Fin octobre 2020, l’ACPR et l’AMF ont rendu public un premier rapport de suivi et d’évaluation des politiques charbon des acteurs de la place financière de Paris. Nombre de leurs commentaires et recommandations vont dans le sens des analyses et des demandes faites par les ONG sur ce sujet ces dernières années. Florilège et perles rares.

1. Couvrir tout le secteur du charbon, pas moins !

Les régulateurs soulignent l’importance de couvrir toute la chaîne de valeur du charbon thermique dans les politiques adoptées portant sur ce secteur : les mines de charbon, les centrales à charbon mais également les infrastructures de charbon, parfois oubliées, qui peuvent se révéler essentielles dans l’ouverture de nouveaux gisements ou enfermer des pays entiers dans une dépendance néfaste. C’est donc également toute cette chaîne de valeur qui doit également être couverte dans le calcul des expositions des acteurs financiers au secteur, afin de mesurer l’impact concrets de ces politiques. Les régulateurs pointent par ailleurs le fait que seul le charbon thermique est couvert par l’immense majorité des politiques, et pas le charbon métallurgique.

2. Préférer les critères absolus aux critères relatifs

Le rapport indique clairement que les critères absolus de sélection des entreprises charbonnières sont plus fiables et plus pertinents que les critères relatifs : « Les critères absolus conduisent à prendre en compte des entreprises diversifiées, pour lesquelles le charbon thermique représente une part faible du modèle d’affaire, mais qui sont néanmoins des acteurs importants du secteur. Ils permettent aussi de se fonder sur une information plus aisée à obtenir, voire souvent plus fiable que celle liée aux critères relatifs ». L’ACPR reprend même l’exemple de Glencore, un des plus grands producteurs mondiaux de charbon qui ne tirerait que 6% de ses revenus de ce secteur d’après certains fournisseurs de données.

3. Choisir la bonne base de données : la Global Coal Exit List

L’importance primordiale des bases de données utilisées dans l’application d’une politique charbon par un acteur financier fait l’objet d’une section entière et d’un tableau qui illustre la grande diversité de ces données en fonction des différentes sources employées. Le rapport stipule clairement que « la mise en œuvre des politiques dépend ainsi de la qualité des données disponibles, nécessitant la mise en place de contrôles de qualité des données et de processus clairs et transparents pour éviter un risque de cherry-picking. » Un risque élevé puisque les valeurs obtenues peuvent ainsi varier de 1 à 5 pour certaines entreprises, ce qui a pour conséquence qu’une même politique exclura un nombre d’entreprises très différent en fonction de la base de données utilisée.

Reclaim Finance publie à ce sujet aujourd’hui une comparaison entre les données de la Global Coal Exit List et celles de Trucost, très parlante. Les régulateurs demandent donc aux acteurs financiers d’indiquer clairement leurs sources et si celles-ci sont retravaillées en interne avant utilisation. Ils ont choisi pour leurs estimations des expositions des acteurs financiers d’utiliser la Global Coal Exit List, un choix que nous encourageons vivement car c’est la plus complète et la plus fiable.

4. Couvrir toutes ses activités

L’ACPR et l’AMF soulignent également l’importance de bien indiquer la couverture des politiques adoptées, particulièrement concernant les investisseurs. Le rapport précise : « En ce qui concerne la gestion d’actifs, les exemptions peuvent concerner une part significative des encours gérés : mandats et fonds dédiés, pour lesquels l’approche et les politiques de l’investisseur sont déterminantes, gestion indicielle, pour laquelle le gérant est tenu de répliquer un indice, éventuellement. » C’est aussi le cas pour les banques dont « les politiques peuvent intégrer ou pas d’autres services offerts tels que les produits de couverture, le conseil, le trading, etc. »

Étonnamment sur ce point, le rapport des régulateurs ne couvre pas certains détenteurs d’actifs comme le Fonds de Réserve des Retraites ou l’Ircantec, des acteurs pourtant importants de la place de Paris.

5. De la clarté !

La rapport des régulateurs financiers comporte enfin un appel qui nous est familier : de la clarté ! Les exemples sont en effet légion où le diable se cache dans les détails et où la moindre ambiguïté est mise à profit pour élargir les mailles du filet et continuer de laisser filer des gros poissons clients historiques de certains acteurs financiers. Les plus grosses failles mentionnées dans le rapport concernent :

  • Les modalités d’application de la politique pour en assurer le contrôle et le suivi. L’AMF révèle le cas d’un investisseur qui a pu continuer à financer les entreprises exclues par sa nouvelle politique jusqu’à 10 mois après son adoption. Ou encore cet autre cas d’un investisseur qui n’appliquait sa politique qu’à ses plus gros investissements dans le secteur, et pas aux autres.
  • La préférence envers une démarche d’engagement actionnarial ad vitam eternam, sans préciser les modalités de cette intervention et les conséquences, notamment l’exclusion des entreprises, si ce dialogue ne porte pas fruit.
  • La prise en compte de l’existence de plans de sortie du charbon thermique « crédibles » des entreprises du secteur. Le rapport note que les « différences dans les critères retenus pour considérer qu’un engagement est suffisant peuvent créer un risque de cherry picking visant à choisir des critères permettant de conserver un émetteur en portefeuille ». Le rapport épingle cette perle : un acteur financier a considéré qu’une entreprise avait un plan de sortie crédible alors qu’elle était en train de développer de nouvelles unités de production du charbon.

Les conditions d’application des critères d’exclusion doivent donc être simplifiées afin de les rendre moins complexes et plus lisibles pour tout le monde.

La lecture du rapport de l’ACPR et l’AMF est donc un passage obligé pour les acteurs de la place financière de Paris qui devront améliorer leurs politiques charbon en conséquence afin de se consacrer rapidement à l’adoption et l’application de politiques pour les autres secteurs devant s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris, à commencer par le pétrole et le gaz.

Pour aller plus loin

  1. Le rapport de l’AMF et de l’ACPR sur le suivi et l’évaluation des politiques charbon des institutions financières.
  2. Notre analyse de la la liste de 500 entreprises fournie par Trucost et utilisée par la Fédération bancaire française pour évaluer l’exposition des banques françaises au charbon.