Les Echos publiait vendredi une longue interview (1) accordée à Larry Fink, dirigeant du plus gros gestionnaire d’actifs au monde, BlackRock. Celui-ci y dépeint sa vision de l’avenir et des problèmes de l’Europe, notamment l’inflation et la crise énergétique. En plus de propager un discours erroné, Larry Fink peine à cacher son appétit pour des profits court termistes, quel qu’en soit le prix. Reclaim Finance appelle les clients européens de BlackRock, qui sont notamment les grands fonds de pension et investisseurs institutionnels, à réagir fortement.

Contrairement à ce que Larry Fink avance, de nouvelles capacités d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) et davantage de charbon ne résoudront pas la crise énergétique européenne. Comme l’Agence internationale de l’énergie (AIE) l’a souligné sans équivoque, la crise européenne de l’énergie – et l’inflation qui en découle largement – ont été causées avant tout par la dépendance aux énergies fossiles (2), et plus particulièrement au gaz naturel. Renforcer la dépendance européenne à ces énergies ne fournit donc certainement pas une solution durable à cette crise. La solution réside plutôt dans ce que Larry Fink passe sous silence, à savoir la réduction de la consommation d’énergie et l’augmentation de la production d’énergies renouvelables (3).

La diversification des sources d’approvisionnement en gaz pour compenser les importations de gaz russe est, dans une certaine proportion, nécessaire pour répondre aux besoins énergétiques des européens à court terme. Mais elle n’offre qu’une contribution à court terme et ne doit pas engager à des investissements qui place les énergies fossiles au centre du mix énergétique européen à moyen et long terme :

  • Prioriser la sobriété énergétique et développer les énergies renouvelables, conformément aux objectifs climatiques de l’Union européenne, aurait permis de réduire la consommation d’énergies fossiles bien avant le commencement de la guerre en Ukraine. La France a ainsi notoirement échoué à atteindre ses propres objectifs de déploiement d’énergies renouvelables (4). Si cette action préalable aurait évité la crise, il est encore possible d’agir rapidement pour réduire la consommation d’énergie et accroître la production d’électricité renouvelable (5). Comme le dit Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, “les énergies renouvelables […] nous rendent indépendants des énergies fossiles russes. Elles sont plus rentables. Et elles sont plus propres que tout le reste. Alors saisissons l’opportunité et investissons dans les énergies renouvelables.”
  • Plus de gaz ne va pas de pair avec des prix moins hauts. Le gaz est commercialisé sur le marché mondial, son prix dépend donc de la demande globale. Le prix du gaz avait augmenté avant l’agression russe et la forte demande actuelle assure des prix élevés, particulièrement au regard de la compétitivité des énergies renouvelables. De plus, les nouvelles infrastructures gazières européennes engagent les états des années – voir décennies – et contribuent à l’augmentation de la demande globale et donc à des prix toujours plus élevés (6).
  • Par ailleurs, augmenter notre dépendance au gaz fossile nous rendra toujours aussi vulnérables car l’Europe importe la très grande majorité de son gaz. Parmi ses grands fournisseurs, plusieurs pays – comme les Emirats Arabes Unis ou le Qatar – ne respectent pas les droits humains. Le scénario russe pourrait bien à l’avenir se reproduire avec d’autres fournisseurs.
  • Au-delà, et contrairement aux énergies renouvelables, un système énergétique qui repose essentiellement sur les énergies fossiles reste toujours vulnérable à toute perturbation – même temporaire – de l’approvisionnement. L’AIE note ainsi que la transition vers les énergies propres et la neutralité carbone doit contribuer à limiter l’augmentation des factures d’énergies et – surtout – protéger les consommateurs des chocs énergétiques (7).

Les propos de Larry Fink font écho à son soutien massif aux énergies fossiles, y compris au secteur du charbon. Contrairement à un nombre croissant de gestionnaires d’actifs européens, BlackRock investit toujours sans restriction dans les entreprises qui développent de nouveaux projets de mines et centrales à charbon. Par ailleurs, BlackRock n’a, dans le cadre de son adhésion à la Net Zero Asset Manager Initiative, adopté que des cibles de décarbonation de son portefeuille risibles et n’a pris aucune mesure pour résoudre le problème de sa gestion passive.

Quand Larry Fink applaudit la taxonomie durable de l’Union européenne et se montre tolérant face à une relance du charbon (8), de nombreux investisseurs européens n’ont pas le même avis et se sont eux positionnés contre l’intégration du gaz à la taxonomie (9). Nous espérons que les clients européens de BlackRock ne resteront pas impassibles devant de tels propos qui, si suivis d’effets, offrent des perspectives dévastatrices pour la transition européenne et globale. Nous les appelons à exprimer publiquement leur désaccord avec le virage dangereux que prend BlackRock et à s’engager à revoir leurs mandats de gestion si des gages d’action immédiate, à minima sur le charbon, ne sont pas donnés rapidement.

Notes :

  1. Larry Fink (BlackRock) : « Le populisme alimente l’inflation »
  2. La dépendance aux énergies fossiles et l’intensification du changement climatique peuvent fortement contribuer à l’inflation et la rendre de plus en plus difficile à contrôler. Larry Fink propose pourtant d’aggraver cette dépendance.
  3. Voir notre récent rapport qui présente une voie pour répondre à la crise énergétique en proposant une intervention forte de la BCE en faveur d’une transition énergétique verte au sein de l’Union européenne. Ce rapport rappelle que Fatih Birol – directeur de l’AIE – a mis l’accent sur la nécessité de répondre à la crise en investissant dans les énergies propres lors du récent sommet du G20. Par ailleurs, l’AIE et l’OCDE ont récemment dénoncé le recours massif aux subventions aux énergies fossiles en 2021.
  4. Emission « Le vrai du faux » : « La France est-elle très en retard dans le développement des énergies renouvelables, comme l’affirme Julien Bayou ? »
  5. L’association Negawatt a par exemple identifié des mesures permettant de réduire la consommation française de 10% en 2 ans et plusieurs mesures ont été mises en avant par l’AIE pour réduire les besoins européens en gaz et pétrole.
  6. L’importation de GNL est coûteuse et énergivore, une plus grande part de GNL participe ainsi au maintien de prix du gaz plus élevés à moyen et long terme.Voir notre récent rapport sur le GNL.
  7. IEA, World Energy Outlook
  8. Il est important de noter qu’il n’y a d’ailleurs pas eu de retour en arrière conséquent sur le charbon de la part des Etats européens. La plupart des mesures d’urgence prises par les Etats européens ne remettent pas en cause leur volonté de sortir du charbon d’ici 2030.
  9. Par exemple, à travers le réseau IIGCC qui a publié en janvier 2022 une lettre ouverte appelant à exclure le gaz de la taxonomie.