AXA et Amundi/Crédit Agricole, deux investisseurs prompts à rappeler leur engagement contre le réchauffement de la planète, ont voté contre une résolution demandant au plus gros pollueur du CAC 40, Total, d’en faire plus sur le climat. Aïe !

Il y a un an, le 13 juin 2019, le groupe Crédit Agricole adopte une stratégie climat qui ne vise rien d’autre que s’aligner sur l’Accord de Paris, soit sur une trajectoire au plus proche d’un réchauffement à 1,5°C à l’horizon 2100. Un peu plus tard dans l’année, AXA rejoint la Net-Zero Asset Owner Alliance et s’engage en tant qu’investisseur à aligner ses portefeuilles d’investissement sur une trajectoire 1,5°C. Jusqu’ici tout va bien.

La science climatique est très claire: si l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, nécessaire pour tenir celui de 1,5°C, peut paraître lointain, le tenir implique d’agir vite et fortement. D’après le GIEC, les efforts à faire sont sans précédents mais faisables et surtout souhaitables. Le plus gros virage est à prendre maintenant, de manière à réduire de moitié les émissions de GES d’ici 2030.

Pour les acteurs financiers, cela nécessite donc de conditionner leurs services à l’adoption et l’application par les entreprises de mesures permettant une transformation radicale de leurs activités et leur alignement sur la trajectoire de 1,5°C. Lorsqu’on parle du premier émetteur de GES du CAC 40, Total, on comprend assez vite que l’inaction n’est pas une option. Si une période d’engagement peut être justifiable, celle-ci ne peut s’éterniser quand les changements à opérer sont gigantesques. Si le paquebot Total doit changer de bord, mieux vaut ne pas tergiverser longtemps.

Non seulement Total n’est en aucun cas aligné avec une trajectoire 1,5°C, mais ses engagements climat de début mai démontrent qu’il n’entend pas s’aligner.

  • L’objectif annoncé par Total de neutralité carbone à l’horizon 2050 ne porte pas sur toutes ses émissions, et le groupe pétrolier a un simple objectif de diminution de l’intensité carbone de ses produits de 15% à l’horizon 2030.
  • Loin d’engager une sortie progressive des énergies fossiles, Total entend augmenter sa production d’hydrocarbures de 12% entre 2018 et 2030.
  • 90% de son capex restera consacré aux énergies fossiles sur les prochaines années et encore 80% en 2030. D’après Carbon Tracker, 67% de son capex serait à risque dans le cadre du scénario d’alignement sur l’accord de Paris de l’AIE.

Pour résumer, Amundi et AXA ne respecteront pas leurs objectifs climat si les entreprises dans leurs portefeuilles d’investissement ne s’alignent pas sur une trajectoire 1,5°C. Et pourtant, loin de voter en faveur de la résolution climat soumise au vote des actionnaires de Total lors de l’Assemblée générale du groupe le 29 mai – et qui demandait au groupe de prendre des objectifs d’alignement sur une telle trajectoire – AXA et Amundi ont voté contre cette résolution.

A défaut de voter pour, comme l’ont fait des actionnaires totalisant 14,93% des droits de vote, AXA et Amundi auraient pu s’abstenir, comme l’ont fait 11,12% des actionnaires. Mais non, ces deux grands défenseurs climat, en public, ont voté contre, en privé. Pas de bol, certains sales secrets remontent et celui-ci a refait surface dans une dépêche de l’AFP parue vendredi 19 juin.

Pour eux, le groupe pétrolier français qui comptait avant la crise ouvrir pas moins de 25 nouveaux puits d’ici 2025 n’a rien à changer sur le plan climatique.

Il serait extrêmement hypocrite de la part d’AXA et d’Amundi de faire valoir un vice de forme ou un problème sur le fond de la résolution: contactés par le groupe de 11 investisseurs, ils ont eu tout le loisir de le commenter et de l’amender en amont du dépôt de la résolution. Sachant éperdument qu’elle ne serait pas adoptée, il s’agissait avant tout d’envoyer un signal fort au premier émetteur de GES du CAC 40. BNP Paribas AM, lead investor qui a accompagné Total dans ses annonces climat de début mai a lui-même reconnu que les engagements pris par Total sont insuffisants et que la résolution allait dans le bon sens. Sans se dédire, BNP Paribas AM s’est donc abstenu.

Pour conclure, il faut apprécier le slogan d’Amundi à sa juste valeur: “la confiance, ça se mérite”. Quant à AXA, il ferait mieux de se retirer de la Net-Zero Asset Owner Alliance plutôt que de prendre des engagements qu’il n’entend pas tenir.