Vente d’actions de Saudi Aramco : un service financier à éviter

En juin 2024, l’Arabie Saoudite et le géant pétrolier Saudi Aramco ont annoncé la vente de 1,55 milliard d’actions, soit la transaction la plus importante sur le marché boursier au Moyen-Orient depuis l’introduction en bourse de la société en 2019. Cette opération a été soutenue par plus de 20 institutions financières dont BNP Paribas, HSBC ou encore UBS. Les fonds récoltés iront au gouvernement saoudien et non directement dans les poches de Saudi Aramco pour le développement de nouveaux projets fossiles. Bien que regrettable, cette transaction n’est en rien comparable aux émissions d’actions sur le marché primaire, lesquelles doivent – au même titre que les émissions d’obligations et les prêts – être proscrites de toute urgence pour tous les énergéticiens qui n’ont pas tourné le dos à l’expansion fossile.

Pour se financer, une entreprise a plusieurs options : contracter un prêt, émettre des obligations, ou encore émettre des actions. L’offre d’actions primaires (Primary Share Offering – PSO) est un des deux types d’offres d’actions, à ne pas confondre avec les offres d’actions secondaires (Secondary Share Offering – SSO).

  • A travers une PSO, l’entreprise émet de nouvelles actions et les vend pour la première fois sur le marché à des investisseurs.
  • A travers une SSO, un ou plusieurs actionnaires de l’entreprise vend tout ou partie de ses actions à d’autres investisseurs. Cela ne rapporte donc pas de capital supplémentaire à l’entreprise. La récente vente d’actions de Saudi Aramco rentre dans ce cas de figure. Une SSO diffère de l’achat et la vente d’actions sur le marché secondaire (i.e., le fonctionnement habituel du marché) en raison d’une structuration bien plus importante de l’opération.

Refuser les émissions d’actions pour les développeurs fossiles

Les entreprises peuvent recourir à une offre d’actions primaires (PSO) lors de leur entrée en bourse (1) (Offre Publique Initiale, IPO (2)), mais également lors d’opérations ultérieures (Offres Secondaires, SO (3)). Qu’il s’agisse d’une jeune entreprise en pleine croissance ou d’une entreprise privée bien établie, décider d’une introduction en bourse permet à une société de changer de dimension, en levant des capitaux pour son expansion, pour financer  d’éventuelles acquisitions ou encore pour réduire sa dette (4).

Les services fournis par les institutions financières dans le cadre d’une PSO (coordination, tenue de livres, allocation, conseil…) ne sont pas anodins. Leur concours est indispensable à ces opérations. A l’instar des soutiens à l’émission d’obligations, les soutiens à une PSO doivent être proscrits dès lors qu’il s’agit d’entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles.

En effet, cela fait des années que les scientifiques du climat alertent sur les risques liés au développement de nouveaux projets fossiles. Le scénario Net Zero Emissions (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) projette notamment un arrêt du développement de nouveaux champs de pétrole et de gaz approuvés après 2021 ainsi que l’arrêt de nouveaux projets de terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL).

Par conséquent, les institutions financières doivent renoncer à l’intégralité des (re)financements susceptibles de soutenir le développement de tels projets pétroliers et gaziers. Sont concernés les soutiens dédiés à ces projets mais aussi les services et  financements généraux fournis au niveau des entreprises, tant que celles-ci n’ont pas renoncé à l’expansion pétro-gazière.

Eviter la vente de titres de développeurs fossiles

Saudi Aramco est la première entreprise à développer le plus de nouveaux projets pétro-gaziers strictement incompatibles avec une trajectoire visant à contenir le réchauffement à 1,5°C maximum (5). Se tenir à l’écart de toute transaction à son égard est donc un a priori bien avisé. Mais dans le cas présent, la vente d’action de Saudi Aramco par l’Arabie Saoudite est un cas à distinguer des PSO. Il s’agit en effet d’une offre d’actions secondaires (SSO), initiée ici dans le cadre d’une Offre Secondaire (SO), alors que l’entreprise est déjà cotée en bourse depuis 2019 (6). Plus spécifiquement, le royaume saoudien, principal actionnaire de l’entreprise, a revendu une partie des actions qu’il possédait à d’autres investisseurs.

A travers cette transaction, soutenue par plusieurs banques dont BNP Paribas, le royaume saoudien a acquis du capital qui doit contribuer à financer la diversification économique du pays. Bien qu’il maintient un contrôle majoritaire de Saudi Aramco, l’argent ne devrait donc pas aller à son expansion dans les fossiles. Cependant, lorsqu’une banque endosse le rôle de bookrunner, que ce soit dans le cadre d’une PSO ou d’une SSO, cela signifie qu’elle est chargée de promouvoir le titre d’une entreprise fossile pour inciter ses clients à l’acheter. Dans le cas d’une SSO, c’est certes neutre financièrement pour l’entreprise en question puisque les fonds reviennent à l’actionnaire qui se sépare de ses titres, mais cela demeure par essence problématique en contribuant à renforcer l’attractivité des actions pétro-gazières sur les marchés financiers.

Il est important d’établir une distinction entre les transactions bénéficiant directement aux entreprises fossiles, notamment en leur apportant de l’argent frais (à travers un prêt ou une PSO par exemple), et les opérations bénéficiant principalement à leurs actionnaires (par exemple une SSO). Malgré un impact plus indirect, il demeure préférable pour les acteurs financiers de s’abstenir de participer aux opérations de structuration, conseil et allocation des titres à travers une SSO d’un développeur fossile. Une exception pourrait être faite lorsqu’il s’agit d’accompagner un investisseur dans sa stratégie de sortie de l’expansion fossile.

Notes :

  1.  A noter qu’on peut retrouver à la fois une offre d’actions primaires (PSO) et une offre d’actions secondaires (SSO) lors d’une IPO. En effet, des actions peuvent avoir été vendues à des actionnaires existants (notamment pour leur permettre de maintenir leur proportion de détention du capital de l’entreprise) ou à des investisseurs institutionnels en amont de l’IPO elle-même.
  2.  Initial Public Offering
  3.  Secondary Offering
  4.  Quand le coût du capital est inférieur au coût de la dette, une entreprise peut augmenter son capital au lieu de lever de la dette ou augmenter son capital pour réduire sa dette. Elle a ainsi recours à une PSO qu’elle opère alors en Offre Secondaire (SO) à distinguer des PSO en IPO.
  5.  Voir l’analyse de Reclaim finance sur la stratégie climat de l’entreprise
  6.  Le Monde, Saudi Aramco, la plus grosse introduction en Bourse de l’histoire, 6 décembre 2019.

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2024-06-21T15:16:19+02:00