Décarboner l’acier

Les acteurs financiers doivent mettre fin à la dépendance au charbon de l’acier

Limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C exige de mettre fin à la dépendance aux énergies fossiles. Ce défi ne pourra être relevé que par l’adoption d’approches globales qui visent la production d’énergies fossiles tout en agissant sur les secteurs de la demande qui consomment eux-mêmes des énergies fossiles, comme le secteur de l’acier.

Les méthodes actuelles de production d’acier ont une forte intensité carbone en raison de leur dépendance au charbon – c’est-à-dire au charbon métallurgique, également appelé coke, qui est de qualité différente du charbon thermique. Il est possible de décarboner la production d’acier tout en répondant à la demande grâce à des solutions plus propres et compétitives. Cela doit devenir une priorité.

Décarboner l’acier ne sera possible que si les institutions financières s’engagent à financer les bonnes solutions. Elles doivent de toute urgence refuser de perpétuer la dépendance du secteur de l’acier à l’égard du charbon et financer des technologies plus propres à la place.

L’acier, un élément incontournable de nos sociétés

Qu’il s’agisse de bâtiments, de voitures, d’appareils ménagers ou d’autres équipements, l’acier est omniprésent dans le monde moderne, et il n’est pas près de disparaître. Selon les projections, la demande d’acier va augmenter, en partie dû aux économies émergentes et en développement qui ont besoin de plus d’acier à mesure qu’elles s’industrialisent. L’acier est également un élément essentiel de la transition énergétique, car il est utilisé pour construire des infrastructures et des produits tels que des éoliennes, des panneaux solaires et des véhicules électriques.

Les prévisions montrent que la production d’acier pourrait augmenter d’un tiers d’ici à 2050. De nombreuses infrastructures actuelles approchent également de la fin de leur durée de vie, ce qui implique qu’elles devront être rénovées d’ici à 2030. Des investissements importants étant nécessaires, c’est l’occasion de passer à des technologies plus propres pour produire de l’acier. De mauvais investissements seraient fatals car cela impliquerait le développement d’infrastructures fonctionnant au charbon qui, avec une durée de vie d’environ 20 ans, généreraient des émissions pendant des décennies, ruinant tout espoir de décarboner le secteur de l’acier à temps pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

« Les projets en cours de développement sont clairement en deçà de ce qui est nécessaire pour atteindre le scénario net zéro ». Agence internationale de l’énergie, Iron and Steel, 2022

Décarbonation de l’acier : le temps presse

Le secteur de l’acier est le plus grand émetteur industriel de CO2. En raison de sa consommation de charbon, il produit 7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et 11 % des émissions mondiales de CO2. À titre de comparaison, le secteur de l’aviation représente 2,1 % des émissions mondiales de CO2.

Décarboner l’acier est essentiel pour maintenir l’objectif de 1,5 °C à portée de main. Le scénario Net Zero de l’Agence Internationale de l’Energie prévoit une réduction des émissions du secteur de l’acier de 25 % d’ici à 2030 et de près de 92 % d’ici à 2050. Pour y parvenir, la production de charbon métallurgique devrait diminuer d’environ 30 % d’ici à 2030 et de 88 % d’ici à 2050, par rapport aux niveaux de 2021. Cela signifie qu’il faudrait multiplier par 100 la production d’acier utilisant des technologies plus propres d’ici à 2030.

Cependant, dans de nombreuses régions du monde, les projets d’acier prennent la mauvaise direction, avec de trop nombreux projets à base de charbon – plus de 100 au niveau mondial – qui continuent à être développés et moins de 1 Mt d’acier primaire aux émissions « quasi nulles » produit actuellement par an, alors que plus de 100 Mt seront nécessaires d’ici à 2030. Heureusement, des technologies alternatives existent aujourd’hui et peuvent être développées et déployées si les ressources financières nécessaires sont mises à disposition.

La fabrication de l’acier

Aujourd’hui, il existe deux façons principales de produire de l’acier. La plupart des émissions de l’acier proviennent de la fabrication à partir de matières premières, en utilisant du charbon métallurgique et du minerai de fer. C’est ce que l’on appelle la production primaire. Elle se fait presque exclusivement par la voie de hauts fourneaux et de convertisseurs basiques à oxygène (BF-BOF) et représente 70 % de la production mondiale d’acier.

 

L’acier est également produit en recyclant les morceaux d’acier. C’est ce qu’on appelle la production secondaire, qui utilise des fours électriques à arc (EAF). Cette voie produit sept fois moins de carbone que la production primaire, et encore moins si elle fonctionne avec des sources d’électricité propres, mais elle dépend fortement de la disponibilité et de la quantité de pièces d’acier à recycler.

Des méthodes de production d’acier qui produisent moins de CO2 existent ou sont en cours de développement. Les récentes avancées technologiques, notamment l’utilisation de l’hydrogène vert pour la réduction du fer, rendent possible la décarbonation de l’acier à temps pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, comme le prouvent des études telles que le Net Zero Steel Project. Cela signifie que l’hydrogène vert doit être privilégié pour les secteurs les plus difficiles à décarboner où il représente la meilleure option de décarbonation. Accroître la disponibilité de sources d’énergie propres pour les infrastructures de production d’acier est également essentiel pour décarboner le secteur.

Le double jeu d’ArcelorMittal

En tant que l’un des plus grands producteurs d’acier au monde, ArcelorMittal a un rôle clé à jouer dans la décarbonation du secteur. Toutefois, en l’état actuel, sa stratégie climatique n’est pas à la hauteur de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif 1,5°C. Alors qu’il est très clair que ses objectifs à moyen terme ne sont pas alignés sur l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, ArcelorMittal ne fournit pas les détails nécessaires, tels que l’allocation du capex, pour permettre aux investisseurs et autres parties prenantes financières de tester l’alignement des actifs existants et planifiés d’ArcelorMittal sur une trajectoire 1,5°C.

En outre, l’entreprise semble avoir adopté une stratégie de décarbonation à deux vitesses, en développant des projets basés sur l’hydrogène vert en Europe et au Canada, mais en continuant à construire et à agrandir de nouvelles infrastructures à base de charbon dans d’autres parties du monde. C’est le cas en Inde, où elle prévoit d’augmenter la capacité des usines existantes et a commencé à construire deux nouveaux hauts-fourneaux consommateurs de charbon, en promettant d’y ajouter des technologies de capture, d’utilisation et de stockage du carbone (CCUS). S’appuyer sur des technologies CCUS qui n’ont pas encore fait leurs preuves pour justifier le développement d’installations au charbon dans les pays du Sud est un pari risqué, en particulier lorsqu’il existe des alternatives plus propres. Les institutions financières ne devraient pas soutenir une telle stratégie.

Les institutions financières doivent pousser les producteurs d’acier vers les bonnes technologies

La première étape consiste à cesser de soutenir toute nouvelle mine de charbon métallurgique, tout plan d’expansion, tout nouveau projet d’acier à base de charbon, tout projet d’expansion ou tout regarnissage de hauts-fourneaux.

Les institutions financières expriment de plus en plus leur mécontentement face à une action climatique qui se fait uniquement au niveau de l’approvisionnement en énergies fossiles. Cependant, elles n’ont pas encore adopté de politiques visant les secteurs de la demande. Leurs politiques charbon ne visent également que le charbon thermique, principalement à cause de la croyance qu’il n’y a pas d’alternatives au charbon métallurgique. Heureusement, de nouvelles technologies existent aujourd’hui et peuvent être développées et déployées si les ressources financières nécessaires sont mises à disposition.  C’est l’occasion pour eux de joindre l’acte à la parole.

La première étape consiste à cesser de soutenir toute nouvelle mine de charbon métallurgique, tout plan d’expansion, tout nouveau projet d’acier à base de charbon, tout projet d’expansion ou tout regarnissage de hauts-fourneaux. La seconde consiste à conditionner les nouveaux services financiers aux clients et aux entreprises bénéficiaires à un engagement de cesser de développer de telles infrastructures et d’inciter les entreprises d’acier à investir dans les technologies appropriées, dans toutes les zones géographiques.