Eviter le greenwashing dans les plans de transition

Si les tendances actuelles continuent, le réchauffement planétaire dépassera les 1,5 °C avant 2030. Pour les entreprises du monde entier, une révision complète des pratiques est urgente. Basculer sur trajectoire globale compatible avec la limitation du réchauffement à 1,5 °C implique une division par deux des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et l’atteinte la neutralité carbone au plus tard en 2050. Pour y parvenir, les entreprises doivent transformer leurs activités tout au long de leur chaîne de valeur, ce qui nécessite la mise en place de mécanismes de planification et de suivi.

L’objectif du plan de transition climatique est d’aborder tous ces aspects pour fournir une feuille de route solide, transparente et fondée sur des données probantes permettant à l’entreprise d’opérer sa transition en accord avec l’objectif de 1.5 °C et aux autres parties prenantes de la tenir responsable de tout manquement. Cependant, en l’absence de standardisation assurant la qualité de leur contenu et de suivi de leur application, les plans de transitions peuvent se transformer en redoutables outils de greenwashing. Dans l’attente d’une réglementation palliant ce problème majeur, toutes les parties prenantes ont un rôle à jouer pour assurer la qualité des plans de transition.

La jungle des « plans de transition »

Aujourd’hui, aucun cadre ne s’est imposé pour standardiser le contenu des plans de transition. De nombreuses méthodologies ont été développées avec des objectifs et périmètres variables. Les entreprises publient au cas par cas des éléments difficilement comparables et analysables, sans forcément suivre un cadre méthodologique particulier.

Le plus souvent, la question des plans de transition est réduite à celle des objectifs de décarbonation. Pourtant, même ces cibles restent très partielles et incomplètes. Ainsi, seuls 4 % des 1003 grandes entreprises analysées par le Net-Zero Tracker en 2023 possédaient des cibles suivant les recommandations du UN Race To Zero (RTZ). Au-delà des cibles, les pratiques des entreprises restent souvent aux antipodes de leurs engagements de neutralité carbone. Ainsi, parmi 114 entreprises des énergies fossiles étudiées par le Net-Zero Tracker, seules 2 entreprises du charbon – aucune pour le pétrole et gaz – s’étaient engagées à mettre fin au développement de nouvelles capacités.

Faute de règles et de supervision assurant leur qualité et leur mise en œuvre, les plans de transition « cosmétiques » pourraient se multiplier. Ils donneraient alors un faux sens de sécurité, tout en masquant une inaction climatique chronique.

De nouvelles règles émergent…

Pour les grandes entreprises européennes et actives au sein de l’Union, l’adoption d’un plan de transition devient une obligation réglementaire avec l’entrée en vigueur de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) et de la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD). Pour les banques et assureurs, des plans de transition prudentiels devront aussi être définis suite à la révision de la Capital Requirement Regulation (CRR) et de Solvency II.

Hors des frontières de l’UE, de nombreux acteurs travaillent sur la question des plans de transition, sans pour autant aboutir à des règles contraignantes. Les publications d’acteurs comme le Network For Greening the Financial System (NGFS), le groupe d’expert de haut niveau des Nations Unies (UN HLEG), le Trésor américian (US Treasury) encore la Transition Plan Taskforce britannique (TPT) sont autant de prémices à des réglementations futures en la matière.

Cependant, même les obligations prises au sein de l’Union ne permettent pas d’assurer la qualité des plans de transition et leur mise en œuvre effective. Si elles devraient entrainer une dynamique d’adoption de plans de transition climatiques, elles n’assurent pas les pertinences de ceux-ci et donc n’évitent pas les risques de greenwashing.

Identifier les signaux d’alarme

La priorité pour éviter le greenwashing est de s’assurer que les plans de transition contiennent les éléments clefs pour la décarbonation de l’entreprise et l’extinction de ses pratiques et activités les plus néfastes. Il s’agit d’identifier les « signaux d’alarme » (« Red Flags »), c’est-à-dire les éléments qui qualifient automatiquement la stratégie d’une entreprise comme incompatible avec la limitation du réchauffement à 1.5°C.

Dans son rapport sur les plans de transition climatique des entreprises, Reclaim Finance identifie une série de signaux d’alarme concernant les stratégies climat. Ceux-ci peuvent être appliqués par les régulateurs et superviseurs, auditeurs et acteurs financiers pour identifier rapidement les plans de transition clairement insuffisants.

De tels signaux d’alarmes incluent par exemple : des cibles de décarbonation qui couvriraient uniquement une partie des activités de l’entreprise ou qui ne couvriraient pas tous les scopes d’émissions ; des volumes significatifs de capex consacrés aux activités très émettrices de GES et/ou l’absence de métrique financière pour permettre le déploiement des activités soutenables… Pour les entreprises actives dans le secteur des énergies fossiles et les acteurs financiers, le soutien au développement du charbon, pétrole et gaz est un signal d’alarme évident au regard des éléments scientifiques disponibles.

Exiger la qualité : vers une réelle standardisation

Pour faire des plans de transition une vraie opportunité pour la transition, il est cependant nécessaire de dépasser la simple identification de signaux d’alarme.

Pour faire des plans de transition une vraie opportunité pour la transition, il est cependant nécessaire de dépasser la simple identification de signaux d’alarme. Ainsi, les travaux de Reclaim Finance – basés sur une revue des principales méthodologies publiques en matière de plans de transition – fournissent une liste de critères essentiels pour obtenir des plans robustes. Ces critères transversaux devraient idéalement être complétés – notamment en prenant en compte les spécificités sectorielles – afin de garantir l’alignement des plans.

Les alliances net-zero, coalitions climatiques et organisations diverses peuvent d’ores-et-déjà s’appuyer sur ces éléments pour produire des standards clairs et exigeants orientant les comportements des entreprises. Parce qu’ils les financent, les acteurs financiers ont un rôle essentiel à jouer dans la diffusion de ces bonnes pratiques auprès des entreprises. Ils doivent aussi s’emparer de celles-ci pour montrer l’exemple sur leurs propres plans de transition.  

Si ces actions sont importantes, seule une standardisation des plans de transition apparaît à même de limiter les risques de greenwashing systémique. L’Union européenne est en passe de devenir pionnière sur l’adoption des plans de transition mais devrait aller plus loin en définissant clairement les critères minimaux nécessaires pour que ceux-ci soient considérés comme suffisamment solides. En parallèle, les superviseurs et régulateurs doivent exiger des acteurs financiers des plans solides qui minimisent les risques financiers et les impacts sur le climat et l’environnement. Si la tache peut sembler difficile, des plans de transition robustes permettent à la fois de répondre aux exigences de la CSRD et de supervision des risques climatiques pour les acteurs financiers. 

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