Les institutions financières doivent s’attaquer à l’addiction de l’industrie de l’acier au charbon

Mettre fin à la dépendance mondiale aux énergies fossiles est la priorité numéro un pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Si les institutions financières doivent intensifier leurs efforts pour arrêter progressivement la production d’énergies fossiles, elles peuvent également adopter une approche plus globale et jouer un rôle déterminant en s’attaquant aux secteurs de la demande, c’est-à-dire ceux qui consomment eux-mêmes des énergies fossiles. La production d’acier fait partie de ces secteurs. La décarbonation du secteur de l’acier est essentielle pour limiter le réchauffement à 1,5 °C et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La réussite ou l’échec de ce défi dépendra de décisions qui seront prises au cours de cette décennie. Avec des investissements massifs en perspective, c’est aux institutions financières de s’assurer que les bonnes technologies pour produire de l’acier seront financées plutôt que celles basées sur le charbon.

Non seulement l’acier est omniprésent dans le monde moderne, mais il joue également un rôle essentiel dans la transition énergétique puisqu’il est nécessaire pour la fabrication de produits tels que les éoliennes, les panneaux solaires et les véhicules électriques. Cependant, les méthodes actuelles de production de l’acier émettent de grandes quantités de dioxyde de carbone en raison de leur dépendance au charbon.

Une sortie complète du charbon nécessite de s’attaquer au charbon métallurgique

Le charbon métallurgique est utilisé pour la production d’acier primaire, qui produit de l’acier à partir de matières premières (1) et représente 70 % de la production mondiale d’acier aujourd’hui (2). Le charbon métallurgique, également appelé coke, remplit trois fonctions dans ce processus : il sert d’agent de réduction, de source d’énergie, et de source de carbone. Cette dépendance au charbon fait de l’industrie sidérurgique un important émetteur de dioxyde de carbone, produisant 7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et 11 % des émissions mondiales de CO2 (3). Décarboner le secteur de l’acier en éliminant progressivement le charbon métallurgique est donc la dernière étape à franchir pour sortir définitivement du charbon.

Pourtant, la plupart des institutions financières qui ont des politiques sectorielles sur le charbon ne visent que le charbon thermique (4). La plupart d’entre elles ont volontairement laissé de côté le charbon métallurgique en raison de la croyance de longue date selon laquelle il n’existerait pas d’alternatives viables et durables au charbon métallurgique dans la fabrication de l’acier. Cependant, les récentes avancées technologiques montrent qu’il est possible de décarboner la production d’acier (5). Des études montrent en effet que l’acier peut être décarboné à temps pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 (6).

Les décisions prises dans les années 2020 seront cruciales

Le secteur de l’acier se trouve aujourd’hui à un tournant : de nouvelles capacités de production d’acier doivent être construites pour répondre à la demande croissante, alors que dans le même temps, la plupart des installations existantes approchent de leur fin de vie (7), et vont donc devoir soit être regarnies, soit être remplacées par d’autres technologies. La longue durée de vie des installations signifie que les décisions sur la manière dont l’acier sera produit d’ici 2050 doivent être prises maintenant si l’on veut atteindre la neutralité carbone dans le secteur de l’acier.

Cependant, dans de nombreuses régions du monde, la majorité des nouveaux projets d’acier en cours ou en phase de planification reposent sur des méthodes à fortes émissions. La mise en place de méthodes de production d’acier plus propres nécessite des investissements considérables. Des analyses ont montré que la transition de l’industrie existante mondiale vers des technologies neutres en carbone nécessiterait un investissement supplémentaire de U$8 à US$11 milliards par an, soit un investissement supplémentaire cumulé de US$235 à US$335 milliards d’ici 2050 (8).

Les institutions financières doivent pousser les producteurs d’acier à abandonner le charbon

Les institutions financières ont ainsi un rôle clé à jouer pour décarboner le secteur de l’acier. Tout d’abord, elles doivent cesser tout soutien financier à des nouvelles mines de charbon métallurgique et aux plans d’expansion, ainsi qu’aux nouvelles infrastructures de production d’acier à partir de charbon, aux expansions et aux modernisations. Elles doivent également conditionner leurs services financiers aux clients et aux entreprises dans lesquelles elles investissent à un engagement à ne plus développer de telles infrastructures.

Enfin, les institutions financières doivent aussi inciter les entreprises du secteur de l’acier à adopter des mesures de décarbonation ambitieuses et à les mettre en œuvre dans toutes leurs opérations :

  • Elles doivent encourager leurs clients à utiliser les technologies de production d’acier les plus propres et les dissuader de poursuivre des solutions non durables telles que le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (CCUS), présenté par plusieurs entreprises du secteur comme une solution alors que les recherches montrent que le potentiel de ces technologies est limité (9), et qu’elles perpétuent la dépendance aux combustibles fossiles. ArcelorMittal a par exemple inauguré un projet de captage et d’utilisation du carbone dans son usine de Gand en Belgique en décembre 2022 (10).
  • Elles doivent également veiller à ce que leurs clients ne décarbonnent pas uniquement certaines parties de leurs activités tout en poursuivant le développement d’installations à base de charbon ailleurs. Le risque est réel, comme le montre un récent rapport publié par l’Institute for Energy Economics and Financial analysis (IEEFA) (11), qui explique que ArcelorMittal développe des projets d’acier vert à base d’hydrogène en Europe et au Canada, mais des installations à base de charbon en Inde. Il est important que les institutions financières s’opposent à ces stratégies de décarbonation à deux vitesses, car la demande proviendra principalement des économies émergentes dans les années à venir, alors que la plupart des projets d’acier vert en cours sont situés en Europe (12).

Les institutions financières sont de plus en plus critiques à l’égard des approches climatiques exclusivement axées sur l’offre de combustibles fossiles, mais les politiques relatives aux secteurs liés à la demande n’ont pas encore été développées. Le secteur de l’acier offre de grandes possibilités d’action, puisque des investissements massifs seront nécessaires au cours de la prochaine décennie et que des solutions sont déjà disponibles et prêtes à être déployées. Les institutions financières ont une opportunité de concrétiser leurs appels en faveur d’approches axées sur la demande en poussant les producteurs d’acier à cesser de développer et d’entretenir des installations à base de charbon et à investir dans des technologies plus propres à la place.

Notes :

  1. La filière primaire produit de l’acier à partir de matières premières en passant par des hauts-fourneaux à oxygène (BF-BOF). La filière secondaire produit de l’acier à partir de déchets d’acier recyclés dans des fours à arc électrique (EAF). La filière secondaire ne fait pas appel au charbon et a donc une intensité carbone bien moindre que la filière primaire.
  2. Pour plus d’informations, voir : AIE, Iron and Steel Technology Roadmap, 2020
  3. Pour plus d’informations, voir : Global Efficiency Intelligence, Steel Climate Impact – An International Benchmarking of Energy and CO2 Intensities, 2022
  4. Pour en savoir plus  sur les politiques charbon des institutions financières, voir le Coal Policy Tool.
  5. Les options technologiques pour décarboner l’acier comprennent le recyclage de l’acier dans des fours à arc électrique alimentés par de l’électricité renouvelable, ou l’utilisation de l’hydrogène comme agent réducteur pour éviter de recourir au charbon.
  6. Un résumé de trois études majeures qui explorent les options disponibles pour le secteur de l’acier afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 est disponible ici.
  7. Plus de 70 % des hauts-fourneaux à charbon existants – représentant 2,4 millions d’emplois et environ 2,2 Gt d’émissions de carbone, qui devront être rénovés d’ici 2030. Pour plus d’informations, voir : Agora Industry, Global Steel at a Crossroads, 2021.
  8. Analyse du Mission Possible Partnership : Net-Zero Steel Sector Transition Strategy, 2021.
  9. Plus d’informations disponibles ici.
  10. Plus d’informations disponibles ici.
  11.  IEEFA, Green Steel for Europe, Blast Furnaces for India, 2023
  12.  Pour plus d’informations, voir le Green Steel Tracker développé par le Leadership Group for Industry Transition.

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2023-02-23T14:21:30+01:00