Les vagues de chaleur et méga-feux observés en Europe cet été font écho une fois de plus à l’urgence climatique. Sécheresse en Amérique du Sud, inondations en Australie, l’année 2022 est déjà marquée par de nombreux événements climatiques extrêmes d’une rare intensité. C’est en accusant de lourdes pertes que les plus grands réassureurs de la planète dont Munich Re, Swiss Re, Hannover Re et SCOR se retrouvent aujourd’hui au Rendez Vous de Septembre de Monte Carlo pour démarrer les négociations de leurs futurs contrats. Espérons que le cadre luxueux et décontracté de l’événement ne distraira pas le français SCOR et l’allemand Munich Re de la priorité du moment : éviter d’aggraver encore plus la catastrophe climatique et suivre sans plus tarder leurs pairs Swiss Re et Hannover Re dans leur décision de ne plus souscrire les risques liés à l’expansion de la production pétro-gazière.

Catastrophes naturelles, menace permanente sur les résultats des réassureurs

L’impact des catastrophes naturelles sur le résultat financier des réassureurs se fait de plus en plus pressant. Elles sont l’une des principales causes de lourdes pertes – environ €240 millions au premier semestre 2022 – subies par SCOR, 5ème réassureur mondial (1), de quoi conforter le choix de son directeur dans sa décision de réduire son exposition aux secteurs les plus exposés. La facture est encore plus salée pour ses concurrents européens, plus gros et donc plus exposés à ces risques. Hannover Re a vu le nombre de “pertes importantes” (2) augmenter considérablement. Cette catégorie de perte (dommages supérieurs à €10 millions) lui a coûté €850 millions (3) au premier semestre 2022 (4). Sur cette même période, le réassureur Swiss Re a déjà dépensé €1,2 milliard pour faire face aux événements climatiques extrêmes, soit plus de la moitié de son budget dédié aux catastrophes naturelles (5). De quoi plomber leurs performances.

Expansion pétro-gazière, SCOR et Munich Re en retard

Face aux conséquences directes du dérèglement climatique, les réassureurs européens, leaders mondiaux du marché, prennent des mesures pour réduire l’intensité et l’occurrence des catastrophes naturelles. Hannover Re (6) et Swiss Re (7), à quelques jours d’intervalle, ont annoncé en mars dernier, ne plus fournir de contrats de réassurance facultative aux nouveaux projets de production pétrolière et gazière (8). Swiss Re indique également vouloir mettre en place des premières mesures sur le pétrole et gaz dans ces traités de réassurance d’ici 2023, de quoi nourrir des discussions difficiles avec les assureurs présents à Monte Carlo pour négocier les prochains contrats de réassurance.

Ce niveau d’ambition climatique est malheureusement loin d’être partagé par leurs pairs SCOR et Munich Re. En effet, SCOR (9) s’est uniquement engagé à restreindre ses activités d’assurance (10) et de réassurance facultative pour des nouveaux projets de production pétrolière (11). Le français s’autorise donc encore tous les nouveaux champs gaziers, à rebours des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie. Quant à Munich Re (12), leader mondial de la réassurance, il restreint uniquement ses activités d’assurance et de réassurance liées aux sables bitumineux et aux projets de pétrole et gaz en Arctique. Des exclusions minimalistes encore insuffisantes pour répondre à l’urgence climatique.

Résumé des politiques pétrole et gaz adoptées par les 4 principaux réassureurs européens

*Ratio combiné: montant des dommages non-vie supportés par le réassureur divisé par les primes de l’activité de réassurance non-vie. Un ratio supérieur à 100% signifie que l’activité de réassurance non-vie n’est pas rentable (les remboursements des dommages coûtent plus chers que les primes de reçues).
**Swiss Re a annoncé dans son dernier rapport de durabilité vouloir développer une politique sectorielle pétrole et gaz pour son portefeuille de traités de réassurance dès 2023.
***La partie upstream (production/exploration) du secteur pétrole et gaz ne représente qu’une partie de la chaîne de valeur et des émissions du secteur. Les parties midstream (transport/transformation) et downstream (utilisation du pétrole et gaz) ne sont pas prises en compte dans ce tableau.

Aller plus loin : Comparaison plus détaillée des engagements climatiques des réassureurs Munich Re, Swiss Re, Hannover Re et SCOR dans l’Oil & Gas Policy Tracker

La priorité, refuser la réassurance de l’expansion pétro-gazière

L’accélération et l’intensification des événements climatiques extrêmes ne permet plus de tergiverser. Le GIEC nous donne moins de 3 ans pour inverser la tendance et commencer à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Face à ce défi, les grands réassureurs européens, tous membres de la Net-Zero Insurance Alliance, doivent prendre leurs responsabilités. Alors qu’ils ne pourront plus faire face à l’aggravation des dommages liés au dérèglement climatique, c’est bien à la source du problème qu’ils doivent agir: la combustion des énergies fossiles. Selon le GIEC, 64% des émissions de gaz à effet de serre sont provoquées par les énergies fossiles et leur combustion par l’industrie (13).

S’ils sont tenus d’adopter d’ici juin 2023 un plan de transition démontrant comment ils comptent soutenir la sortie totale du secteur (14), il s’agit aussi de répondre à la première des priorités : ne plus soutenir l’expansion pétro-gazière en stoppant immédiatement la réassurance facultative des nouveaux projets de production pétrolière et gazière et intégrer, dès aujourd’hui, des mesures d’exclusion sur les développeurs pétroliers et gaziers (15) dans les traités de réassurance.

Monte-Carlo est le premier événement de l’année avant la finalisation des contrats de réassurance à Baden-Baden du 23 au 26 octobre prochain. Sans plus tarder, et sans attendre pour SCOR la publication de son futur plan stratégique début novembre, les deux réassureurs européens SCOR et Munich Re doivent suivre la voie tracée par Swiss Re et Hannover Re et s’engager à ne plus souscrire de contrats pour de nouveaux projets de production pétrolière et gazière, sans exception.

Notes :

  1.  Reinsurance News, Top50 Global Reinsurance Group, 2021
  2.  Paiement d’un dommage supérieur à 10 M€
  3.  Dépenses d’Hannover Re au 1er semestre 2021 dans la catégorie “Pertes importantes” égales à 325 M€
  4.  Dont 186 M€ liés aux inondations en Australie
  5.  Swiss Re dédie 1.9 Md€ de budget aux catastrophes naturelles en 2022
  6.  Hannover Re, annual report 2021, 2022
  7.  Swiss Re, sustainability report 2021, 2022
  8.  L’exclusion de Swiss Re est assortie d’une exception pour les projets des entreprises pétro-gazières considérées comme “en transition” par le SBTi. Le cadre d’analyse du SBTi pour identifier ces entreprises, dans le secteur pétrole & gaz, n’est pas défini à ce jour.
  9.  SCOR, annual general meeting presentation, 2022
  10.  Activités d’assurance de spécialité uniquement
  11.  SCOR applique la même exception que Swiss Re.
  12.  Munich Re, sustainability report 2021, 2022
  13.  GIEC, 6ème rapport d’évaluation, 2021
  14.  Reclaim Finance, Race to Zero : de nouveaux critères obligent les membres de la GFANZ à soutenir l’élimination progressive des combustibles fossiles, 2022
  15. Entreprise développant de nouveaux projets de production pétrolière et gazière