Les labels français Investissement Socialement Responsable (ISR) et Greenfin sont en cours de révision. C’est une bonne chose. Même si elles ne révolutionneront pas les pratiques des acteurs financiers, elles pourraient contribuer à limiter le greenwashing dans les fonds labellisés. Car les labels restent les outils les plus simples à la disposition des épargnants pour s’y retrouver parmi la myriade de produits financiers. Alors qu’un nombre croissant de ces épargnants souhaitent des produits bons pour le climat, la place des entreprises du charbon, du gaz et du pétrole dans les labels soulève à juste titre de nombreux débats. Reclaim Finance propose plusieurs critères garantissant l’intégrité du label Greenfin et intégrant enfin des exclusions minimums sur les énergies fossiles pour le label ISR.

Labels français, une évolution nécessaire

En France, la finance dite « durable » est accessible aux épargnants via deux labels principaux créés entre la fin 2015 et début 2016 : le label ISR, qui « vise à concilier performance économique et impact social et environnemental » ; et le label Greenfin, qui doit garantir la « qualité verte » des fonds. Le label ISR a pu bénéficier de son faible niveau d’exigences pour se diffuser progressivement, jusqu’à réunir 982 fonds et 659 milliards d’euros d’encours en avril 2022 (soit plus de 15% des encours totaux français), bien plus que les 31 milliards d’euros d’encours réunis dans 84 fonds labellisés Greenfin à la même date.

Le manque de contraintes du label ISR a un revers : la perte en crédibilité. Alors que les fonds ISR étaient déjà critiqués il y a plus de 10 ans, le label ISR n’a pas remédié à leur principal défaut : la préférence donnée à une approche “best in class” qui refuse d’exclure des activités ou secteurs par nature non durables. Ainsi, le label ISR français se distingue des autres grands labels européens par l’absence de critères excluant les énergies fossiles. Et de fait, comme démontré par Reclaim Finance dans un rapport publié en 2020, nombreux sont les fonds labelisés ISR qui comprennent des entreprises du secteur fossile. Un mois plus tard, l’Inspection Générale des Finances dressait un constat sévère et appelait à la transformation radicale du label. Elle alertait sur « une perte inéluctable de crédibilité et de pertinence », notamment due à une « promesse confuse » et une absence d’impact en matière de durabilité.

Or la majorité des épargnants souhaite désormais connaître l’utilisation de son épargne et refuse de soutenir des activités aux impacts environnementaux et humains néfastes. La France a donc tout intérêt à clarifier le positionnement et l’impact de ses labels en assurant un socle minimal d’exigence en matière de durabilité, afin de répondre également aux inquiétudes sur l’explosion des fonds “verts” ou “durables” n’offrant aucune garantie en la matière (1).

Le label Greenfin doit rester la référence pour des activités vertes

Le label Greenfin vise à proposer un produit « vert » aux épargnants et a donc des exigences environnementales plus fortes que le label ISR. Les entreprises des énergies fossiles, qui contribuent massivement au réchauffement de la planète et sont souvent directement responsables de désastres environnementaux et humains, en sont donc à juste titre exclues depuis sa création. A l’heure actuelle, ce label exclut toutes les entreprises dont plus de 5% du chiffre d’affaires provient des énergies fossiles (2).

Il est absolument nécessaire de maintenir un label Greenfin intègre – dans lequel les activités controversées et non durables ne sont pas acceptées (énergies fossiles, mais aussi nucléaire ou encore biomasse) (3).

Par ailleurs, une inclusion future du nucléaire et/ou du gaz, dans une perspective de rapprochement avec la taxonomie, décrédibiliserait fondamentalement le label. La décision d’inclusion de ces énergies dans la taxonomie est le produit d’un arbitrage politique et s’est faite contre l’avis des experts finance durable européens. De plus, ces énergies n’y sont pas considérées comme durables mais y sont qualifiées d’activités de transition. Elles sont d’ailleurs depuis longtemps exclues des principaux labels verts.

Le label ISR ne doit plus fermer les yeux sur les impacts des énergies fossiles

Si le label ISR n’a pas l’objectif “vert” propre au label Greenfin, sa révision est toutefois indispensable afin de garantir l’exclusion des activités les plus nocives pour l’environnement, le climat et la biodiversité et de donner des gages aux épargnants désireux de soutenir, ou a minima de ne pas bloquer, la transition (4).

Les travaux de l’ Agence international de l’énergie (AIE), du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et des Nations Unies le montrent, nous n’avons pas la place dans un scénario de réchauffement à 1.5°C pour de nouveaux projets de production d’énergies fossiles ni pour tout nouveau projet lié au charbon. L’ISR doit donc à minima signifier ne pas investir dans des entreprises développant des activités strictement incompatibles avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1.5°C, au premier plan desquelles se trouvent les entreprises qui ouvrent de nouveaux champs pétroliers et gaziers ou développent des projets dans le secteur du charbon.

Le label ISR doit également être en phase avec les ambitions de la Place financière de Paris en matière de finance durable et les attentes du gouvernement français (5). Il doit donc à minima intégrer des critères d’exclusion des entreprises significativement impliquées dans le charbon et les hydrocarbures non conventionnels.

Reclaim Finance propose donc l’ajout des critères suivants au label ISR :

  • L’exclusion de toute entreprise qui développe un ou plusieurs nouveaux projets de production d’énergies fossiles ou d’électricité à partir de charbon ;
  • L’exclusion de toute entreprise significativement impliquée dans le secteur du charbon (plus de 20% des revenus et/ou de la production ; plus de 10 Mt ou 5 GW de production) ;
  • L’exclusion de toute entreprise significativement impliquée dans les pétroles et gaz non conventionnels (20% de la production provenant des pétroles et gaz non conventionnels) (6) ;
  • L’exclusion de toute entreprise qui n’a pas adopté d’ici 2024 un plan de transition détaillé comprenant notamment i) des cibles de baisse des émissions à court (2025) et moyen-terme (2030) – assorties d’un calendrier de sortie des énergies fossiles et d’une trajectoire de diminution de leur production – alignées sur une trajectoire de 1.5°C, ii) un engagement à aligner les dépenses d’investissement sur cet objectif et iii) une présentation du scénario climatique et hypothèses (émissions compensées, capturées, etc.) sur lesquels ces cibles s’appuient.

En suivant ces critères, le label ISR donnerait aux épargnants une garantie d’exclusion des entreprises des énergies fossiles aux pratiques particulièrement nocives et incompatibles avec la limitation du réchauffement à 1.5°C, méritant ainsi davantage sa qualification de “responsable”. Le label Greenfin resterait lui la référence pour un investissement dirigé vers des activités « vertes » et excluant les activités polluantes dès aujourd’hui. Notons que, afin d’intégrer les dernières conclusions scientifiques, le label ISR devrait être révisé tous les deux ans.

Notes :

  1. Notamment suite à l’adoption de la réglementation européenne SFDR, qui n’établit pas de standards ESG minimums.
  2. Couvrant toute la chaine de valeur : production, transport, fourniture, distribution production d’électricité.
  3. Conformément aux travaux du GIEC, de l’AIE et aux éléments scientifiques, tout assouplissement potentiel des critères du label doit impérativement s’accompagner de garanties à minima concernant les nouveaux projets d’énergies fossiles et donc l’exclusion des entreprises qui les développent. Il s’agirait d’exclure les entreprises qui développent de nouveaux projets de production (exploration, extraction, raffinage) de pétrole, gaz, charbon ou d’électricité à partir de ces énergies fossiles ainsi que celles qui développent de nouveaux projets de transport de pétrole, gaz ou charbon. Les entreprises développant des projets charbon et/ou pétroliers et gaziers sont identifiés dans la Global Coal Exit List et Global Oil and Gas Exit List.
  4. En suivant les critères d’exclusion que nous présentons ci-dessous, d’autres activités incompatibles avec les objectifs climatiques pourraient se retrouver présentes dans des produits labellisés ISR. Il s’agit ici néanmoins dès à présent d’assurer l’exclusion des plus nocives d’entre elles, en vue d’un renforcement ultérieur.
  5. Bruno Le Maire invitait en 2020 le secteur financier à sortir progressivement des hydrocarbures non conventionnels, après avoir lancé un appel similaire sur la sortie du charbon en 2018. Les acteurs financiers français se sont par la suite dotés de politiques sectorielles couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur liée au charbon et se sont plus récemment mis en ordre de marche pour répliquer la démarche sur les pétrole et gaz non conventionnels. L’AMF et l’ACPR pointent toutefois du doigt les faiblesses des politiques pétrole et gaz et appellent la Place financière à “mettre en place des politiques robustes, transparentes et comparables sur toutes les énergies fossiles”.
  6. Un seuil en pourcentage de chiffre d’affaire n’est pas idéal pour couvrir les entreprises intégrées qui peuvent compter parmi les plus gros producteurs d’hydrocarbures non conventionnels mais n’en tirent qu’une faible partie de leur chiffre d’affaires. Par exemple, ExxonMobil est le troisième plus gros producteur de ces hydrocarbures mais en tire moins de 10% de son chiffre d’affaires. BP est dans le top 15 des producteurs mais en tire moins de 5% de son chiffre d’affaires.