Jeudi 10 février, TotalEnergies a annoncé un bénéfice record de 13,6 milliards d’euros, le plus élevé jamais engrangé par une entreprise dans l’histoire du CAC40. Derrière cette annonce choc, un autre point important est passé inaperçu : la major française s’est aussi engagée à consulter ses actionnaires lors de son assemblée générale (AG) de mai 2022 sur les “progrès réalisés dans la mise en œuvre de [son] ambition” en matière de développement durable et de transition énergétique. Cette victoire apparente masque un fort risque de greenwashing : avec la complicité de la majorité de ses actionnaires, TotalEnergies pourrait obtenir un blanc-seing sur sa stratégie d’expansion dans les énergies fossiles. Décryptage.

Retour sur « l’ambition climat” de TotalEnergies et la complicité des investisseurs

En 2020, TotalEnergies avait été l’objet de la première résolution déposée par des actionnaires en France pour demander à la société de prendre les mesures nécessaires pour s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris. Ce vote avait recueilli 17% de votes favorables, contre l’avis de la direction de l’entreprise.

En 2021, TotalEnergies a préempté l’action des actionnaires en proposant de lui-même un vote consultatif sur son « ambition climat ». De nombreux investisseurs avaient critiqué la faiblesse des mesures annoncées et avaient aussi souligné l’absence d’information sur des indicateurs pourtant indispensables pour juger de manière adéquate la stratégie du groupe (1).

Et pourtant, le plan a été approuvé à 92% (2), récoltant le soutien d’investisseurs peu regardants en matière climatique mais aussi celui de nombreux investisseurs jugeant utile d’encourager la major française dans ce premier exercice de transparence, en dépit du caractère lacunaire et largement désaligné du plan présenté par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris. Mais promis disaient-ils, 2022 serait le moment de voter sur le fond.

Les enjeux de 2022 : une information climatique exhaustive et des cibles ambitieuses

L’année dernière, TotalEnergies n’avait pas voulu s’engager à réitérer chaque année l’exercice de consultation de ses actionnaires sur son ambition climat, marquant sa préférence pour des plébiscites ponctuels sans moyen de redevabilité par rapport à un mécanisme sérieux et robuste de « Say on Climate«  qui verrait les actionnaires se prononcer chaque année sur la stratégie climat et sa mise en oeuvre (3).

L’annonce de TotalEnergies qui confirme solliciter à nouveau le vote de ses actionnaires lors de l’AG de 2022 va donc dans le bon sens. Sauf que la formulation employée par l’entreprise – « rendre compte des progrès dans la mise en œuvre de l’ambition climat » – laisse présager la présentation d’un simple bilan. Deux conséquences à cela :

  • Le niveau retenu pour ces cibles ne sera pas rehaussé par rapport à l’année dernière et le plan restera donc très largement désaligné par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris. La situation climatique s’aggrave mais TotalEnergies ne semble pas juger nécessaire d’en faire plus.
  • Le plan climat de TotalEnergies restera lacunaire quant aux informations et cibles climatiques présentées aux investisseurs. Pour rappel, « l’ambition” climat présentée par la major en 2021 ne contenait ni de cible à court terme (2025), ni de cible de réduction des émissions en valeur absolue.

Si les investisseurs ne prennent pas dès maintenant une position forte, le vote de 2022 risque donc d’être une énième opportunité manquée, à la fois en matière de gouvernance d’entreprise et d’action climatique. En particulier, les grands investisseurs comme AXA IM ou Amundi n’ont plus d’excuse : ils avaient clairement indiqué l’année dernière que leur soutien au plan climat de TotalEnergies venait saluer la démarche de l’entreprise mais qu’ils attendraient davantage d’ambition en 2022. Si la major française présente un simple bilan lors des AG de mai, ces investisseurs devront donc logiquement s’y opposer.

Comment les investisseurs doivent-ils réagir ?

Les votes, dits « Say on Climate » peuvent être d’utiles leviers à la main des investisseurs pour accompagner la transition des entreprises, encore faut-il qu’ils répondent à un cahier des charges précis.

Les actionnaires doivent donc dès maintenant exiger de TotalEnergies la publication d’un plan climat complet et mis à jour par rapport à 2021. Il est particulièrement nécessaire que ce plan comprenne des cibles de réduction des émissions en valeur absolue et à court terme (2025) et d’engagements précis sur l’alignement des dépenses d’investissement. Le risque d’absence d’avancée sur ce point étant très élevé, les actionnaires doivent se préparer à fixer eux-même le cahier des charges via le dépôt de leur propre résolution qui exigerait l’instauration d’un véritable « Say on Climate » complet sur le fond comme sur la forme.

Par ailleurs, il est déjà acquis que TotalEnergies ne s’alignera pas sur une trajectoire à 1,5°C. Pour respecter cette trajectoire, l’AIE a clairement indiqué qu’aucun nouveau projet de production d’hydrocarbure ne doit être autorisé après la fin de l’année 2021. Or TotalEnergies entend augmenter ses capacités de production de +8,8% d’ici à 2024 d’après Rystad Energy Ucube et vient juste d’annoncer la “Final Investment Decision” pour son très controversé projet d’oléoduc « EACOP » en Afrique de l’Est.

Les investisseurs qui se sont engagés à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 doivent donc impérativement exprimer leur désaccord avec cette stratégie d’expansion et s’engager à voter contre l’approbation des comptes et/ou le renouvellement des membres du conseil d’administration lors de l’AG de 2022. Il va sans dire que tout investisseur se disant sérieusement investi dans l’accompagnement de la “transition” de TotalEnergies doit également refuser de cautionner son (manque d’)ambition en s’opposant au vote de la résolution climatique présentée par la direction de l’entreprise.

En savoir plus :

Lire notre article de décryptage des enjeux « Say on Climate » en amont des AG 2022.

Notes :

  1. TotalEnergies rendra public le rapport qu’il entend soumettre au vote de ses actionnaires fin mars.
  2. 82% en tenant compte des abstentions.
  3. Tout au plus TotalEnergies avait consenti en 2021 à “rendre compte chaque année à l’Assemblée générale […] des progrès réalisés dans la mise en oeuvre de cette ambition [climatique] et à la consulter si nécessaire sur l’adaptation de sa stratégie et de ses objectifs.”