Il y a urgence : les scientifiques du GIEC s’accordent à dire que la fenêtre d’opportunité pour limiter le réchauffement à 1,5°C n’est que de quelques années. Nous devons radicalement réduire nos émissions de gaz à effet de serre afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, à l’échelle de la Planète. L’Europe et les pays développés qui sont historiquement responsables de la majorité du réchauffement doivent accélérer les efforts afin d’atteindre cet objectif dix ans plus tôt.

Cela ne pourra se faire qu’avec une sortie totale des énergies fossiles, et non uniquement du charbon. Or, d’après le Production Gap Report du PNUE, les pays prévoient de produire 120 % de plus d’énergies fossiles que ce qu’il faudrait pour contenir le réchauffement à 1,5°C. Et sans sursaut des institutions financières, les entreprises des énergies fossiles devraient aisément trouver les services financiers nécessaires à l’exploitation des infrastructures existantes, mais aussi au développement de nouveaux projets.

En effet, l’analyse des politiques adoptées par les banques, les assureurs et les investisseurs montre qu’aucun grand acteur financier n’a adopté les mesures permettant d’endiguer le développement des énergies fossiles. Si les politiques d’exclusion du charbon sont insuffisantes, les quelques-unes adoptées sur certains sous secteurs du gaz et du pétrole (sables bitumineux, forage en Arctique et gaz et pétrole de schiste) sont encore plus lacunaires.

Les banques ont accordé 2 700 milliards de dollars de financements aux énergies fossiles depuis l’Accord de Paris, avec un volume de financements en hausse chaque année depuis 2016. Et les entreprises derrière les plus gros projets d’énergies fossiles en développement ont bénéficié de plus de 1 600 milliards de dollars, dont près de 126 milliards par des banques françaises pour des projets pétroliers et gaziers.

Cela doit cesser. Les acteurs financiers doivent se doter de politiques d’engagement et d’exclusion robustes qui permettent de prévenir l’expansion du gaz et du pétrole et d’engager les entreprises sur une réelle trajectoire de « décarbonation » de leurs activités.

Tenir l’objectif de 1,5°C

Un nombre croissant d’acteurs financiers s’engagent à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 et à aligner leurs activités sur l’objectif de 1,5°C. Un objectif louable et de long terme, dont l’atteinte dépendra des mesures qu’ils prendront sur le court terme afin de ne plus augmenter mais bien réduire leurs émissions financées. Qu’ils y travaillent seuls ou conjointement à travers des coalitions d’acteurs telles que la Net Zero Asset Owner Alliance, trois écueils sont à éviter :

1. Repousser l’action en attendant d’avoir toutes les données et méthodologies nécessaires pour un alignement complet de l’ensemble de leurs services financiers. L’urgence climatique implique de s’appuyer sur les connaissances scientifiques déjà disponibles pour agir et permettre des réductions immédiates d’émissions de gaz à effet de serre.

2. S’associer à des acteurs financiers d’évidence non sincères dans leur engagement à atteindre la neutralité carbone. Par exemple, parmi les membres de la Net Zero Asset Owner Alliance se trouvent Allianz, AXA, la Caisse des dépôts et consignations, SCOR ou encore Zurich, qui ont des politiques sur le charbon. Mais l’alliance comprend aussi des acteurs financiers qui n’ont aucune ou alors, comme CalPERS, qu’une très faible politique sur un secteur dont la sortie s’impose pourtant comme une évidence.

3. Se saisir de scénarios climatiques irréalistes qui prévoient un fort dépassement des émissions, misent sur le développement massif du captage et stockage de CO2 malgré les difficultés et risques qu’il soulève, ou ne visent même pas un objectif de 1,5°C et de neutralité carbone à l’horizon 2050. Les scénarios de l’AIE sont particulièrement problématiques mais ne sont pas les seuls : même les scénarios du Network For Greening the Financial System, qui rassemble les banques centrales et régulateurs, sont inadaptés.

Agir maintenant

Non à l’expansion

Alors que nous devons diminuer la production de pétrole et de gaz respectivement de 4 et 3% par an d’ici à 2030, l’industrie gazière et pétrolière a prévu d’augmenter de 7% sa production d’ici à 2024.

De nouveaux projets sont prévus ou déjà en construction dans tous les sous secteurs du gaz et du pétrole. S’ils aboutissent, ils annihileront nos chances de maintenir le réchauffement à 1,5°C. Ces projets sont des aberrations alors que notre budget carbone disponible pour contenir le réchauffement à 1,5°C ne nous permet déjà pas d’exploiter l’intégralité des réserves en énergies fossiles.

Le sérieux des engagements des institutions financières sur le climat peut être jugé à l’aune d’une seule chose : financent et assurent-elles de nouveaux projets de production d’énergies fossiles, continuent-elles de financer, assurer et investir dans les entreprises qui les portent ?

Malheureusement, la réponse est souvent oui, également pour les secteurs les plus risqués des pétrole et gaz non conventionnels (sables bitumineux, gaz et pétrole de schiste, forage en Arctique et en eaux très profondes).

Un nombre croissant d’acteurs financiers ont reconnu que tout nouveau projet charbon était incompatible avec le budget carbone et ont stoppé leurs soutiens à ces projets, ainsi qu’aux entreprises qui les portent. Il est urgent d’appliquer la même logique sur le pétrole et le gaz.

 

Engager la sortie

Les acteurs financiers qui s’engagent à aligner leurs activités sur un objectif de 1,5°C et à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 ne pourront y parvenir que de deux manières : ne plus soutenir les entreprises qui ne sont pas en voie de s’aligner, ou les pousser à se transformer vite pour finalement s’aligner sur ces objectifs.

Or, les exemples de contradiction entre les promesses et les actes sont pléthores. Nous pouvons citer les cas d’AXA, Amundi, ou Natixis qui ont voté contre la résolution climat soumise au vote des actionnaires de Total en 2020. Cette résolution demandait au premier pollueur français d’adopter des objectifs de « décarbonation » de ses activités alors qu’il continue d’investir massivement dans le développement de nouveaux projets d’hydrocarbures.

Alors qu’il nous faut viser une sortie du pétrole et du gaz d’ici à 2040 dans les pays européens et de l’OCDE, et d’ici à 2050 dans le reste du monde, les acteurs financiers doivent appeler les entreprises à revoir immédiatement à la baisse leurs investissements dans les énergies fossiles, afin de le rendre quasi nuls. Les émissions de gaz à effet de serre devant baisser de 7,6% par an, il ne s’agit de rien d’autre que d’engager immédiatement la réduction de leur production pétrolière et gazière. Total demeure un cas d’école.

Les dangers des pétroles et gaz non-conventionnels

0
nouveau projet d’hydrocarbures pour rester sous la barre de 1,5°C
0 %
de l’expansion de la production d’hydrocarbures se situe en Amérique du Nord
0
projets en développement et découverts en Arctique

Les acteurs financiers doivent immédiatement stopper tous soutiens aux projets et entreprises actives dans les secteurs intensifs en capital et en carbone et qui concentrent les plus grands risques pour les populations, l’environnement et le climat, par ricochet pour les acteurs financiers eux mêmes : sables bitumineux, forages en Arctique et en eaux très profondes, gaz et pétrole de schiste sur toute leur chaine de valeur donc comprenant les pipelines et terminaux de GNL lorsqu’ils reposent sur des pétroles et gaz non-conventionnels.

Alors que la glace de l’Arctique fond à une vitesse sans précédent, les industriels des énergies fossiles sont impliqués dans pas moins de 19 nouveaux projets et pourraient en développer plus de 200 autres. Les en empêcher est une priorité pour le climat et la biodiversité.

Une des autres urgences concerne les bassins d’hydrocarbures non-conventionnels, principalement de gaz et pétrole de schiste, et de sables bitumineux dans une moindre mesure, situés aux Etats-Unis et au Canada. Plus de 85% du développement mondial de la production de pétrole et de gaz d’ici à 2025 s’y concentre. Un développement qui consommerait 26% du budget carbone mondial disponible pour rester sous la barre de 1,5 °C. Prévenir cette bombe climatique d’éclater nécessite d’adopter des politiques d’exclusion pour l’ensemble de la chaîne de valeur, des puits d’extraction en passant par les terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié.

Ne plus faire l’impasse des majors

Si certaines politiques commencent à émerger, avec les annonces de Crédit Agricole, Natixis, OFI AM et la CDC, celles-ci risquent de reproduire les erreurs de BNP Paribas et de faire l’impasse sur les majors pétrolières et gazières: Total, mais aussi Shell, Chevron, Exxon, BP qui ont plus de 50% de leurs plans de développement d’ici 2024 dans les gaz et pétrole de schiste et se trouvent derrière la majorité des projets prévus en Arctique.

Les acteurs financiers ont adopté des politiques d’exclusion de certaines énergies fossiles. Mais, en raison de leur grande diversification, les majors pétrolières et gazières passent entre les mailles du filet. C’est un énorme problème : empêcher l’expansion des énergies fossiles ne sera pas possible sans ramener ces majors dans le filet.

50% de la production supplémentaire d’hydrocarbures à partir des projets prévus entre 2020 et 2024 viendra de 25 entreprises uniquement. Parmi elles de nombreuses majors. D’après Carbon Tracker Initiative, toutes les majors pétrolières ont engagé des nouveaux projets incompatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris. Total continue d’investir 18 fois plus dans l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures que dans ce qu’il appelle le bas carbone, une catégorie trompeuse dans laquelle le gaz domine sur les renouvelables.

Les majors pétrolières et gazières étant capables de faire échouer à elles seules l’Accord de Paris, les acteurs financiers doivent :

  • Suspendre tous services financiers aux majors tant qu’elles n’arrêtent pas de développer de nouveaux projets dans les énergies fossiles.
  • Faire valoir leur droit d’actionnaire ou de partie prenante financière et les forcer à adopter des objectifs de réduction absolue de leurs émissions des gaz à effet de serre sur toutes leurs activités (scope 1 à 3) de manière à limiter le réchauffement à 1,5°C.