Reuters et Le Guardian ont dévoilé des discussions en vue de l’établissement d’un nouveau mécanisme visant officiellement à accélérer la fermeture de centrales à charbon en Asie. L’initiative, guidée par la Banque asiatique de développement (ADB) et l’assureur britannique Prudential, réunirait des acteurs financiers privés. Greenwashing ou vrai pas en avant pour la décarbonation du mix électrique mondial ? On fait le point.

Si les contours du mécanisme devaient être définis en amont de la COP26, les quelques informations disponibles laissent apparaitre de nombreuses questions auxquelles il faudra répondre pour garantir l’efficacité et la crédibilité d’un tel processus.

 Opération de greenwashing par les plus gros financeurs au charbon   

Le profil des acteurs financiers mentionnés comme potentielles parties prenantes, les banques Citi et HSBC et le gestionnaire d’actifs BlackRock à travers sa filiale BlackRock Real Assets, constitue peut-être la plus grosse faiblesse de cette initiative. Tous font partie des plus gros soutiens financiers aux entreprises des énergies fossiles, y compris à celles actives dans le secteur du charbon.

Citi est le ainsi le 4ème plus gros prêteur au monde aux entreprises qui développent de nouvelles centrales à charbon et BlackRock est leur 2ème plus gros investisseur. Avec Prudential, en lead sur ce projet, et HSBC, ils font partie des acteurs financiers avec les plus mauvaises politiques sur le secteur du charbon. Si ces acteurs souhaitent réellement contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique, ils doivent faire bien plus que de se positionner en pompiers prêts à éteindre l’incendie sur les 15 prochaines années. Ils doivent d’abord s’engager à ne plus allumer de feux en refusant de soutenir financièrement les entreprises qui construisent de nouvelles centrales à charbon.

Fermeture anticipée ou sursis pour le charbon ? 

Se donner toutes les chances de limiter le réchauffement climatique en deçà d’1,5°C implique d’avoir fermé toutes les centrales à charbon d’ici 2030 dans les pays européens et de l’OCDE et d’ici 2040 dans le reste du monde. Sur le papier, le mécanisme annoncé est donc dans les clous de la science climatique puisqu’il vise à garantir la fermeture de centrales sur les 15 prochaines années, soit avant 2040. Mais attention, le tout dernier scénario de l’Agence Internationale de l’Energie souligne l’importance de fermer en priorité les centrales à charbon les plus inefficaces d’ici 2030. Or, dans tous les pays d’Asie, en 2020, une majorité de centrales font partie de la technologie la plus polluante, dite “sous-critique”. L’initiative va-t-elle porter en priorité sur la fermeture des centrales sous-critiques et si oui, est-il prévu de les fermer d’ici 2030 au plus tard ?

Autrement, le risque est que le mécanisme offre en réalité un sursis à ces centrales particulièrement polluantes en leur permettant de rester rentables plus longtemps. Il faut rappeler ici qu’opérer des centrales à charbon n’est déjà plus rentable dans la majeure partie du monde face au développement fulgurant des renouvelables. Alors que l’évolution du marché pourrait pousser les entreprises opérant les centrales à charbon à les fermer face à des concurrents moins chers, les centrales à charbon se voient ici garantir jusqu’à 15 ans d’opération. Il ne s’agirait donc plus d’une fermeture anticipée mais d’un sursis…

Quels gains pour le climat ?   

Quels sont les garde-fous mis en place pour s’assurer que ce mécanisme conduise réellement à diminuer le volume d’émissions de CO2 produit ? Il existe un risque que les opérateurs compensent le temps raccourci d’exploitation en faisant fonctionner les centrales de manière plus intensive dans les 15 prochaines années et que l’économie en émissions de CO2 se révèle quasi-nulle.

Se pose également la question des revenus tirés de la revente de leurs actifs charbon par les entreprises qui les détiennent actuellement. Ces revenus vont-ils également accélérer la transition énergétique ou au contraire, la ralentir ? Il y a un risque que ces entreprises, souvent des géants de l’énergie, utilisent l’argent de la revente pour continuer à investir dans les énergies fossiles : des centrales à gaz ou même – pourquoi pas – investir dans de nouvelles centrales à charbon en vue de bénéficier, de nouveau, du mécanisme de rachat. L’ADB doit prévoir des garde-fous pour éviter ce type d’effet pervers.

Plus d’énergies renouvelables ?  

D’après Prudential, ce dispositif permettrait de faire plus de place aux énergies renouvelables mais il est trop tôt pour l’affirmer. Le mécanisme prévoit – en principe – d’allouer les financements levés par les acteurs financiers à une facilité d’investissement dans les énergies renouvelables. Si c’est une bonne idée sur le papier, cela ne sera une bonne nouvelle qu’à condition que ce soit des projets d’énergies renouvelables qui n’auraient pas trouvé de capitaux sur le marché privé sans ce mécanisme.

L’intervention publique se justifie à condition qu’elle permette d’attirer des acteurs privés sur des projets dont les caractéristiques en matière sociale et environnementale impliquent un surcoût ou une prise de risque supplémentaire. A défaut de garanties sur la qualité des projets financés, le mécanisme pourrait surtout permettre de rémunérer des opérateurs privés pour développer des actifs renouvelables qu’ils auraient – quoiqu’il arrive – développés car rentables.

Qui va bénéficier du mécanisme ?  

L’article de Reuters indique très justement qui sont les principaux bénéficiaires du mécanisme. L’essentiel des risques financiers liés au projet seraient portés par les agences de développement alors que les entreprises et acteurs financiers privés seront incitées à participer au mécanisme en raison des bénéfices économiques et financiers qu’ils en tireront.

Mais quid des salariés et des bassins d’emploi autour de ces centrales ? Rien n’est dit des aides qui leur seront pourtant nécessaire pour se reconvertir, ni d’à qui va incomber cette responsabilité. Pour l’instant, rien n’est dit non plus sur la remise en état des lieux et sur qui paiera la facture liée aux pollutions causées par l’opération des centrales.

En conclusion, il est trop tôt pour trancher sur l’efficacité du processus et une seule certitude demeure : les acteurs financiers impliqués ne sont en rien devenus des défenseurs du climat et toute communication de leur part visant à se servir de ce mécanisme pour faire valoir leur engagement dans la lutte contre le dérèglement climatique ne saurait être interprétée que comme une vaste opération de greenwashing tant qu’ils soutiennent financièrement l’expansion du secteur du charbon