Hier, TotalEnergies rendait public le détail des votes des résolutions présentées lors de son assemblée générale (AG) du 25 mai dernier. L’occasion de revenir en détail sur ces résultats qui marquent l’échec de l’engagement actionnarial et consacrent la complicité des actionnaires face aux stratégies climaticides des majors pétro-gazières. En contradiction avec leurs engagements sur la nécessité d’accompagner la transition écologique des entreprises, de grands investisseurs comme BlackRock ou encore Allianz n’ont même pas trouvé le courage – ou l’envie – de s’opposer au plan climat défaillant de TotalEnergies à travers un simple vote consultatif. Dans les prochaines semaines, Reclaim Finance continuera à analyser le détail des votes de chaque investisseur et à pointer du doigt les hypocrisies, lâchetés et complicités qui minent la crédibilité et l’efficacité de l’engagement actionnarial.

Un échec cinglant pour le climat et pour l’engagement actionnarial

Après avoir été validé à 92% en 2021, le plan climat présenté par TotalEnergies a recueilli 89% de voix favorables cette année. Cette faible érosion du taux de soutien des actionnaires (- 3 points) marque un statu quo : les actionnaires continuent de plébisciter une stratégie climatique pourtant fondamentalement incompatible avec l’urgence climatique. Le résultat du vote chez TotalEnergies vient ainsi confirmer la tendance qui se dégageait des AG des autres majors pétrolières européennes. (1)

En prenant en compte l’abstention, le taux de soutien au plan climat de TotalEnergies augmente même légèrement entre 2021 et 2022. Il s’établissait à 82,8% l’année dernière (7,3% de votes contre et 9,9% d’abstention) et atteint 83,8% cette année (11,1% de votes contre et 5,7% d’abstention). Ces chiffres montrent que l’augmentation du taux de rejet du plan climat de TotalEnergies est entièrement due au basculement dans l’opposition de certains investisseurs qui s’étaient abstenus l’année dernière (2) : aucun des principaux actionnaires de TotalEnergies ne semble avoir retiré son soutien à la stratégie climatique de l’entreprise.

Les résultats des votes chez TotalEnergies confirment l’échec de l’engagement actionnarial vis-à-vis des majors pétro-gazières. Alors que le PDG de l’entreprise a dénoncé les “tartuffes” qui, en votant contre son plan climat, faisaient “le marketing de leurs actions sur le dos [de TotalEnergies]” on peut légitimement se demander si ce ne serait pas plutôt l’inverse : le Say on Climate devient un outil de marketing creux au service du greenwashing des entreprises et de leurs actionnaires complices. A l’instar du travail en cours au Royaume-Uni, la dernière option pour sauvegarder la crédibilité des Say on Climate consisterait à les rendre obligatoires et à encadrer très précisément le contenu par la loi.

De premiers investisseurs complices

Les positions de vote individuelles des investisseurs commencent à être publiées. Elles mettent en avant l’hypocrisie et la complicité d’investisseurs qui sont davantage soucieux de se donner l’apparence d’une action climatique que d’agir réellement – quand bien même à travers un simple vote consultatif.

Il est déjà certain qu’Allianz Global Investors, filiale de l’assureur Allianz et l’un des premiers investisseurs à rendre public ses votes, a voté en faveur du pseudo-plan climat de TotalEnergies (3). L’investisseur a aussi soutenu les plans climat défaillants de Repsol, BP et Shell. Le géant américain Blackrock a également publié ses bulletins de vote qui montrent qu’il a soutenu le plan climat défaillant de TotalEnergies – ainsi que ceux de Shell et Equinor (4).

La position de BlackRock n’est pas surprenante dans la mesure où l’investisseur américain avait déjà soutenu les plans climat de TotalEnergies et Shell  en 2021 et avait annoncé qu’il soutiendrait un nombre plus réduit de résolutions climatiques actionnariales cette année. En revanche, la position d’Allianz est beaucoup plus surprenante, voire hypocrite, dans la mesure où Allianz s’est récemment engagé à ne plus assurer de nouveaux projets pétroliers et gaziers mais… apporte donc ses suffrages à des acteurs qui développent de tels projets – dont TotalEnergies, premier développeur fossile européen et septième au niveau mondial.

Les arguments avancés par l’investisseur pour justifier leur soutien indéfectible à TotalEnergies – et autres majors sont très faibles.

  • Selon BlackRock, TotalEnergies se conformerait au cadre de reporting TCFD – ce que l’analyse de Climate Action 100+, dont BlackRock est membre, invalide pourtant. Le géant américain salue également la multiplication de nouvelles cibles climatiques – sur le méthane, le Scope 3 pétrole, etc. – en taisant sciemment le fait que les émissions globales de TotalEnergies n’ont pas diminué depuis 2015 et diminueront à peine d’ici à 2030. BlackRock salue enfin les investissements “résilients à la transition” de TotalEnergies… en citant le développement d’actifs bruns comme le gaz naturel liquéfié (5) et en oubliant que 70% des dépenses d’investissements de l’entreprise restent dédiées aux énergies fossiles (y compris pour l’exploration et le développement de nouveaux projets).
  • Du côté d’Allianz GI, aucune explication n’est donnée pour motiver le soutien de l’investisseur au plan climat de TotalEnergies. En revanche, Allianz GI offre quelques arguments pour justifier son soutien au plan de Shell, saluant notamment “l’évolution significative du portefeuille, de la stratégie et de l’allocation des investissements vers un alignement sur la transition énergétique”. Comme pour TotalEnergies, cet argument ne tient pas puisque l’entreprise – comme la totalité des majors pétrolières – continue d’affecter l’écrasante majorité de ses investissements aux énergies fossiles, y compris pour l’exploration et le développement de nouveaux projets.

Quelques signes encourageants

Malgré ce résultat globalement négatif, l’AG de TotalEnergies a fait apparaître quelques tendances et signes positifs :

  • Un début de mise en cause de la responsabilité des administrateurs – Ils ont été renouvelés avec 93% de soutien des actionnaires en moyenne, soit -6 points par rapport à leur dernier renouvellement en 2019. Cela montre que certains actionnaires commencent à les tenir responsables de l’inaction climatique de TotalEnergies.
  • La consolidation d’un groupe d’actionnaires certes minoritaires mais réellement engagés pour le climat. Au-delà du dépôt de deux résolutions climatiques, l’AG 2022 de TotalEnergies a vu un nombre croissant de pré-déclarations de votes (6) et plusieurs investisseurs importants voter contre le plan climat de l’entreprise. Alors que Crédit Mutuel annonçait la semaine dernière son vote contre cette résolution, Ostrum confirme cette semaine s’y être également opposé, en parfaite cohérence avec sa politique pétrole et gaz. (7)
  • Une mobilisation citoyenne sans précédent s’est saisie de la question, a priori technique, du Say on Climate de TotalEnergies et commence à tenir les actionnaires responsables de l’inaction climatique des entreprises dans lesquelles ils investissent.

Après les assemblées générales de Repsol, Equinor, BP et Shell – qui ont toutes vues les actionnaires approuver massivement des plans climat défaillants, souvent au détriment de résolutions actionnariales plus ambitieuses – les résultats de l’assemblée générale de TotalEnergies interrogent sur la volonté et la capacité des investisseurs à pousser la transition du secteur pétro-gazier. Dans les prochaines semaines Reclaim Finance continuera à analyser en détail les votes des investisseurs sur ces résolutions afin de mettre en avant leur hypocrisie, leur complicité et leur lâcheté face à des entreprises qui refusent de se transformer.

Notes :

  1. Voir notre bilan à mi-parcours de la saison des AG ainsi que notre analyse des résultats de l’AG de Shell.
  2. Comme c’est par exemple le cas des Assurances du Crédit Mutuel et de Crédit Mutuel AM qui s’étaient abstenus l’année dernière et se sont opposés au plan climat de TotalEnergies cette année.
  3. Le détail des votes d’Allianz GI peut être consulté ici.
  4. Et contre la plupart des résolutions climatiques déposées par des actionnaires. Le détail des votes et analyses de BlackRock est disponible ici.
  5. Alors que les émissions du GNL sur l’ensemble de son cycle de vie peuvent parfois être supérieures à celles du charbon.
  6. Y compris de la part d’un investisseur “chef de file” pour l’engagement de TotalEnergies au travers de Climate Action 100+, qui a signalé publiquement cette résolution et son vote contre au reste des membres.
  7. Le détail des votes d’Ostrum peut être consulté ici.