BlackRock, plus gros investisseur mondial avec plus de 7 800 millions de dollars d’actifs sous gestion, vient de publier ses lignes directrices d’engagement et de vote pour 2021. Il reste cependant à voir comment ces grands principes influenceront réellement les pratiques de l’investisseur à l’égard des plus grands pollueurs du monde comme Exxon Mobil, Shell ou Peabody Energy. Ce qui est certain, c’est que sans la menace du désinvestissement, l’engagement peut difficilement être efficace.

Dans sa publication 2021 Stewardship Expectations, BlackRock reconnaît enfin l’efficacité des résolutions d’actionnaires pour modifier les pratiques des entreprises et s’engage à soutenir davantage de votes d’actionnaires sur le climat. Jusqu’à présent, l’argument clé de BlackRock pour continuer à investir dans certains des pires élèves climatiques consistait à garder un levier sur l’entreprise afin de la pousser à changer. Mais les recherches montrent qu’en 2020, BlackRock n’a soutenu que 11 % des résolutions sur le climat, ce qui en fait l’un des pires investisseurs en matière de votes sur ces questions. L’annonce d’aujourd’hui pourrait représenter un changement énorme dans les pratiques de BlackRock, si elle se traduit par des actions.

1. Un engagement efficace a des conséquences réelles

Cependant, BlackRock n’a pas réussi à adopter une stratégie d’engagement solide. En 2021, BlackRock demandera aux entreprises de publier « des plans visant à aligner leurs activités sur l’objectif mondial de zéro émission nette de GES d’ici 2050 ». Cette demande semble audacieuse, mais reste trop générale et axée sur le long terme pour permettre des impacts immédiats, d’autant plus que BlackRock n’explique pas comment cela se traduira par un processus d’engagement efficace conduisant à un changement réel.

Les prochains mois seront décisifs pour voir comment l’annonce se traduit par des votes. Le gestionnaire d’actifs souligne qu’il « soutiendra les résolutions d’actionnaires qui sont raisonnables et qui ne sont pas abusivement contraignantes pour la direction », ce qui est extrêmement vague.

  • Comme nous le détaillons dans nos demandes en matière d’engagement, un processus d’engagement robuste avec les entreprises nécessite des demandes publiques, spécifiques et délimitées dans le temps d’aligner les activités avec l’objectif de 1.5°C et de prendre des mesures immédiates de réduction absolue des émissions pour réduire de moitié les émissions de GES d’ici 2030.
  • En ce qui concerne le charbon, cela signifie par exemple que les entreprises doivent adopter, d’ici 2021, des stratégies de sortie progressive du charbon, fondées sur les actifs de l’entreprise, pour sortir complètement du secteur d’ici 2030 pour l’UE/OCDE et 2040 ailleurs. Une telle demande est déjà formulée par divers acteurs financiers tels que les acteurs français Amundi, Lyxor et AXA.
  • BlackRock n’a non seulement pas exigé l’adoption de mesures spécifiques de sortie du charbon, mais il semble également considérer qu’une sortie du secteur en 2050 est acceptable. En effet, se référant à KEPCO, BlackRock dit “saluer” l’annonce de KEPCO sur une sortie en 2050. Le problème est que KEPCO n’a même pas renoncé à toutes ses nouvelles centrales à charbon et surtout qu’une sortie du charbon en 2050 est bien trop tardive pour atteindre un objectif de 1,5°C.
2. L’engagement n’est qu’un des nombreux outils de décarbonisation

Si la décision de Blackrock de s’engager auprès de 1000 entreprises en 2021, contre 440 auparavant, semble être une bonne nouvelle, il reste à savoir comment l’investisseur va trouver les ressources pour un réel engagement avec chacune d’entre elles. L’engagement prend du temps et des ressources et le choix des entreprises à engager est donc crucial, surtout si l’on tient compte de la courte fenêtre de temps disponible pour rester en dessous de la limite de 1,5°.

  • C’est pour cette raison que Reclaim Finance souligne l’importance de choisir avec soin les entreprises avec lesquelles faire de l’engagement. Les autres entreprises doivent être abordées par d’autres moyens.
  • Au-delà du vote, les investisseurs sont également responsables via leurs obligations et leur décision d’octroyer ou de refuser des prêts aux entreprises et aux projets polluants. Il est donc crucial d’aligner également les achats d’obligations sur les engagements climatiques.
  • Le désinvestissement doit également être considéré comme une solution évidente pour les entreprises qui continuent à repousser les limites des énergies fossiles et ne sont pas intéressées par la transition.
3. BlackRock remains the largest investor in fossil fuels

À cet égard, la politique actuelle d’exclusion du charbon de BlackRock est extrêmement faible. Non seulement cette politique s’applique à moins d’un tiers de ses actifs sous gestion – les fonds gérés passivement étant exclus – mais elle ne couvre que 17 % de l’industrie du charbon. Par conséquent, BlackRock peut toujours investir dans 240 entreprises qui prévoient de nouvelles centrales, mines ou infrastructures liées au charbon.

Triste nouvelle, ces développeurs de charbon ne sont qu’une partie des nombreuses entreprises encore soutenues par BlackRock malgré leurs plans d’expansion des énergies fossiles. Comme le montre le rapport Five Years Lost, BlackRock détient plus de 110 milliards de dollars en actions et obligations d’entreprises derrière 12 méga projets controversés d’expansion du charbon, du gaz ou du pétrole.

Le 2020 Production Gap Report, dirigé par l’UNEP, a récemment souligné que la production d’énergies fossiles dans le monde devra baisser d’environ 6 % par an entre 2020 et 2030 pour suivre une trajectoire de 1,5 °C. Il est grand temps d’élaborer des politiques robustes, conformes à la science et qui contribuent à protéger les clients des investisseurs des actifs bloqués (“stranded assets” en anglais) et, surtout, limitent les effets négatifs de leurs investissements.

Pour aller plus loin

  • Plus d’informations sur le Coal Policy Tool ici.
  • Le rapport de ShareAction « Voting Matters 2020 » sur les pratiques de vote des gestionnaires d’actifs est disponible ici.
  • Plus de détails sur le modèle BlackRock ici et sa politique charbon ici.