L’Europe semble avoir surestimé ses besoins en gaz fossile. Pourtant, de nombreuses parties prenantes continuent d’encourager le développement de nouvelles infrastructures de gaz naturel liquéfié (GNL) sur le continent. Prenons l’exemple du terminal d’importation de GNL de Stade en Allemagne, l’un des plus grands terminaux GNL actuellement en cours de développement en Europe. Selon nos recherches, à la mi-mars, le terminal a obtenu un financement de 1,4 milliard d’euros de la part des banques françaises BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et de neuf autres banques européennes et asiatiques (1). En plein boom du GNL en Europe, ce terminal suscite des inquiétudes quant à l’accroissement de la dépendance à l’égard du gaz fossile, menaçant ainsi les objectifs de l’Union européenne en matière de climat. Il pourrait également s’avérer redondant par rapport aux besoins énergétiques de l’Europe à un moment où la consommation de gaz n’a jamais été aussi faible depuis dix ans (2). Les banques doivent améliorer leur jeu : alors que certaines banques restreignent le financement du GNL, en particulier des terminaux d’exportation, il reste encore beaucoup à faire pour répondre aux besoins énergétiques dans un scénario crédible visant à limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C.
Le terminal GNL terrestre de Stade est développé par Hanseatic Energy Hub, un consortium composé du groupe Buss, de Dow, d’Enagas et de la société de capital-investissement Partners Group (3). Il servira à regazéifier du gaz fossile importé, y compris du gaz de schiste en provenance des États-Unis (4). Le terminal a reçu le feu vert à la fin du mois de mars (5) après qu’un accord de financement de projet a été conclu pour couvrir les coûts de construction estimés à 1 milliard d’euros (6). Les banques impliquées dans cette transaction de 1,4 milliard d’euros sont ABN AMRO, Banco Sabadell, BBVA, BNP Paribas, Crédit Agricole, ING, Korea Development Bank, Mizuho Bank, Société Générale, Standard Chartered, Sumitomo Mitsui Banking Corporation et UniCredit (7).
Le terminal GNL de Stade, de l’huile sur le feu
Avec une mise en service prévue en 2027, le terminal GNL de Stade ne répondra pas aux besoins à court terme du continent en gaz fossile. L’Europe compte 37 terminaux d’importation opérationnels, dont huit sont entrés en service et quatre ont été agrandis en 2022 et 2023 (8). En effet, l’expansion du GNL en Europe s’est accélérée dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et des inquiétudes qu’elle a suscitées en matière de sécurité énergétique. Toutefois, la demande de gaz sur le continent n’a cessé de diminuer depuis lors, et la consommation de GNL devrait atteindre son maximum en 2025 (8). Selon les estimations de l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA) (8), la capacité des terminaux GNL en Europe pourrait être trois fois supérieure à la demande de GNL prévue d’ici à la fin de la décennie, alors que de nouveaux terminaux sont encore en cours de construction.
En outre, à long terme, le terminal GNL de Stade risque d’enfermer la région dans une dépendance inutile au gaz fossile, mettant en péril les objectifs climatiques de l’UE (9), en plus des impacts climatiques et environnementaux associés à la fracturation hydraulique (10). Le GNL est une source majeure de gaz à effet de serre en raison des fuites de méthane, principalement dues au processus complexe de transport (11). Cependant, les promoteurs du terminal GNL de Stade affirment que le terminal favorisera la « transition énergétique » car il sera en mesure de traiter le biométhane et le gaz naturel synthétique dès sa mise en service (12). De même, ils affirment que le terminal pourrait être converti ultérieurement pour importer de l’ammoniac comme moyen de transport de l’hydrogène (12). Toutefois, il est peu probable que le terminal transporte à terme des énergies autres que le gaz fossile en quantités significatives. Les perspectives de production à grande échelle de biométhane et de gaz naturel synthétique sont peu encourageantes (13), et les avantages de ces technologies pour le climat sont très discutables (14). De même, la possibilité pour les terminaux GNL d’utiliser de l’ammoniac pour transporter de l’hydrogène à des fins énergétiques reste incertaine en raison de sa faible efficacité par rapport à l’utilisation actuelle de l’ammoniac à des fins industrielles (15).
Le soutien des banques à Stade LNG est le symptôme d’un problème plus large
Certaines banques ont adopté des politiques sectorielles qui limitent le financement de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, reconnaissant que les projections de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) montrent qu’il est possible d’arrêter l’expansion du pétrole et du gaz pour atteindre l’objectif de 1,5 °C sans compromettre les besoins énergétiques mondiaux (16). Toutefois, ils rejettent une conclusion similaire de l’AIE, qui estime que le commerce mondial de GNL a une marge de croissance limitée car la demande de gaz fossile atteint son maximum d’ici 2030 dans tous les scénarios du World Energy Outlook (17). En effet, la plupart des banques peuvent encore financer la plupart des projets de GNL, même si certaines restrictions commencent à être adoptées. Malheureusement, dans presque tous les cas, ces restrictions ne s’appliquent qu’à certains terminaux d’exportation et sont souvent assez vagues pour signifier que les choses restent en l’état (18).
Interrogées sur des projets précis, les banques ont indiqué ces derniers mois qu’elles ne les financeraient pas directement : huit banques ont dit non à Papua LNG en Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont le Crédit agricole, qui était conseiller financier et a également dit qu’elle ne financerait pas le projet Rovuma LNG au Mozambique (19). Sauf que la banque française, comme beaucoup d’autres, se permet encore de financer des projets de GNL : des terminaux d’exportation, tant qu’ils ne sont pas directement impliqués dans un nouveau champ (20) et, plus encore, des terminaux d’importation. Au final, cela montre une déconnexion avec les propres engagements climatiques des banques et leur compréhension des besoins énergétiques : de nouveaux projets GNL ne sont pas nécessaires pour répondre à la demande énergétique mondiale dans un scénario crédible visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.
Les banques doivent agir contre le développement du GNL en adoptant des restrictions strictes sur le financement de projets pour les terminaux GNL d’exportation et d’importation. En outre, étant donné que le financement de projets ne représente qu’une petite partie du financement des énergies fossiles (21), pour empêcher efficacement l’expansion du GNL, les banques doivent en fin de compte mettre fin à leur soutien inconditionnel aux entreprises qui développent le GNL.