Les Assemblées Générales (AG) de 2022 approchent et plusieurs entreprises présenteront leur plan climat à leurs actionnaires. A travers des résolutions dites « Say on Climate », ces derniers seront amenés à prendre position pour ou contre ces plans. Bien que consultatif, ce vote n’est pas sans enjeux. Mécanisme indispensable de bonne gouvernance dans un contexte de renforcement des exigences de reporting extra-financier pesant sur les investisseurs, les « Say on Climate » peuvent cependant très vite devenir un outil de greenwashing. A quelques semaines de la saison des AG, les actionnaires doivent assurer la crédibilité des « Say on Climate » en exigeant des entreprises une consultation annuelle sur la base d’un cahier des charges précis.

Alors que les votes sur les plans climat des entreprises ont le vent en poupe à l’international (1) et que de premières résolutions de ce type ont été présentées en France en 2021 (TotalEnergies et Vinci), il est probable que de nombreuses entreprises françaises en proposent lors des AG cette année (2).

Un outil indispensable face à l’urgence climatique

Les mécanismes de « Say on Climate » sont bienvenus pour les acteurs financiers, qui ont besoin d’avoir accès à une information climatique de qualité sur les entreprises pour répondre aux exigences réglementaires qui leur incombent en matière de reporting extra-financier – mais également pour mettre en œuvre les engagements « net zéro » qu’ils ont eux-mêmes pris (3). Ce mécanisme d’information/consultation régulière des actionnaires sur la stratégie climat peut tout aussi bien être instauré sur proposition de la direction des entreprises ou par le vote d’une résolution déposée par les actionnaires.

Contrairement aux résolutions dites climat souvent déposées par des actionnaires pour demander quelque chose de précis à l’entreprise, les « Say on Climate » ont un caractère non-prescriptif et consultatif : il ne s’agit pas d’exiger des entreprises qu’elles s’alignent a priori sur les objectifs de l’Accord de Paris mais simplement qu’elles fournissent des informations et cibles climatiques exhaustives qui permettent aux investisseurs de juger de leur degré d’alignement. De manière contre-intuitive, ce double caractère non prescriptif et consultatif comporte plusieurs avantages.

Non seulement les actionnaires conservent pleinement la capacité d’envoyer un message fort aux entreprises non-alignées, en votant contre leur plan climat, mais ces « Say on Climate » permettraient aussi de rallier un nombre plus important d’actionnaires. En effet, de nombreux actionnaires sont réticents à soutenir des résolutions prescriptives, qu’ils perçoivent comme des mécanismes de sanction à l’égard d’un acteur en particulier. Mais ils accueillent toujours positivement l’amélioration de l’information, qui plus est quand cette demande de transparence s’adresse à plusieurs entreprises ou plusieurs secteurs.

Surtout, les « Say on Climate » sécurise totalement les actionnaires sur le plan juridique et élimine le risque de contestation par les entreprises lorsque le « Say on Climate » résulte d’une résolution actionnariale. Puisque le « Say on Climate » demande uniquement des informations, les actionnaires n’empiètent pas sur les compétences stratégiques du conseil d’administration (4). Sous réserve d’être rigoureusement formulées, les résolutions climatiques actionnariales sont donc d’ores et déjà conformes au droit actuel.

D’importants risques de greenwashing

Les « Say on Climate » ne sont pas exempts de risques : absence de définition précise et de cadre normalisé qui aboutit à des résolutions à géométrie variable, caution à l’approbation de stratégies « climat » incomplètes (5) ou défaillantes plébiscitées par des actionnaires avant tout soucieux de donner l’apparence d’une action climatique, concurrence avec des démarches d’engagement plus prescriptives et concrètes…

Ces risques se sont matérialisés en France dès 2021 lors de l’AG de TotalEnergies : la major pétro-gazière a présenté un plan lacunaire et non aligné sur les objectifs de l’Accord de Paris mais a pourtant recueilli 92% de votes favorables (6). Certains actionnaires, notamment Amundi, avaient voté favorablement ce plan pour encourager la démarche de TotalEnergies, tout en indiquant qu’ils se montreraient plus exigeants à l’avenir dans l’évaluation du contenu réel des plans climats. Pour l’instant, le doute reste permis et le risque de greenwashing ne peut être écarté : très peu d’investisseurs ont précisé publiquement la manière dont ils allaient traiter les « Say on Climate » et aucun ne s’est engagé à s’opposer à des plans incomplets ou insuffisants.

Comment garantir des « Say on Climate » crédibles lors des prochaines AG ?

Les actionnaires doivent d’abord s’engager à voter uniquement des Say on Climate complets, sur la forme et sur le fond. Sur la forme, cela implique d’obtenir un vote annuel sur les cibles climatiques et leur mise en œuvre (7). Sur le fond, il est impératif que les « Say on Climate » permettent une mise à disposition des actionnaires d’une liste d’informations et de cibles climatiques exhaustives et suffisamment détaillées, pour leur permettre d’évaluer sérieusement l’alignement ou non de la société sur une trajectoire à 1,5°C. Ce cahier des charges sera aussi l’occasion d’écarter les plans climats lacunaires présentés par les entreprises. Reclaim Finance a identifié une liste de 6 critères minimaux nécessaires pour l’évaluation des plans climat (8).

Dans le cas où les entreprises ne fourniraient pas suffisamment d’informations, les actionnaires ne peuvent se permettre d’attendre, et devront donc prendre l’initiative de déposer eux-mêmes des résolutions pour les réclamer.

Enfin, la dernière étape pour garantir des « Say on Climate » crédibles consiste à voter le plan climat en lui-même. Bien entendu, les actionnaires devront s’opposer aux plans lacunaires qui pourraient être présentés par les entreprises, mais aussi voter contre les plans complets qui ne seraient pas alignés sur les objectifs de l’Accord de Paris.

Les AG de 2022 seront un test décisif pour les Say on Climate. Les actionnaires soucieux de garantir leur crédibilité doivent engager dès maintenant les entreprises de leur portefeuille pour s’assurer que les résolutions présentées répondront à un cahier des charges précis et exigeant. La façon dont les acteurs financiers se positionneront sur le dépôt et le vote de Say on Climate établira très clairement une distinction entre les acteurs qui brandissent « l’engagement » comme une simple excuse pour ne pas exclure et ceux qui s’investissent sérieusement dans cette démarche.

Notes :

  1. Plus d’une vingtaine de résolutions proposant des mécanismes de ce type ont été soumises au vote des actionnaires en 2021, dont près des deux tiers à l’initiative de la direction des sociétés concernées (ShareAction). Un nombre croissant de parties prenantes intègrent désormais cette thématique dans leurs analyses.
  2. Notamment à la suite de l’appel du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) à les généraliser parmi les entreprises du SBF120. L’AMF anticipe également une recrudescence des « Say on Climate ».
  3. Notamment via l’article 29 de la loi énergie-climat s’agissant des obligations et à travers la Net-Zero Asset Manager Initiative ou la Net-Zero Asset Owner Alliance s’agissant des engagements pris par les investisseurs.
  4. Les résolutions plus prescriptives proposées par les actionnaires lors des AG de TotalEnergies et de Vinci en 2020 avaient été vivement contestées par les entreprises,; Vinci ayant même refusé d’inscrire la résolution à l’ordre du jour.
  5. Le plan climat présenté par Vinci en 2021 ne comportait pas de cibles de réduction des émissions sur le Scope 3.
  6. Plusieurs actionnaires avaient pointé les insuffisances de la stratégie et clairement choisi de récompenser la « démarche » positive de TotalEnergies, au mépris des enjeux de fond et de l’urgence climatique.
  7. Cette fréquence élevée est nécessaire : 1) pour obtenir par itération une hausse progressive des ambitions (et alors que des baisses sensibles des émissions doivent être obtenues dès 2025) ; 2) pour suivre étroitement la mise en œuvre de la stratégie.
  8. Il s’agit : 1) Objectifs de réduction, en valeur absolue et relative, des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur les Scope 1, 2 et 3 à court (2025), moyen (2030) et long terme ; 2) Contribution éventuelle des volumes de GES capturés pour atteindre chacun de ces objectifs ; 3) Démarches de compensation carbone éventuellement mises en œuvre en complément des cibles de réduction ; 4) et 5) Publication de la valeur et part des Capex et des Opex ventilés par secteur et par orientation entre maintenance et développement des actifs de la société ; et 6) Description du scénario de référence utilisé pour définir les objectifs climatiques.