Benchmark CA100+ : une méthodologie améliorée mais toujours limitée

Le Climate Action 100+ est la plus grande coalition d’investisseurs visant à engager les entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre dans la transition climatique. En 2021, l’initiative a élaboré l’outil Net Zero Company Benchmark pour évaluer leur performance par rapport aux demandes en matière de climat portées par les investisseurs. Alors que débute la seconde phase de l’initiative qui se déroulera jusqu’en 2030, le Climate Action 100+ a mis à jour la méthodologie du benchmark en mars 2023. Cette révision apporte des changements bienvenus, qui renforcent les exigences et la robustesse de la méthodologie. Cependant, elle ne palie pas les défauts et limites de la méthodologie. Ainsi, si le benchmark est un outil utile pour les investisseurs, ceux-ci doivent toujours l’utiliser avec prudence dans leurs démarches d’engagement, notamment dans le contexte des assemblées générales 2023. 

Le benchmark du Climate Action 100+ est constitué de dix indicateurs de transparence, qui vérifient la publication de certaines informations clés sur la décarbonation de l’entreprise, et trois indicateurs d’alignement, qui évaluent l’alignement des actions de l’entreprise avec l’Accord de Paris. À l’heure actuelle, le CA100+ cible 166 entreprises très émettrices de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. 

Cet outil permet aux investisseurs d’identifier les sujets à aborder dans leur démarche d’engagement, ainsi que les entreprises à sanctionner lorsque leur stratégie climatique est insuffisante. La mise à jour de sa méthodologie est le fruit d’une consultation auprès d’investisseurs et d’autres parties prenantes réalisée au cours de l’année 2022. Les premières évaluations basées sur cette méthodologie révisée seront publiées en septembre 2023. 

Des améliorations qui renforcent la crédibilité du benchmark

La majorité de la méthodologie du benchmark demeure inchangée. Les changements apportés ne modifient pas la structure du benchmark, à l’exception de l’ajout d’un onzième indicateur de transparence portant sur la baisse historique d’émissions de gaz à effet de serre.

Les modifications adoptées améliorent la robustesse des indicateurs préexistants :

  • La définition d’objectifs de réduction des émissions en absolu est désormais prise en compte pour les objectifs fixés à moyen terme.
  • La nouvelle version du benchmark se fonde maintenant en grande partie sur le scénario Net Zero Emissions by 2050 de l’Agence Internationale de l’Energie, qui vise à limiter le réchauffement à 1,5°C et projette l’arrêt du développement de nouveaux projets de production d’énergies fossiles, de terminaux de GNL et de centrales à charbon [1].
  • Le benchmark demande aux entreprises de publier davantage d’informations sur leur recours à la compensation carbone et aux technologies à émissions négatives dans l’indicateur relatif à la stratégie de décarbonation.
  • Les critères de l’indicateur relatif au plan d’investissement sont modifiés et l’indicateur requiert désormais une publication des dépenses d’investissement consacrées à des actifs ou produits à forte intensité de carbone.

Des limites à garder en tête pour les investisseurs

Malgré ces clarifications, le benchmark présente toujours des limites importantes qui obligent les investisseurs à faire preuve de prudence dans son utilisation.

Tout d’abord, le benchmark ne hiérarchise pas les critères selon leur importance pour le climat :

  • Tous les indicateurs de transparence sont mis sur un même pied d’égalité alors que certains portent sur des éléments directement liés à la transition et une transformation du business model (par exemple, la définition d’objectifs de décarbonation) tandis que d’autres ne sont que des critères facilitants (par exemple, l’existence d’une gouvernance climatique ou d’un reporting aligné TCFD).
  • Par ailleurs, l’outil se concentre principalement sur la transparence, au détriment de l’alignement. Les trois indicateurs d’alignement sont ainsi beaucoup moins nombreux que les onze indicateurs de transparence, et ils ne couvrent pas tous les secteurs. Cette situation est problématique car les indicateurs de transparence visent à évaluer la publication par l’entreprise de certaines informations clés, mais ils ne disent rien de la qualité des informations publiées. Or, il est crucial que les investisseurs aient pour objectif principal l’alignement des entreprises ciblées et non une simple amélioration de la transparence. Par ailleurs, les indicateurs d’alignement actuels évaluent certains aspects de la transition (l’intégration des risques liés au climat dans les comptes financiers et l’audit, l’alignement des dépenses d’investissement avec l’Accord de Paris, et la compatibilité de la politique de lobbying de l’entreprise avec l’Accord de Paris), mais ils pourraient être complétés par des indicateurs sur d’autres enjeux clés (par exemple, la compatibilité des cibles de décarbonation avec un scénario 1,5°C).

D’autre part, la méthodologie utilisée pour certains indicateurs de transparence est contestable :

  • La définition et l’utilisation du scope 3 est encore trop limitée, alors même que plusieurs acteurs de premier plan, tels que la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ) et le High-Level Expert Group (HLEG) des Nations Unies [2], ont souligné l’importance de la prise en compte de ce scope. Ainsi, le scope 3 n’est pas applicable pour certains secteurs (acier, transport aérien, etc).
  • La fixation d’objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre se base principalement sur des métriques en intensité, au détriment des métriques en absolu qui ne sont pas prises en compte pour l’ensemble des indicateurs concernés (objectifs de réduction des émissions à court, moyen et long terme, stratégie de décarbonation).
  • Les indicateurs relatifs à la fixation d’objectifs à court et moyen terme prennent en compte la compensation carbone, alors qu’elle devrait être réservée pour les émissions résiduelles comme le préconisent les initiatives Science Based Targets et Race to Zero.
  • Le benchmark pourrait renforcer ses exigences sur la fermeture et la vente d’infrastructures carbonées en exigeant la publication d’un plan de fermeture des actifs carbonés, ainsi que la définition de conditions précises encadrant la vente d’actifs carbonés.

Reclaim Finance considère que l’outil du Climate Action 100+ est utile pour les investisseurs dans le cadre de leur démarche d’engagement et leurs décisions de vote, notamment dans le contexte des assemblées générales 2023. Il est toutefois important de garder en tête que sa méthodologie est incomplète et insuffisante pour s’assurer d’un alignement total des entreprises avec les objectifs climatiques poursuivis. Les investisseurs devront donc en parallèle s’équiper d’autres outils – comme l’analyse conduite par Reclaim Finance des plans de transition des majors pétro-gazières – pour s’assurer de la pertinence des plans qui leur sont présentés. 

Notes :

  1. Dans le scénario Net Zero Emissions by 2050 de l’IEA, il s’agit plus précisément des centrales à charbon non équipées de dispositifs de capture de CO2.
  2. Dans sa publication “Expectations for Real-Economy Transition Plans”, GFANZ demande aux entreprises de fixer des objectifs pour le scope 3 « si les émissions du scope 3 sont matérielles ». Le HLEG indique également que les objectifs Net Zero des entreprises doivent inclure des réductions d’émissions sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, incluant ainsi les scope 1, 2 et 3. 

 

lire aussi

2023-05-19T10:41:56+02:00