Deutsche Bank, de loin la plus importante banque commerciale allemande, a aujourd’hui publié la mise à jour de sa politique Sociale et Environnementale. Cette mise à jour contient une exclusion d’énergies fossiles légèrement meilleure que précédemment annoncée, mais échoue pourtant à faire de la banque un acteur fort du changement, aligné sur les meilleures pratiques du secteur. Ainsi, Deutsche Bank continuera à financer la plupart des entreprises qui sont au coeur des industries du charbon, du pétrol et du gaz, et ce malgré l’urgence climatique et sanitaire.

  • Sur l’extraction du charbon:
    • Après avoir progressivement réduit son exposition aux sociétés minières au cours des dernières années, Deutsche Bank s’engage maintenant à sortir du charbon d’ici 2025, à la fois pour ses activités de prêt et pour celles de souscription. Si l’échéance est bonne, un réel problème se pose quant à la définition des “entreprises minières.” Lors de ses échanges avec l’un de nos partenaires allemands, Urgewald, la banque mentionne que cette définition couvre en fait les entreprises qui détiennent plus de 50% de leurs réserves ou de leurs revenus dans des mines de charbon. Il est très compliqué, voire impossible de déterminer quel impact cette restriction aura sur la liste des entreprises couvertes par la politique, mais il est d’ores et déjà certain qu’il ne s’agit pas d’une sortie complète du secteur minier.
    • De nombreuses sociétés minières, très larges et diversifiées, que Deutsche Bank a financé ces dernières années et qui sont toujours ses clients ne seront pas impactées par la politique et pourront donc continuer à recevoir un support financier de la part de la banque dans un futur proche. C’est le cas notamment de Glencore, qui a reçu plus de 350 million de dollars de la banque depuis 2016 selon les données les plus récentes du Banking on Climate Change 2020 report, ou encore de BHP Billiton ou Anglo American.
    • Même pour les entreprises couvertes par cet engagement, telles que Peabody ou Coal India, l’absence d’un critère d’exclusion immédiat sème le doute sur le moment précis entre aujourd’hui et 2025 où ces dernières seront exclues. Cette incertitude est inquiétante, dans la mesure où Deutsche Bank est la 7e plus grande banque mondiale finançant le secteur minier, à hauteur de plus de 1.6 milliard de dollars depuis 2016 toujours selon le même rapport.
  • Sur l’énergie issue du charbon:
    • Deutsche Bank n’a toujours pas adopté un seuil d’exclusion relatif clair et immédiat. Le seuil de 50% basé sur la part du charbon dans la capacité énergétique ou la production d’énergie à base de charbon mentionné dans sa politique ne déclenche qu’une analyse des plans de transition des entreprises couvertes. Cette analyse sera menée d’ici fin 2020 en Europe et aux Etats-Unis, et pas avant 2022 en Asie et dans d’autres pays en développement.
    • Non seulement le seuil d’exclusion de 50% est extrêmement faible, la plupart des banques françaises utilisant aujourd’hui un seuil à 20 ou 25%, mais la banque peut en plus toujours fournir des services financiers aux entreprises se situant au-dessus de ce seuil, pour peu qu’elles aient ce que la banque appelle un “plan crédible de diversification”. Bien sûr, ce “plan crédible” n’est pas défini dans la politique.
    • On ne sait donc pas quelles entreprises au-dessus du seuil des 50% seront considérées comme ayant satisfait à cette exigence. Notons en plus que la diversification n’oblige en aucun cas une entreprise à automatiquement réduire son activité charbonnière en absolu. Ce qui est certain, c’est que la banque continuera à financer toutes les entreprises qui se trouvent en dessous des 50%, y compris certains des plus grands producteurs d’électricité à partir de charbon ainsi que la plupart des entreprises qui envisagent de construire de nouvelles centrales de charbon. Selon la Global Coal Exit List (les données sont de 2019), 163 entreprises (sur 258 entreprises) prévoyant au total 146 GW de nouvelle capacité de production d’électricité à base de charbon (six fois le parc de centrales à charbon de l’Allemagne) sont en dessous du seuil des 50%. C’est le cas par exemple de Kyushu Electric Power, Chugoku Electric Power et Uniper, trois des développeurs de centrales à charbon que la Deutsche Bank finance le plus, avec presque 3 milliard de dollars depuis 2017, selon les données de Septembre 2019.
    • Toutes ces incertitudes et ces lacunes expliquent pourquoi la Deutsche Bank devrait adopter des critères d’exclusion bien plus clairs et immédiats, prenant en compte tous les développeurs ainsi que les entreprises les plus actives dans le secteur du charbon. La banque devrait également adopter une stratégie de sortie du charbon globale, englobant à la fois l’extraction de charbon et l’énergie produite à base de charbon, et en demandant à toutes les entreprises qu’elle finance de démontrer qu’elles ont une stratégie de sortie du charbon crédible d’ici 2030 dans les pays de l’UE/OCDE et d’ici 2040 dans le reste du monde.
  • Sur le gaz et le pétrole:
    • La Deutsche Bank s’engage à mettre fin au financement de nouveaux projets de gaz et pétrole dans l’Arctique et de nouveaux projets de sables bitumineux, mais elle ne restreint aucun service financier au niveau des entreprises. Nous croyons comprendre qu’une part importante du financement de ces activités est levée par le biais du financement d’entreprises et non du financement de projets, ce qui réduit l’impact d’une telle politique. C’est en tout cas ce qui semble être le cas des plus de 1,3 milliard de dollars que la Deutsche Bank a fourni aux sociétés pétrolières et gazières présentes en Arctique depuis 2016, ce qui en fait la troisième banque mondiale active dans ce domaine, selon le rapport mentionné ci-dessus.
    • Même pour les projets dans la région Arctique, l’Arctique est défini comme “basé sur une frontière isotherme de 10° C en juillet, ce qui signifie que la zone ne connaît pas de températures supérieures à 10 °C.” Cette définition semble rendre la région couverte par la politique plus petite lorsque l’on prend en compte l’intensification du réchauffement climatique. Il est donc difficile d’envisager comment la politique sera concrètement mise en place et appliquée.
    • La Deutsche Bank s’engage enfin à mettre fin au financement direct de projets utilisant la fracturation hydraulique, mais cet engagement se limite aux «pays qui présentent un stress hydrique extrêmement élevé», excluant de fait les États-Unis où cette pratique est pourtant majoritairement utilisée.
  • La banque allemande a finalement évoqué son souhait de réduire ses activités commerciales mondiales dans le secteur du pétrole et du gaz après une analyse approfondie d’ici la fin 2020.

Presque tout reste à faire dans le secteur du pétrole et du gaz, et la Deutsche Bank reste bien loin derrière les meilleures pratiques adoptées par certains de ses pairs comme le Crédit Agricole ou BNP Paribas. Tous deux ont mis sur liste noire tous les développeurs de charbon, ont adopté des stratégies mondiales de sortie du charbon avant les dates limites de 2030 et 2040, et ont commencé à mettre sur liste noire certaines sociétés dans le secteur du pétrole et du gaz.


Comme le dit Regine Richter, chargée de campagne énergie chez Urgewald: « La Deutsche Bank, qui cherche à limiter ses activités dans le domaine des énergies fossiles fait un pas en avant appréciable. Cependant d’un point de vue climat, c’est encore trop peu, trop tard. Nous aurions eu besoin que la banque fasse preuve de beaucoup plus d’ambition en 2020. »

Voir la réaction de notre partenaire Urgewald.