En février 2021, la major pétrolière et gazière TotalEnergies annonçait que toute la dette qu’elle émettrait désormais sur les marchés serait « climate-KPI linked ».

  • Se cachant derrière une stratégie climaticide, TotalEnergies tente d’utiliser le nouvel engouement pour les ‘sustainability-linked bonds’ (SLBs) (1) pour financer ses projets d’expansion dans les énergies fossiles.
  • Alors que TotalEnergies organise actuellement sa Journée Investisseurs, Reclaim Finance a envoyé à une centaine de banques et d’investisseurs un briefing remettant en cause le mythe selon lequel les obligations ‘durables’ (SLBs) de TotalEnergies seraient véritablement le moteur de la décarbonisation de l’entreprise.

Avec les plus de 68 000 signataires de la pétition de SumOfUs (lancée le lundi 27 septembre), nous appelons les institutions financières à respecter leurs propres engagements climatiques et à s’engager publiquement à ne pas acheter ou arranger les prochaines obligations de TotalEnergies.

Un nouveau gadget marketing ?

Les obligations « durables » (Sustainability-Linked Bonds, SLB) ont connu un essor important l’année dernière, suite à leur lancement en 2019. Contrairement aux obligations vertes ou de transition, destinées à financer des projets spécifiques, l’utilisation des fonds du SLB n’est pas dédiée et soutient indistinctement l’ensemble de la stratégie de l’entreprise. La seule condition pour émettre de telles obligations est que l’émetteur s’engage à atteindre des objectifs de durabilité spécifiques fixés par… lui-même. Et c’est bien là que le processus coince.
Ces éléments suffisent à comprendre le risque que les SLB servent de simples gadgets marketing visant à justifier le soutien financier à des secteurs polluants. Si ces obligations ne sont pas liées à des indicateurs clés de performance (KPIs) et à des objectifs robustes et ambitieux alignés sur ceux de l’Accord de Paris, mais qu’elles sont émises par des entreprises qui développent encore des activités incompatibles avec une trajectoire 1,5°C, les SLB entreront dans la catégorie des outils qui retardent l’action climatique. Par le passé, de nombreux SLB ont déjà rejoint cette catégorie, comme ceux émis par le champion des sables bitumineux Enbridge ou du destructeur de l’Amazonie JBS – et soutenus par de nombreuses institutions financières. (2)

L’expansion du gaz fossile financée par de la dette « durable »

Qu’en est-il des obligations « climate-KPI » de TotalEnergies ? La peinture du plan « climat » récemment adopté par TotalEnergies est encore fraîche et l’on peut s’attendre à ce que la major pétrolière et gazière fonde les KPI de ses futures obligations sur les trois objectifs qui s’y trouvent. Pourtant, bien que notre briefing examine en détail ces objectifs, il n’est pas nécessaire de le faire pour se rendre compte que les SLB à venir de TotalEnergies pourraient être du pur greenwashing.
TotalEnergies prévoit de continuer à affecter 80 % de ses dépenses d’investissement au pétrole et au gaz dans 10 ans. Et alors que le rapport « production gap » de l’ONU et le scénario net zéro de l’AIE indiquent tous deux la nécessité de réduire la production des énergies fossiles et de cesser de développer de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, TotalEnergies prévoit une croissance d’environ 40% de sa production de gaz entre 2020 et 2030. Le SLB de TotalEnergies sera donc susceptible de soutenir une stratégie d’entreprise en désaccord avec la science climatique et en contradiction avec les appels récents du GIEC et de l’UNEP sur la nécessité de réduire de façon urgente les émissions de méthane au cours des 10 prochaines années.
Les objectifs climatiques actuels de TotalEnergies permettent le développement de nouveaux champs et projets pétroliers et gaziers, en violation flagrante avec la science climatique. Alors que TotalEnergies vise une réduction peu ambitieuse de 20 % de l’intensité carbone de ses produits d’ici à 2030, il lui faudrait atteindre un objectif de réduction de 90 % d’ici à 2050 pour s’aligner sur un scénario 1,5 °C. La major doit également encore quantifier l’objectif de réduction de ses émissions absolues du scope 3. Enfin, sa dépendance à l’égard de la compensation et des technologies de capture et de stockage du carbone doit également être clarifiée.

Les banques et les investisseurs sous les projecteurs

Il ne fait aucun doute que la major pétrolière et gazière atteindra ses objectifs climatiques actuels. Alors que BlackRock a déclaré que les objectifs de TotalEnergies « semblent cohérents avec les objectifs de l’Accord de Paris », Amundi et AXA ont quant à eux signé une déclaration de l’IIGCC qui mentionne leurs nombreuses lacunes, et notamment leurs non alignement sur le scénario Net Zero de l’AIE. Ils ont également souligné avoir voté en faveur du plan « climat » insuffisant de la major parce qu’ils étaient convaincus qu’il s’agissait d’une première étape vers l’adoption d’objectifs plus ambitieux. S’il est probable que ces objectifs seront revus bien avant que le SLB n’arrive à maturité, rien ne garantit que les KPI du SLB seront revus à court terme pour s’aligner sur de nouveaux engagements.
L’émission de SLB sur la base des objectifs fixés dans cette stratégie serait un jeu de dupes. Sans réelle incitation financière, le principe même des SLB serait trahi et les SLB de TotalEnergies apparaîtraient comme un moyen pour les investisseurs de justifier le maintien d’un soutien financier à l’un des 20 premiers émetteurs de CO2 mondiaux.

La première émission de SLB de TotalEnergies constituera un test important pour les investisseurs et les banques, en particulier pour celles qui se sont engagées à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Alors que l’urgence climatique exige des institutions financières qu’elles conditionnent tous leurs services financiers à la fin des nouveaux projets de pétrole et de gaz, soutenir les prochains titres de TotalEnergies nuira à leur crédibilité en matière de durabilité. Dans une nouvelle pétition, SumOfUs appelle certains des plus grands détenteurs d’obligations de TotalEnergies, dont BlackRock, Amundi, UBS ou AXA, à ne pas acheter ces SLB. De même, la décision des banques impliquées dans les précédentes émissions obligataires de TotalEnergies, telles que Natixis, Société Générale, BNP Paribas ou Credit Suisse, sera suivie de près par Reclaim Finance et ses partenaires.

Notes :

  1. Un Sustainability-Linked Bond est un emprunt obligataire dont les caractéristiques, notamment financières, peuvent varier selon que l’émetteur atteint ou non des objectifs préalablement définis en matière environnementale, sociale et/ou de gouvernance.
  2. La liste des banques impliquées dans ces obligations : Bank of America, Barclays, Bradesco BBI, BTG Pactual, Citigroup, Credit Suisse, JP Morgan, Mizuho, Santander, SMBC et XP.

Pour aller plus loin :