La France se présente souvent comme un précurseur de la mobilisation du secteur financier dans la lutte climatique. La saison des Assemblées Générales (AG) 2020 et 2021 en a cependant montré une tout autre image. Si le nombre de résolutions climatiques déposées par des actionnaires à l’ordre du jour des AG des entreprises ne cesse d’augmenter à l’étranger, c’est le quasi désert en France. En cause, le trouble semé par certains émetteurs qui brandissent l’irrecevabilité de telles résolutions – une position qui relève d’une tactique de dissuasion et non d’une interprétation correcte des textes. Alors que les AG de 2022 se préparent maintenant, il est urgent que le gouvernement et le superviseur français confirment publiquement la compétence des actionnaires en la matière.

Une ambition mise en danger sous la pression des émetteurs

Pays de la COP21 et de lois importantes sur l’inclusion d’approches extra-financières dans les pratiques des acteurs économiques (1), la France se dit souvent à l’avant-garde de la mobilisation du secteur financier en faveur de la cause climatique.

En 2020 et 2021 cependant, cette image a été durablement ternie par l’opposition tranchée d’émetteurs importants aux tentatives des investisseurs de déposer des résolutions climatiques lors des assemblées générales.

TotalEnergies et Vinci ont ainsi prétendu, en réponse à ces initiatives, que les actionnaires excédaient leur rôle au point que leur démarche devait être vue comme contraire au droit des sociétés et, par conséquent, irrecevable (2). Cette position, pourtant intenable en l’état du droit applicable (3), recevait un soutien indirect de l’Association nationale des sociétés par actions (4).

Ainsi que l’a démontré la saison des assemblées en 2021, ce feu nourri semble avoir achevé de dissuader les investisseurs d’exercer auprès des émetteurs français un rôle qu’ils devraient pourtant assumer au nom de la crédibilité des démarches d’engagement et d’accompagnement des acteurs dans la transition dont ils se réclament à longueur de communications publiques.

Ceci est d’autant plus problématique que sur la scène internationale, la capacité d’action des investisseurs à travers le dépôt de résolutions climatiques ne fait pas de doute. Dernière en date, la SEC (5) a récemment confirmé que les actionnaires devaient pouvoir réclamer aux sociétés dans lesquelles ils investissent de se positionner sur leur stratégie climatique en affirmant sans ambigüité que les résolutions en ce sens ne doivent pas être écartées par les organes d’administration au nom de leur compétence de gestion (6).

Un pouvoir au cœur de la crédibilité de l’action climatique des investisseurs

Dans le cadre réglementaire français et européen, les investisseurs sont appelés à intégrer de plus en plus intensément à leurs pratiques les critères extra-financiers et l’alignement de leurs portefeuilles sur des objectifs climatiques, dans une logique assumée de double matérialité.

Pour être en mesure de répondre valablement à ces impératifs, les investisseurs sont donc tributaires de la pertinence des informations sur lesquelles ils fondent une appréciation des actifs qu’ils détiennent.

Leur aptitude à obtenir et à se prononcer sur des informations désormais nécessaires à l’exécution de leurs propres obligations ne peut donc pas être laissée au bon vouloir d’émetteurs, dont la motivation ou la fiabilité des analyses est profondément sujette à caution. C’est tout l’intérêt des résolutions déposées par des investisseurs que de permettre à ces questions d’intégrer structurellement le débat actionnarial, ce que préconise d’ailleurs l’évolution la plus récente du droit français en matière d’engagement lorsqu’elle requiert d’eux qu’ils publient le bilan annuel de leurs « dépôts et votes en assemblées générales de résolutions sur les enjeux environnementaux » (7).

La lecture hasardeuse du droit proposée jusqu’à maintenant par les émetteurs français, dans le seul but de priver les actionnaires d’un moyen d’action climatique pertinent, s’apparente donc à l’évidence à un combat d’arrière-garde auquel il doit être rapidement mis un terme.

Les AG 2022 seront un test décisif pour le droit des actionnaires à l’action climatique. C’est pourquoi il est impératif que les autorités publiques, gouvernement et autorités de supervision, ne se défaussent pas de leur responsabilité et prennent immédiatement les initiatives qui s’imposent pour assurer la sécurité juridique des résolutions climatiques déposées par les actionnaires, en confirmant publiquement leur validité au regard du droit français.

Il en va ni plus ni moins que de la crédibilité de la France, à un moment où sa condamnation récente pour inaction climatique ou ses atermoiements sur la taxonomie européenne semblent lever un voile plus qu’inquiétant sur la réalité de ses intentions sur le plan climatique.

Notes :

  1. Notamment, lois NRE, Grenelle II, TEEC, PACTE, LEC.
  2. Le raisonnement développé par ces émetteurs consiste à dire, en substance, que la stratégie climatique de la société est un sujet relevant de la compétence exclusive des organes de gestion et insusceptible à ce titre de faire l’objet d’une résolution d’initiative actionnariale, en référence à une décision rendue par la Cour de cassation en 1946 désignée comme la “jurisprudence Motte”.
  3. En réalité, suivant des modalités parfaitement compatibles avec nos Demandes en matière d’engagement, la recevabilité de telles résolutions ne fait pas de doute sérieux (pour une analyse juridique récente, voir notamment Baldon (C.) (2021), Les résolutions climatiques au prisme du principe de séparation des pouvoirs au sein de la société anonyme, JCP E n° 36.
  4. L’ANSA est une organisation de place représentant les intérêts des sociétés par actions.
  5. La SEC (Securities and Exchange Commission) est l’autorité fédérale de supervision des marchés financiers aux Etats-Unis.
  6. La position de la SEC, fondée sur la Règle 14a-8 du Securities Exchange Act, indique ainsi en substance que les résolutions proposant des cibles et des trajectoires indicatives ne relèvent pas du « micromanagement» susceptible de justifier une irrecevabilité au sens du texte.
  7. Art. D. 533-16-1 du Code monétaire et financier.