adoption d’objectifs de réduction, en valeur absolue, de ses émissions de gaz à effet de serre ; un alignement des investissements du groupe sur les objectifs climatiques de l’Accord de Paris ainsi qu’une pondération des compensations en fonction de l’atteinte de ces objectifs. En complément, ils doivent voter contre certains membres du conseil d’administration pour exprimer leur désaccord avec la stratégie climat.

Pour aller plus loin :