La saison des assemblées générales (AG) des entreprises bat son plein. Plusieurs rendez-vous et votes cruciaux pour le climat se sont déjà déroulés, notamment chez les majors pétrolières et gazières européennes. A la mi-temps, le bilan est inquiétant. Recul du soutien aux résolutions climatiques déposées par les actionnaires, approbation massive de plans climat incomplets et incompatibles avec l’urgence climatique : l’engagement actionnarial tel qu’il est pratiqué aujourd’hui ne semble obtenir aucun résultat et se limiter à du “bla bla bla” comme le dénonce Sir Chris Hohn, pourtant à l’origine de l’initiative “Say on Climate” (1). Reclaim Finance appelle les investisseurs à réagir rapidement en votant contre les pseudo-plans climat présentés par Shell et TotalEnergies la semaine prochaine, ainsi qu’en sanctionnant les entreprises qui continuent à développer de nouveaux projets fossiles.
Mi-mai, cinq des sept majors pétro-gazières européennes ont déjà tenu leur AG – BP, Equinor, Eni et Repsol (2). D’autres AG cruciales pour le climat se sont également déroulées dans d’autres géographies (ConocoPhilips, Glencore, Santos, etc.).
Tirs croisés contre les résolutions climatiques déposées par les actionnaires
Les résolutions climatiques déposées par les actionnaires n’ont jamais été aussi nombreuses et confirment leur place comme outil central et marqueur d’une politique d’engagement efficace. Pourtant, aucune de celles présentées en 2022 n’a pour l’instant emporté une majorité des suffrages (3). Les résolutions demandant aux entreprises d’adopter des cibles climatiques compatibles avec l’Accord de Paris ou avec un objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5°C se heurtent à un plafond de verre. Si celles soutenues à 58% chez ConocoPhillips ou même à 61% chez Chevron l’année dernière avaient pu laisser espérer que le vent tournait enfin, il faut relativiser puisque ces résolutions demandaient simplement l’adoption de cibles de décarbonation, sans en préciser le niveau d’ambition.
Pire, le soutien des actionnaires à des résolutions climatiques ambitieuses s’effrite par rapport à 2021. Alors que 21% des votes avaient soutenu une proposition visant à fixer des cibles climatiques alignées sur l’accord de Paris chez BP en 2021, ce chiffre est tombé à 15% cette année. On observe la même tendance chez Equinor, où le soutien à une résolution identique s’est établi à 25%, en chute de 14 points par rapport à 2021 (39%). Même chose chez ConocoPhillips : certes, le soutien de 39% des actionnaires apporté une résolution ambitieuse demandant à l’entreprise d’adopter des cibles alignées avec l’Accord de Paris reste un des plus hauts taux jamais obtenus. Mais la dégringolade de près de 20 points par rapport à l’année dernière confirment une règle d’airain : les actionnaires veulent bien voter pour le climat… sauf quand cela devient trop sérieux et concret (4). Les dividendes d’abord, le climat ensuite.
Des actionnaires toujours complaisants sur le vote de pseudo plans “climat”
En parallèle, la plupart des actionnaires continuent à se porter caution de l’inaction climatique des entreprises. En votant massivement en faveur de plans “climat” à la fois incomplets et incompatibles avec l’urgence climatique, les investisseurs se font complices des stratégies pro-fossiles des entreprises et subvertissent l’esprit du “Say on Climate” pour le transformer en exercice de greenwashing.
Les investisseurs concluent eux-mêmes qu’aucune des entreprises, a fortiori aucune major pétrolière, ne dispose aujourd’hui d’un plan climat compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C (5). Pourtant 83% des actionnaires ont validé le pseudo plan climat de Repsol et 88,5% d’entre eux ont validé celui de BP. Si l’on devait résumer l’hypocrisie actuelle en un chiffre : 97% des actionnaires d’Equinor (au premier chef le gouvernement norvégien) ont plébiscité son plan climat alors que son Directeur général déclarait la veille vouloir forer du pétrole jusqu’à la dernière goutte (6).
En France, les résultats ne sont pas plus encourageants, 97% des actionnaires d’ENGIE ont approuvé la stratégie climatique de l’entreprise qui assume pourtant ne pas souhaiter s’aligner sur une trajectoire à 1,5°C et qui accumule un important retard par rapport à ses pairs (7).
On note toutefois quelques signaux positifs qui montrent qu’un petit groupe d’investisseurs progressistes refusent de se montrer complices de l’inaction climatique des entreprises. Pour la première fois, des investisseurs chefs de file de l’engagement pour Equinor et TotalEnergies à travers Climate Action 100+ ont “signalé” publiquement leur intention de voter contre les pseudo plans climat de ces entreprises (8). Une fronde commence à cibler les acteurs les plus en retard sur le climat : le géant minier Glencore a fédéré 24% des votes contre son plan climat (contre 6% seulement en 2021) et l’énergéticien Santos a obtenu un taux de rejet record (37%) sur le sien.
L’engagement actionnarial est confronté à une véritable crise de crédibilité. Face aux discours louant “l’accompagnement de la transition” et condamnant le désinvestissement, un nombre croissant d’acteurs perdent foi dans l’utilité de l’engagement et désinvestissent des entreprises fossiles (9). Plus frappant, Sir Chris Hohn, qui a pourtant lancé l’idée des “Say on Climate”, a vertement critiqué l’absence d’efficacité de l’engagement déclarant que “tout cet engagement n’a rien fait avancer, nous nous berçons d’illusions et trahissons nos clients [détenteurs d’actifs] et nos enfants lorsque nous prétendons que l’engagement a obtenu des résultats”. A la mi-temps des AG, les investisseurs disposent d’une ultime opportunité pour prouver la réalité de l’engagement: voter contre les pseudo plans “climat” défaillants présentés par Shell et TotalEnergies lors de leurs AG des 24 et 25 mai prochains. Une dizaine d’investisseurs ont déjà annoncé leur intention de le faire (10).