Michèle Pappalardo, Présidente du Comité du label ISR, a présenté les orientations structurantes envisagées pour l’évolution du label ISR fin juillet. Les informations sont à ce jour très sommaires mais indiquent toutefois une évolution au rabais. Concernant le climat, il apparait que les fonds labellisés ISR pourraient toujours investir dans des entreprises qui développent de nouveaux champs pétroliers et gaziers, en contradiction majeure avec la volonté affichée du comité de prendre en compte les objectifs climatiques de la France et de fonder le nouveau label sur une approche de double matérialité. Reclaim Finance invite tous ceux concernés par la protection du climat et des droits des épargnants à répondre à la consultation ouverte jusqu’au 9 septembre.

Enfin une exclusion des énergies fossiles

La révision du label est une bonne chose tant sa crédibilité est décriée. Mais l’éléphant pourrait accoucher d’une souris, malgré les 9 mois de travail et les recommandations très claires de l’Inspection générale des finances fin 2020. L’approche best in class devrait être maintenue, malgré l’intégration d’exclusions inclues contre l’avis de Michèle Pappalardo. Celle-ci a affirmé que le label n’a pas vocation à devenir un “label vert” ou “climat” – ce rôle étant rempli par le label Greenfin – mais que des premières exclusions dans le secteur de l’énergie étaient devenues incontournables. Reclaim Finance rejoint la Présidente du label sur ces deux points, mais regrette l’absence d’exclusions supplémentaires, comme celle du tabac.

Concernant le secteur de l’énergie, commencer par des exclusions du charbon et des énergies non conventionnelles fait sens tant celles-ci ont de lourds impacts sur le climat, la biodiversité et les droits humains. Les exclure permetrait aussi d’aligner le label ISR avec les ambitions de la Place financière de Paris en matière de finance durable et les attentes du gouvernement français (1). Cependant, les exclusions pressenties ne sont pas sans poser problème tant elles apparaissent minimalistes et incapables de répondre aux demandes des épargnants quant à une meilleure prise en compte des impératifs climatiques dans la constitution des fonds.

Tout changer pour rien changer

Dans une interview donnée aux Echos, Michèle Pappalardo affirme ainsi que l’évolution du label « n’aura pas un impact majeur sur le stock de fonds déjà labellisés ». Eclate dans cette affirmation la limite de l’exercice. La révision du label relève de la prestidigitation : faire croire à une transformation alors que l’objectif enfin avoué est de permettre à tous les fonds labellisés de le rester.

Un objectif corollaire est de ne pas toucher TotalEnergies, dont 19 % des fonds actions labellisés sont actionnaires, selon une étude de la fintech Epsor. Ne pas exclure la major pétrolière et gazière pourrait relever autant d’un double objectif politique – ne pas réduire le nombre de fonds labellisés et ne pas remettre en doute le discours fallacieux selon lequel TotalEnergies serait en transition – que d’un objectif financier – les investissements dans la major pétro-gazière française sont très profitables.

Le label ISR pourrait protéger les premiers producteurs d’hydrocarbures non conventionnels

Si des exclusions du charbon et des énergies non conventionnelles sont envisagées, Michèle Pappalardo laisse entendre que ces dernières pourraient être réduites aux pétrole et gaz de schiste, et que le seuil d’’exclusion serait fondé sur leur part dans le chiffre d’affaires d’une entreprise.

Deux faiblesses majeures apparaissent. Non seulement il est indispensable de garantir une définition large des énergies non conventionnelles, alignée avec les recommandations du comité scientifique et d’expertise de l’Observatoire de la Finance Durable, mais se contenter d’une exclusion fondée sur le chiffre d’affaires nuirait à l’objectif recherché. En effet, certains des plus gros producteurs d’hydrocarbures non conventionnels, comprenant également des entreprises qui ont les plus fortes prévisions de croissance dans ces secteurs, n’en tirent qu’une faible partie de leur chiffre d’affaires. C’est le cas des majors pétrolières et gazières qui sont des entreprises intégrées, actives sur toute la chaine de valeur des énergies fossiles. Quatre exemples : ExxonMobil est le troisième plus gros producteur de ces hydrocarbures mais en tire moins de 10% de son chiffre d’affaires. BP, Shell et TotalEnergies sont dans le top 20 des producteurs mais en tirent moins de 5% de leur chiffre d’affaires.

Pour être crédible, le label devra assurer a minima l’adoption d’un seuil fondé sur la part des non conventionnels dans la production totale d’hydrocarbures (20%), auquel il sera possible de rajouter un autre critère d’exclusion fondé sur leur part dans le chiffre d’affaires (5% maximum). Le label semble aussi prévoir l’abaissement progressif du/des seuils qui seront retenus, ce qui serait une excellente chose afin de couvrir rapidement tous les producteurs de ces hydrocarbures et les pousser à organiser leur sortie du secteur, telle que demandée par le ministre de l’Economie et des Finances.

Le label risque de toujours financer l’aggravation de la crise climatique

Mais le plus gros manquement du label, sur le climat, pourrait être de ne pas prévoir l’exclusion des entreprises qui continuent de développer des projets strictement incompatibles avec les objectifs climatiques français et internationaux, en plus de générer de lourds impacts sociaux, humains et environnementaux. C’est le cas des nouveaux champs pétroliers et gaziers, reconnus notamment par l’Agence internationale de l’énergie comme n’ayant pas leur place dans un scénario permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 suivant une trajectoire 1,5°C.

A défaut d’exclure dès maintenant toutes les entreprises qui développent de tels projets, le label ISR doit viser leur exclusion dans un laps de temps très court, au risque sinon de continuer d’alimenter l’aggravation des dérèglements climatiques. Prévoir dès maintenant leur exclusion permettrait de les engager de manière crédible dans l’intervalle afin de les pousser à renoncer à leurs projets d’expansion afin de se mettre réellement en transition. Cela concernerait TotalEnergies, qui est la première entreprise européenne et 7ème entreprise internationale à prévoir le plus de nouveaux champs pétroliers et gaziers.

Les orientations, bien que vagues, démontrent la nécessité de se mobiliser pour assurer l’intégration d’exclusions suffisantes pour garantir la crédibilité du label ISR et répondre aux attentes des investisseurs. Concernant le climat, une vigilance sera apportée aux seuils retenus pour le charbon et les énergies fossiles non conventionnelles. Surtout, prévoir une exclusion rapide des entreprises qui développent de nouveaux champs pétroliers et gaziers est indispensable pour ne pas faire du label un outil d’aggravation de la catastrophe climatique. Y manquer serait par ailleurs contraire à l’objectif affiché de fonder le label sur une approche de double matérialité et d’en faire, comme sa Présidente l’indique, un produit au service de la transition (2).

Pour aller plus loin :

Notes :

  1. Bruno Le Maire invitait en 2020 le secteur financier à sortir progressivement des hydrocarbures non conventionnels, après avoir lancé un appel similaire sur la sortie du charbon en 2018. Les acteurs financiers français se sont par la suite dotés de politiques sectorielles couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur liée au charbon et se sont plus récemment mis en ordre de marche pour répliquer la démarche sur les pétrole et gaz non conventionnels. L’AMF et l’ACPR pointent toutefois du doigt les faiblesses des politiques pétrole et gaz et appellent la Place financière à “mettre en place des politiques robustes, transparentes et comparables sur toutes les énergies fossiles”.
  2. Michèle Pappalardo affirme que les fonds devront “accompagner les acteurs économiques dans leur transition vers un monde moins carboné” et “expliquer leur trajectoire Net Zero en 2050, avec des objectifs intermédiaires à 2030 si possible ». A noter qu’n grand nombre d’acteurs financiers français se sont engagés à aligner leur portefeuille sur l’objectif d’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 suivant une trajectoire 1,5°C. Ils sont requis, dans le cadre de l’alliance GFANZ, d’adopter un plan de transition d’ici un an permettant de baisser de 50% leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et de soutenir la sortie des énergies fossiles avec un arrêt au plus vite de tous nouveaux projets dans ces secteurs.