Evaluation des pratiques climatiques des gestionnaires d’actifs

Dans le contexte de l’urgence climatique, les investisseurs sont de plus en plus préoccupés par les risques systémiques liés au climat. Parmi les plus grands détenteurs d’actifs au monde, nombreux se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, en s’alignant avec une trajectoire visant à limiter le réchauffement à 1,5 °C. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) indiquent clairement que les nouveaux projets d’énergies fossiles sont incompatibles avec une trajectoire 1,5°C crédible. Une transition efficace du secteur global de l’investissement repose donc sur l’adoption des mesures visant à s’assurer que ces nouveaux projets fossiles ne soient pas lancés.
Les détenteurs d’actifs détiennent un pouvoir et une influence considérables au sein du secteur financier en raison de la part significative de capital qu’ils détiennent. Ils ont la capacité d’orienter les flux financiers en faveur ou non de certains secteurs, afin de soutenir la transformation du système énergétique mondial. En tant qu’investisseurs de long terme, les détenteurs d’actifs sont aussi particulièrement vulnérables aux risques climatiques, qui affectent également leurs bénéficiaires (clients, retraités, cotisants, etc.). Puisque la plupart des détenteurs d’actifs investissent indirectement en confiant leurs investissements à des gestionnaires d’actifs, l’adoption des processus solides de sélection, de nomination et de suivi de ces gestionnaires est essentielle pour faire faire à ces risques climatiques. Le prochain défi pour les détenteurs d’actifs est donc de s’assurer que les activités de leurs gestionnaires d’actifs ne soutiennent pas l’expansion fossile, afin de s’aligner sur leurs intérêts de long terme.
Les gestionnaires d’actifs qui fournissent de l’argent frais aux entreprises poursuivant l’expansion fossile, leur permettant ainsi de mener de nouveaux projets, et qui votent en faveur de la direction de ces entreprises, doivent être clairement identifiés. Cette identification permet ensuite aux détenteurs d’actifs de jouer un rôle clé dans l’amélioration des pratiques climatiques des gestionnaires d’actifs. Ils peuvent notamment refuser de confier de nouveaux investissements à des gestionnaires dont les pratiques ne sont pas alignées avec la science climatique, et engager leurs gestionnaires actuels. Nous présentons des recommandations détaillées plus bas.
Reclaim Finance a analysé les pratiques climatiques de 25 grands gestionnaires d’actifs européens et américains, en évaluant leur soutien à l’expansion fossile. Nous avons analysé leurs engagements pris dans leurs politiques d’exclusion et de vote, ainsi que leurs actions concrètes à travers leurs investissements dans des obligations récemment émises et leurs votes aux assemblées générales 2024.
























Méthodologie
Reclaim Finance a analysé les engagements climatiques et les actions concrètes des gestionnaires d’actifs vis-à-vis des développeurs fossiles, c’est-à-dire les entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles, contribuant ainsi à l’expansion fossile. Nous nous sommes concentrés sur les 5 plus grands gestionnaires d’actifs basés aux États-Unis et sur les 20 plus grands gestionnaires d’actifs basés en Europe.
L’analyse comporte trois volets :
- Une évaluation des politiques énergies fossiles, qui examine les engagements pris par les gestionnaires d’actifs pour limiter les nouveaux investissements dans les développeurs fossiles et leurs engagements concernant le vote aux assemblées générales pour ces entreprises.
- Une évaluation des investissements dans les obligations récemment émises par des développeurs fossiles.
- Une évaluation des votes aux assemblées générales 2024 des plus grands développeurs fossiles.
Nombre de gestionnaire d’actifs évalués s’étant engagés à arrêter les nouveaux investissements obligataires dans l’expansion pétro-gazière.
Au moins
Montant total investi dans des obligations récentes de développeurs fossiles.
Pourcentage de votes exprimés approuvant l’action des conseils d’administrations de développeurs fossiles en 2024.
Evaluation des gestionnaires d’actifs
*BNP Paribas s’est engagé en novembre 2024 à ne plus investir dans des obligations d’entreprises actives dans l’exploration et la production de pétrole et de gaz sur le marché primaire. Notre évaluation des investissements réels est basée sur des obligations émises entre janvier 2023 et juin 2024, lorsque cet engagement n’était pas encore appliqué.
Recommandations
Reclaim Finance appelle les détenteurs d’actifs à utiliser les résultats de cette analyse pour évaluer l’alignement de leurs intérêts avec ceux de leurs gestionnaires d’actifs, et d’agir en conséquence.
Nous recommandons aux détenteurs d’actifs :
- Publier dans leurs politiques une demande claire aux gestionnaires d’actifs de conditionner leurs nouveaux investissements dans les obligations émises par des développeurs fossiles à la fin de leurs plans d’expansion fossile, pour tous leurs actifs sous gestion ;
- Publier dans leurs politiques une demande claire aux gestionnaires d’actifs de voter contre des résolutions stratégiques proposées par la direction des développeurs fossiles jusqu’à ce que ces entreprises mettent un terme à leurs plans d’expansion fossile (ces résolutions peuvent être la réélection d’administrateurs, l’approbation de la gestion du conseil d’administration, ou encore l’approbation de la rémunération des dirigeants).
- Fixer une date limite au-delà de laquelle aucun nouvel investissement ne sera confié aux gestionnaires d’actifs ne satisfaisant pas les demandes ci-dessus.
- Engager tout gestionnaire d’actifs actuel ne satisfaisant pas les demandes ci-dessus à améliorer ses pratiques climatiques, et prévoir des sanctions en cas d’absence de progrès.
- Faire de l’expansion fossile une ligne rouge dans leurs propres politiques internes d’investissement et de vote;
- S’assurer que leurs politiques soient appliquées à l’ensemble de leurs actifs, tant en interne (gestion interne) qu’en externe (par l’intermédiaire de gestionnaires d’actifs externes).
Seul un nombre limité de gestionnaires d’actifs ont pris des mesures significatives pour aligner leurs pratiques avec la science climatique. Par exemple, Ofi Invest Asset Management a cessé d’investir dans des obligations émises par des entreprises développant des projets de production pétrolière et gazière, et a utilisé ses votes 2024 pour s’opposer à la réélection d’un grand nombre d’administrateurs de développeurs fossiles. Mandarine Gestion, de son côté, arrêtera en 2026 les nouveaux investissements dans les entreprises développant des projets de production et de transport de pétrole et de gaz, et les exclura de son univers d’investissement en 2027 si elles continuent de développer de tels projets. Ecofi exclut les entreprises impliquées dans l’extraction et la production de charbon, pétrole et gaz, ainsi que les entreprises impliquées dans les énergies fossiles non conventionnelles. AG2R La Mondiale Gestion d’Actifs est un autre exemple, avec sa promesse d’engager les entreprises développant des nouveaux projets de production pétrolière et gazière jusqu’en 2027, date à partir de laquelle le gestionnaire cessera ses investissements dans ces entreprises.
Ces gestionnaires d’actifs montrent que l’arrêt des nouveaux investissements dans les développeurs fossiles ou le vote contre la direction de ces entreprises peuvent être utilisés comme une stratégie d’investissement crédible à long terme. Mais à ce jour, les gestionnaires d’actifs qui adoptent ces pratiques sont encore trop peu nombreux. Il est donc urgent d’encourager tous les gestionnaires d’actifs à améliorer leurs pratiques et à élargir l’offre d’alternatives crédibles et respectueuses du climat pour les détenteurs d’actifs.