La Net-Zero Asset Owner Alliance a présenté lors du Green Horizon Summit lundi son document de position sur le charbon thermique. L’Alliance reconnaît la nécessité de fermer des actifs charbon avant leur fin de vie afin d’assurer une sortie définitive du secteur d’ici 2030 dans les pays de l’OCDE et d’ici 2040 au niveau mondial. Cela est crucial pour atteindre des émissions globales net-zéro d’ici 2050. Cependant, son document autorise la construction de près de 200 GW de nouvelles capacités de production d’électricité à partir de charbon. L’Alliance, qui représente 5 000 milliards de dollars, devra rapidement combler ce trou béant dans sa politique, sous peine de voir s’effriter sa crédibilité, en tant qu’initiative basée sur la science.

  • Le document de position sur le charbon thermique stipule qu’aucune “nouvelle centrale thermique au charbon ne devrait être financée, assurée, construite, développée ou planifiée » et appelle à « une sortie progressive de la production d’électricité à partir de charbon ». Cependant, il indique également que les centrales au charbon actuellement en construction “active” devraient être maintenues.

  • Le résultat est scandaleux, choquant et illogique. La sortie progressive devrait évidemment commencer par les centrales qui n’ont pas été entièrement construites. Pourtant, le Global Coal Plant Tracker permet de montrer que l’Alliance accepte ainsi la construction de 211 nouvelles centrales à charbon, pour une capacité totale de 189,8 GW. Cela représente plus de quatre fois la capacité de la flotte de centrales à charbon actuelle de l’Allemagne, dont la pollution atmosphérique a causé la mort prématurée de plus de 4 200 personnes en 2016.

Cela illustre le conservatisme et l’incohérence du document de position de l’Alliance qui lui-même se réfère au scénario « middle of the road » du GIEC qui indique que l’utilisation du charbon thermique doit être réduite de 75% d’ici 2030. Soutenir la construction de nouvelles capacités massives de production d’électricité à partir du charbon revient à se tirer une balle dans le pied, alors que le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat des Nations unies nous donne une fenêtre de seulement 10 ans pour maintenir le réchauffement climatique à 1,5°C. Les nouvelles centrales à charbon ne sont pas construites pour quelques années mais bien pour des décennies, et ces 211 nouvelles centrales au charbon fonctionneront bien au-delà des échéances de 2030 et 2040 que l’Alliance reconnaît pourtant pour la sortie du secteur.

  • L’un des projets répertoriés comme « en construction » par le tracker est le projet d’expansion du site charbonnier de Turow par PGE en Pologne. Malgré l’échec de ses investissements dans les centrales à charbon qui menacent de provoquer sa faillite d’ici 2021, PGE poursuit la construction d’une unité de production de lignite supplémentaire de 450 MW en plus de sa centrale actuelle de 1 500 MW et agrandit la mine à ciel ouvert associée. La mine est située à la frontière germano-polonaise et prélève 30 litres d’eau par seconde, laissant des villages à sec et menaçant les réserves d’eau souterraine de toute la région. Son expansion est tellement contestée que la République tchèque a déposé une plainte officielle auprès de la Commission européenne contre la mine de lignite de Turów en raison de l’impact que la mine aurait sur l’eau potable de la population.

Ces éléments rendent difficilement compréhensible le fait qu’une alliance ayant pris un des engagements les plus ambitieux en matière de climat puisse échouer au test le plus élémentaire dans la lutte contre le chaos climatique : arrêter tout soutien au développement du charbon.

  • Beaucoup de projets répertoriés en cours de construction dans le Global Coal Plant Tracker n’en sont qu’à leurs débuts. Un premier trou dans le sol, une simple clôture autour d’un site de construction permettent de qualifier un projet comme étant en construction. De plus, non seulement il est tout à fait habituel que des projets « déjà » en construction soient annulés, mais ce serait également la décision économique la plus sage à prendre.
  • Le document de prise de position de l’Alliance sur le charbon thermique reconnaît les recherches de Carbon Tracker et note qu’en 2018, 42 % du parc mondial d’exploitation du charbon thermique n’était pas rentable. En 2030, environ la moitié de la capacité mondiale de charbon thermique pourrait être déficitaire, et en 2040, 72% ne sera pas rentable. Avec un scénario à 2°C, il est probable que les investisseurs et les gouvernements seront confrontés à plus de 267 milliards de dollars d’actifs immobilisés. Ce chiffre sera beaucoup plus élevé dans un scénario 1.5°C.

La définition de la folie est de faire toujours la même chose, mais d’en attendre des résultats différents. Les nouvelles centrales au charbon ne nous mèneront pas à un monde à 1,5°C, mais la Net-Zero Asset Owner Alliance pense encore que c’est possible.

L’Alliance devrait montrer qu’elle est à l’écoute des réactions, agir logiquement et sur la science, et publier d’urgence une mise à jour de son document de position actant l’arrêt de tous soutiens à de nouvelles centrales, y compris celles en construction.

Pour aller plus loin

  • L’Alliance ne plaide pas pour une stratégie de désinvestissement et se concentre encore naïvement et exclusivement sur des stratégies d’engagement. L’engagement est l’épine dorsale de l’Alliance depuis son lancement en 2019 et nous reconnaissons que l’engagement peut être un outil de changement efficace lorsqu’il est basé sur des demandes spécifiques et limitées dans le temps et associé à un processus d’intensification menant au désinvestissement lorsque l’engagement échoue. Toutefois, dialoguer avec des entreprises qui prévoient encore le développement de nouveaux projets liés au charbon cinq années après l’adoption de l’Accord de Paris est une perte de temps. Une stratégie d’engagement solide nécessite beaucoup de ressources et aucun investisseur, même en mettant ses ressources en commun avec d’autres par le biais d’initiatives communes, ne peut engager efficacement toutes les entreprises de son portefeuille. Nous pensons que les membres de l’Alliance devraient consacrer leurs ressources d’engagement à convaincre les entreprises du secteur du charbon qui n’ont pas de plans d’expansion d’adopter des stratégies de sortie du charbon alignées sur l’Accord de Paris et fondées sur les actifs.
  • Il n’est pas encore clair comment et si les membres de l’Alliance aligneront leurs pratiques sur cette déclaration. Selon le Coal Policy Tool, seuls 6 de ses membres excluent de leur univers d’investissement certaines entreprises ayant des plans d’expansion du charbon, et 5 ont prévu de sortir du charbon au plus tard en 2040 au niveau mondial. Certains membres de l’AOA, par exemple CalPERS, ont une politique d’exclusion extrêmement faible et une politique d’engagement tout aussi faible.
  • L’Alliance se réfère exclusivement au Global Coal Plant Tracker pour identifier les projets qui sont en phase de pré-construction ou en construction. Le tracker ne couvre que les centrales à charbon et on ne sait pas encore très bien quelle base de données les membres de l’Alliance utiliseront pour identifier les mines ou les infrastructures de charbon. En outre, le tracker répertorie les projets tandis que les investisseurs investissent dans les entreprises. On ne sait pas non plus comment les membres utiliseront le tracker pour rendre opérationnelle la prise de position de l’Alliance dans le domaine du charbon thermique, notamment dans le cas de joint ventures.
  • Lisez notre réponse à la consultation sur le « protocole de fixation des objectifs » de la NZAOA.