L’AIE DESSINE UN MONDE A +3°C

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est l’institution de référence sur l’état du climat et sur les efforts à effectuer dans les différents secteurs afin de limiter le réchauffement sous le seuil critique de 1,5°C.

Mais bien que le GIEC établisse des scénarios de transition, c’est à partir des scénarios de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) – institution de référence pour la projection de l’offre et de la demande en énergie par pays et au niveau international – que sont prises la majorité des décisions politiques et financières en matière énergétique.

Tous les scénarios de l’AIE n’ont pas la même influence sur les décisions prises. Seuls ceux mis en avant par le World Energy Outlook (WEO), la bible que publie l’AIE tous les ans, jouent un rôle phare dans l’orientation des investisseurs. Or, il s’agit aujourd’hui d’un scénario business as usual. Celui-ci provoquerait un réchauffement supérieur à 3°C. En plaçant un tel scénario au centre du WEO, l’AIE nous guide sur une trajectoire que l’on sait pourtant devoir éviter.

Reclaim Finance appelle les acteurs politiques et financiers à exiger de l’AIE l’élaboration et l’intégration dans le World Energy Outlook d’un scénario 1,5°C, avec une approche prudente vis-à-vis des technologies à émissions négatives. En attendant, Reclaim Finance appelle les acteurs financiers à retenir les scénarios 1,5°C les plus réalistes et ambitieux du GIEC.

L’AIE trace une trajectoire +3°C

L’Accord de Paris vise à maintenir le réchauffement climatique “bien en dessous de 2°C et aussi près que possible de 1,5°C”. Le rapport spécial du GIEC sur un réchauffement de 1,5 °C a souligné l’importance de viser ce seuil plus strict afin d’éviter les pires conséquences sociales et environnementales du changement climatique. Cela nécessite de réduire d’au moins de moitié les émissions de carbone au cours de la prochaine décennie et d’atteindre un niveau nul d’émissions d’ici 2050 au plus tard. Atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 nous donnerait en effet uniquement 50% de chances de rester sous 1,5°C.

Or, loin de viser une trajectoire 1,5°C, le World Energy Outlook de l’AIE se concentre sur un scénario intitulé STEPS – Stated Policies Scenario (anciennement le New Policies Scenario – NPS). Ce scénario provoquerait un réchauffement supérieur à 3°C. Un autre scénario est également mentionné, le SDS – Sustainable Development Scenario. Mais ce scénario ne permettrait pas non plus de limiter le réchauffement à 1,5°C.

L’AIE parie sur des

technologies non existantes

Un des biais majeurs de l’AIE est de sous-estimer systématiquement le développement des renouvelables. Au contraire, l’AIE mise sur le développement du nucléaire et de technologies encore inexistantes. Parmi elles se trouvent les technologies à émissions négatives qui permettraient de dépasser les seuils de réchauffement, temporairement, avant d’y revenir. Un pari extrêmement risqué.

Tout d’abord, il faut rappeler les grandes incertitudes qui continuent de peser sur une possible application du captage et du stockage du carbone (CSC) dans les secteurs d’utilisation finale du pétrole et du gaz, par exemple dans la production d’électricité, les transports, le chauffage et le refroidissement dans le secteur résidentiel.

De plus, la majorité des technologies envisagées, comme la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECCS), n’existe pas du tout. Enfin, les scientifiques du Conseil consultatif scientifique des académies européennes avertissent déjà que si elles « peuvent jouer un rôle utile », les informations actuelles montrent qu’elles seront insuffisantes « pour compenser les mesures d’atténuation inadéquates ».

Le bon choix est donc d’éviter en amont d’émettre des gaz à effet de serre.

Les acteurs financiers et politiques doivent mettre la pression sur l’AIE

En utilisant le SDS et plus généralement le WEO pour évaluer les entreprises et établir des tests de résistance aux risques climatiques, les investisseurs et acteurs financiers sous estiment les risques de transition liés à ces entreprises.

Car on ne saurait conduire dans le noir, les institutions financières et les gouvernements actionnaires de l’AIE dont la France fait partie doivent ensemble appeler l’agence internationale à élaborer un scénario 1,5°C avec une approche prudente vis-à-vis des technologies à émissions négatives, et à en faire la référence centrale du World Energy Outlook.

C’est exactement ce qu’un grand groupe d’investisseurs représentant plus de 33 000 milliards de dollars sous gestion a fait en avril 2019 puis en mai 2020. Ils ont signé un appel à l’AIE, précisant que ce scénario devrait inclure une probabilité raisonnable – 66 % – de limiter le réchauffement à 1,5 °C et un horizon temporel plus long – au-delà de 2040.

Aucun acteur financier français ne faisait partie des signataires, une ironie quand on sait que l’AIE est localisée à Paris.

Le silence des acteurs français vis-à-vis de l’AIE est d’autant plus inadmissible qu’ils sont nombreux, à l’instar de Société Générale, à se référer aux scénarios de l’AIE pour justifier leurs soutiens massifs aux énergies fossiles et inaction face à l’urgence climatique.