Scénarios climatiques : Choisir une voie sûre pour un avenir durable

Les « scénarios climatiques » illustrent des chemins correspondant à divers résultats en matière de réchauffement de la planète. Comme tous les modèles d’évaluation intégrée (MEI), il s’agit de modèles mathématiques informatisés qui rassemblent des informations et des points de vue issus de différentes disciplines universitaires dans un cadre unique afin d’étudier des questions complexes. Ils intègrent un large éventail d’hypothèses et de circonstances possibles et ont leurs propres spécificités de modélisation, ce qui signifie qu’un nombre potentiellement infini de scénarios climatiques peut être produit.
Les scénarios climatiques sont par nature des outils limités, basés sur des hypothèses qui peuvent s’avérer inexactes et qui ne peuvent pas prédire avec précision les effets du changement climatique. S’ils ne sont donc pas des boules de cristal, ils peuvent être des représentations utiles d’avenirs possibles qui nous offrent une chance d’éviter le pire de la crise climatique et nous guident sur la voie de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. À condition toutefois de les choisir avec soin.
S’aligner sur les objectifs climatiques : choisir un scénario
Pour choisir un scénario, on peut commencer par regarder celui qui le produit. En effet, de nombreux organismes ont élaboré des scénarios climatiques, qu’il s’agisse d’organisations internationales, d’entreprises ou de cabinets de conseil, et pour certains, cela peut être un moyen de justifier leurs propres stratégies commerciales. Par exemple, lorsqu’une entreprise comme Shell ou TotalEnergies publie des scénarios qui montrent que la production d’énergies fossiles peut continuer à son rythme actuel avant de décliner progressivement, l’entreprise défend ses projets de construction de nouvelles infrastructures de production en les présentant comme compatibles avec les efforts d’atténuation. Ici, une règle simple serait d’éviter d’utiliser des scénarios produits par des entités en conflit d’intérêt évident, comme les compagnies pétrolières et gazières, et d’opter pour des scénarios provenant d’organismes indépendants à l’expertise reconnue, comme l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ou le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
Néanmoins, cette règle de base ne suffit pas à garantir la robustesse des scénarios. En effet, même des fournisseurs apparemment indépendants et réputés peuvent produire des scénarios reposant sur des hypothèses dangereuses. C’est pourquoi nous devons utiliser un processus en deux étapes :
Nous assurer que le scénario a au moins 50 % de chances de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C avec un dépassement « nul/faible » :
En visant un résultat de 1,5°C
L’Accord de Paris a fixé l’objectif international de limiter le réchauffement climatique à « bien en dessous de 2°C » et de s’efforcer de le maintenir en dessous de 1,5°C. Après l’accord, les recherches du GIEC ont montré les conséquences déjà massives d’un réchauffement à 1.5°C et celles désastreuses de températures mondiales dépassant les +2 °C. En conséquence, l’objectif de 1,5 °C est devenu la référence internationale, adoptée par les Nations unies, de nombreux pays et de nombreuses institutions financières et coalitions qui se sont engagées, par l’intermédiaire du GFANZ, à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.
Avoir au moins 50 % de chances de maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 1,5 °C
Comme l’indique clairement le GIEC, les scénarios climatiques sont tous liés à une probabilité spécifique d’atteindre un certain niveau de réchauffement. Les scénarios de 1,5 °C proposés par le GIEC ont au moins 50 % de chances de parvenir à ce résultat. Certains scénarios ayant une probabilité plus élevée sont disponibles et devraient être plus largement utilisés, compte tenu de leurs avantages potentiels et de leur contribution à une approche de précaution en matière d’atténuation du changement climatique.
Éviter un dépassement significatif de la température
Lorsque les températures moyennes mondiales dépassent 1,5 °C avant de redescendre, le scénario présente un « dépassement ». Un tel dépassement peut avoir des conséquences dramatiques en poussant le monde au-delà des “points de bascule”, où la dégradation de la nature et/ou l’accélération du réchauffement entraine des conséquences irréversibles. Il est donc essentiel d’utiliser des scénarios climatiques dont le dépassement est faible ou nul. Le scénario « Net Zero Emissions » (NZE) de l’AIE, plusieurs scénarios « Net Zero » du NGFS, ainsi que les 97 scénarios « C1 » du GIEC sont des scénarios 1,5°C avec un dépassement faible ou nul.
Vérifier que le scénario ne fait qu’un usage limité des émissions négatives :
Comprendre les dangers de parier sur les émissions négatives
Tous les scénarios climatiques s’appuient dans une certaine mesure sur des émissions négatives car certains processus naturels de la Terre piègent les émissions. Toutefois, il existe des différences considérables entre les scénarios dans la mesure ceux-ci s’appuient sur le déploiement de technologies spécifiques, telles que le piégeage et le stockage du carbone, et sur différents potentiels de piégeage naturel, notamment grâce au changement d’affectation des terres et à la reforestation. Plus un scénario fait de place aux émissions négatives, plus la réduction des émissions est lente, de sorte que le recours accru aux émissions négatives est un moyen facile de préserver les industries fortement émettrices le plus longtemps possible. Cependant, le déploiement à grande échelle des technologies d’émissions négatives et des solutions dites « basées sur la nature » pose des difficultés majeures. Les volumes capturés non réalisés pourraient facilement pousser la planète au-delà de 1,5°C. C’est pourquoi les scénarios climatiques ne devraient s’appuyer que sur un volume limité d’émissions négatives.
Filtrage des volumes limités d'émissions négatives
Lors de l’identification des scénarios présentant des volumes limités d’émissions négatives, il convient de commencer par exclure ceux pour lesquels l’utilisation de l’ énergie de la biomasse avec piégeage et stockage du carbone (BECSC) et/ou des combustibles fossiles avec piégeage et stockage du carbone (CSC) serait classée par le GIEC comme soulevant des problèmes de faisabilité moyens à élevés. Ces problèmes apparaissent lorsque les niveaux de capture dépassent respectivement 3 Gt CO2/an pour la BECSC et 3,8 Gt CO2/an pour le CSC fossile d’ici à 2050. Les scénarios doivent également être examinés afin d’exclure ceux qui prévoient une élimination du dioxyde de carbone par les forêts supérieure à l’estimation du GIEC concernant le potentiel maximal durable, soit 3,6 Gt CO2/an d’ici à 2050. Le scénario NZE de l’AIE passe ces contrôles, ainsi que 26 des scénarios du GIEC.
Les règles d’or des scénarios climatiques à 1,5°C pour les institutions financières
Bien qu’ils intègrent différentes hypothèses et reposent sur différents modèles, les scénarios climatiques robustes – 1,5 °C sans ou avec un dépassement limité et avec un volume limité d’émissions négatives – ont une dynamique et des caractéristiques communes qui montrent ce qu’il faut impérativement faire pour atténuer le changement climatique.
Pour les institutions financières, la compréhension de ces dynamiques est la première étape pour agir sur le climat, mais aussi pour gérer les risques qui y sont liés. Elle leur permet d’extraire des règles d’or à appliquer à leurs services financiers, notamment :