Le 16 juin, la gouverneure du Maine (États-Unis) Janet Mills a promulgué une nouvelle loi sur le désinvestissement des énergies fossiles. L’État du Maine, situé à l’extrême nord-est des États-Unis, devient la première juridiction en Amérique du Nord à imposer – par la loi – une sortie de toutes les énergies fossiles. Néanmoins, même si la loi impose au fonds de retraite des employés publics du Maine (Maine Public Employees Retirement System – MainePERS), qui gère 17 milliards de dollars d’actifs, et aux autres fonds publics, de sortir des énergies fossiles dans un délai de cinq ans, de nombreuses inconnues subsistent quant à la portée de cette loi et à sa mise en œuvre effective par MainePERS.

1. Ce qui est nouveau

L’assemblée législative de l’État du Maine a adopté le projet de loi LD 99, « Loi exigeant que l’État se désinvestisse des actifs investis dans les énergies fossiles », qui ordonne au trésorier d’État, ainsi qu’au fonds de pension MainePERS, de ne pas investir dans des titres de dettes ou des obligations d’entreprise émis par une entreprise du secteur des énergies fossiles. Le Trésorier d’État doit, conformément à des critères d’investissement sains et dans le respect de ses obligations fiduciaires, se défaire de ces participations et ne peut investir aucun actif dans ces actions, titres ou autres obligations. Le désinvestissement […] doit être achevé avant le 1er janvier 2026.

D’après les définitions retenues par le législateur :

  • « Énergies fossiles » : charbon, pétrole, gaz naturel ou tout dérivé du charbon, du pétrole ou du gaz naturel qui est utilisé comme combustible.
  • « Entreprise du secteur des énergies fossiles » définit toute entreprise qui :
    1. Fait partie des 200 sociétés publiques possédant les plus grandes réserves de combustibles fossiles au monde ;
    2. Fait partie des 30 plus grandes entreprises publiques propriétaires de centrales électriques au charbon dans le monde ;
    3. A pour activité principale la construction ou l’exploitation d’infrastructures liées aux énergies fossiles ;
    4. A pour activité principale l’exploration, l’extraction, le raffinage, le traitement ou la distribution d’énergies fossiles ;
    5. A plus de 50 % de ses revenus bruts provenant des définitions des sous-paragraphes (1), (2), (3) ou (4).
  • « Infrastructure liées aux énergies fossiles » : les puits de pétrole ou de gaz, les oléoducs ou gazoducs et les raffineries ; les centrales électriques alimentées au pétrole, au charbon ou au gaz ; les réservoirs de stockage de pétrole et de gaz ; les terminaux d’exportation de combustibles fossiles ; et toute autre infrastructure utilisée exclusivement pour les combustibles fossiles.

2. Notre analyse : une forte ambition mais de nombreuses inconnues

L’adoption de cette loi par l’État du Maine est une grande première aux États-Unis. En 2015, la Californie avait adopté une loi exigeant que les deux plus grands fonds de pension de l’État cèdent leurs participations dans les entreprises liées au charbon thermique, mais cette exigence ne concernait alors que l’extraction charbonnière. Aujourd’hui, l’État du Maine va beaucoup plus loin en excluant tout le charbon thermique (mines, centrales à charbon et infrastructures charbon), mais aussi le pétrole et le gaz dans son ensemble. Pour MainePERS, qui a actuellement plus de 1,3 milliard de dollars investis dans des entreprises du secteur des énergies fossiles, dont des dizaines de sociétés cotées en bourse comme ExxonMobil, Chevron, et ConocoPhillips, y compris 850 millions de dollars investis par le biais de fonds d’investissement privés, l’impact de cette décision est significatif. Jusqu’à présent, le fonds de pension n’avait pas de politique d’exclusion des énergies fossiles.

Cette avancée majeure, saluée par de nombreuses ONG, pourrait inspirer de nombreux législateurs à travers le monde. Néanmoins, certaines inconnues demeurent et rendent une sortie totale des énergies fossiles d’ici 2026 incertaine.

La principale inconnue est l’attitude de MainePERS. À ce jour, le fonds de pension n’a pas encore traduit cette législation en une politique sectorielle. Dans son témoignage devant le Sénat du Maine, Sandy Matheson, la directrice exécutive du fonds, était tout à fait opposée à la législation LD99. L’un des principaux arguments utilisés est l’obligation fiduciaire, qui oblige le fonds de pension à agir dans le meilleur intérêt de ses clients, ce qui, selon elle, ne serait pas compatible avec une sortie des énergies fossiles. Cependant, deux grands conseillers en investissement ont récemment fourni une approche fiduciaire prenant en compte la transition énergétique : BlackRock et Meketa montrent que le désinvestissement des énergies fossiles améliore, et non affaiblit, le rendement des investissements. Une analyse prospective montre que les entreprises du secteur des énergies fossiles sont exposées à d’importants risques réglementaires, technologiques et de marché. Le devoir fiduciaire n’est donc pas en contradiction avec une sortie des énergies fossiles, dans l’intérêt du client à long terme.

Dans ce contexte, MainePERS pourrait être tenté de profiter de certaines largesses de la loi pour minimiser l’impact du désinvestissement.

  • Le problème ne devrait pas se situer à l’Upstream (exploration et production) : le choix d’un top 200 des sociétés publiques ayant les plus grandes réserves permet de couvrir entre 97 % du secteur de l’exploration et de l’extraction pétrole-gazière et 98 % de l’extraction de charbon, selon The Carbon Underground 200.
  • À l’inverse, du côté de la production d’électricité à partir de charbon ou de gaz, la couverture est très fortement réduite. En n’excluant que les 30 plus grandes entreprises publiques propriétaires de centrales à charbon, MainePERS peut encore investir – en ne tenant compte que de ce critère d’exclusion – dans plus de 420 entreprises possédant des centrales à charbon, et surtout dans 254 entreprises qui prévoient de développer au moins 324 GW de nouvelles capacités de production d’électricité à partir du charbon, selon la Global Coal Exit List (GCEL). Ces chiffres ne tiennent pas compte des entreprises qui sont également impliquées dans l’extraction charbonnière et qui peuvent être exclues par un autre critère.
  • Il en va de même pour les centrales électriques au gaz : les critères d’exclusion définis par la loi, qui ne sont pas suffisamment précis, laissent une grande marge d’interprétation à MainePERS.
  • De plus, même si l’intention des points (3) et (4) est de s’assurer que les sociétés qui ne possèdent pas de réserves mais qui sont tout de même impliquées dans le secteur des énergies fossiles – comme Halliburton ou Schlumberger – soient également exclues, l’absence de définition de « l’activité principale » ou d’un seuil d’exclusion spécifique soulève des inquiétudes quant à l’interprétation restrictive qui pourrait être faite par le fonds de pension.

Enfin, une autre limite potentielle de la loi est qu’elle ne tient pas compte des entreprises qui prévoient de développer de nouveaux projets dans les énergies fossiles. Ainsi, MainePERS a toujours la possibilité d’investir dans une entreprise qui ne figure pas actuellement dans le top 200 – calculé sur les réserves existantes de combustibles fossiles – mais qui prévoit de développer un nouveau site de production de pétrole ou de gaz. Or, arrêter l’expansion du secteur des énergies fossiles doit être la priorité, comme l’a récemment démontré l’AIE. MainePERS doit donc s’engager à exclure toute entreprise prévoyant de développer un nouveau projet dans les secteurs du charbon, du pétrole ou du gaz.

Les scores de MainePERS dans le Coal Policy Tool


Ce tableau présente les scores de la politique charbon de MainePERS conformément aux 5 critères du Coal Policy Tool

Conclusion

L’État du Maine a adopté une loi très ambitieuse qui pourrait conduire à une sortie totale des énergies fossiles d’ici 2026. Toutefois, l’atteinte de cet objectif dépendra de l’application de la loi par le fonds de pension, qui semble actuellement plutôt sur la défensive. De nombreuses inconnues subsistent quant à la portée de la politique et la pression doit être maintenue sur MainePERS pour éviter toute (mauvaise) interprétation des seuils et des définitions spécifiés dans la loi. Affaire à suivre !

Pour aller plus loin :