Face à l’urgence croissante de réduire les émissions de GES, les entreprises productrices d’électricité du monde entier ont renforcé leurs engagements à abandonner les centrales au charbon. Toutefois, ces efforts impliquent souvent la conversion des installations existantes soit au gaz naturel, soit à la biomasse. La biomasse solide peut émettre entre 3 et 50 % de CO2 de plus par unité d’énergie produite que le charbon. Outre les émissions de gaz à effet de serre, les effets négatifs sur les terres et les écosystèmes de la production du bois, combinés aux conséquences sanitaires dues à la pollution de l’air résultant de l’incinération, font de la biomasse un très mauvais choix pour investir dans une planète saine. Permettre aux entreprises de passer du charbon à la biomasse pourrait donc entraver, au lieu de renforcer, la transition des institutions financières vers un objectif de +1,5°C.

Des réductions d’émissions de GES discutables

Bien que les partisans de la biomasse pour la production d’énergie soutiennent qu’elle est neutre en carbone, des preuves de plus en plus nombreuses montrent que les émissions de biomasse sont plus importantes par unité d’énergie produite que celles provenant de la combustion de charbon. Les scientifiques, les think tanks, les ONG, entre autres, s’accordent à dire que remplacer le charbon par la biomasse n’est pas une solution pour faire face à l’urgence climatique actuelle. Dans une lettre adressée en 2018 au Parlement européen, un groupe de 772 scientifiques conclut que « globalement, le remplacement des combustibles fossiles par le bois entraînera probablement 2 à 3 fois plus de carbone dans l’atmosphère en 2050 par gigajoule d’énergie finale« . En outre, le Conseil scientifique des académies des sciences européennes met en garde contre le décalage entre la science et la politique en matière de bioénergie forestière. Il affirme que puisque les niveaux de CO2 atmosphérique augmentent bien avant que la repousse des arbres puisse réabsorber les émissions, le remplacement du charbon par la biomasse est incompatible avec l’urgence de réduire nos émissions absolues de carbone.

Un moteur de la destruction des forêts

Les impacts négatifs de la biomasse vont au-delà des émissions de GES, elle provoque la déforestation et la perte d’écosystèmes. Alors que l’industrie affirme que la biomasse destinée à la production d’énergie provient des résidus de bois, les résidus seuls ne permettraient pas de répondre à la demande de production d’énergie. L’enlèvement de grumes entières, de branches et de souches pour répondre à la demande actuelle est déjà monnaie courante, la production de granulés de bois ayant plus que quadruplé au cours des dix dernières années. La biomasse solide et le charbon de bois représentent déjà environ 36 % de l’approvisionnement en énergie primaire dans les pays de l’OCDE. La production et la consommation de granulés de bois est la plus élevée en Europe (49 % de la production mondiale), l’Amérique du Nord étant l’un de ses principaux fournisseurs et la demande étant susceptible d’augmenter. Les projets européens proposés de conversion du charbon en biomasse pourraient augmenter la consommation de biomasse de 607 pétajoules (PJ) par an, ce qui signifie que la biomasse brûlée dans les centrales électriques au charbon actuelles et anciennes pourrait tripler par rapport aux niveaux actuels. Une croissance importante de la demande est également attendue en Asie, encouragée dans certains cas par des subventions publiques (par exemple en Corée du Sud et au Japon). Si ces tendances se confirment, elles entraîneront la destruction de la biodiversité et des écosystèmes, ce qui aurait pour effet d’éliminer les puits d’émission naturels.

Une menace pour la qualité de l’air et la santé humaine

En plus des émissions de CO2, la combustion de la biomasse pour produire de l’électricité libère des particules nocives, comme tout autre combustible fossile. La biomasse est particulièrement reconnue pour ses émissions de polluants tels que les particules en suspension, les hydrocarbures aromatiques polycycliques, les oxydes d’azote et le monoxyde de carbone. Tous ces polluants sont associés à de graves problèmes respiratoires, cutanés et oculaires, entre autres problèmes de santé, pour la population vivant à proximité.

Implications pour les IF

Les acteurs financiers ne sont pas à l’abri des conséquences négatives de la biomasse. Le soutien à la biomasse représente des risques de réputation, des risques financiers et de risques réglementaires :

  • L’opposition fondée sur des preuves provenant de divers acteurs, notamment des ONG, des communautés, des scientifiques et des partis politiques, pose un risque pour la réputation des institutions financières.
  • Du point de vue du risque financier, la biomasse est également très discutable. Comparée aux projets d’énergie éolienne et solaire en termes de coûts, la biomasse est plus chère. De plus, la biomasse est très dépendante des subventions qui risquent d’être supprimées à terme en raison de l’opposition publique croissante et des impacts climatiques néfastes. Plusieurs grands projets de production d’énergie à partir de la biomasse ont entraîné des pertes financières et sont souvent associés à des défaillances techniques et à un risque élevé d’incendies et d’explosions.
  • Même si la législation européenne actuelle considère la biomasse comme une source d’énergie renouvelable, elle a été remise en cause ces dernières années et le sera probablement encore dans les années à venir en raison de la pression croissante. Nous expérimentons actuellement des efforts progressifs de décarbonisation tels que le plan d’action de l’UE sur la finance durable, y compris la Taxonomie européenne d’activités durables.

La biomasse contribue à la destruction des forêts, à la dégradation des écosystèmes et à la pollution atmosphérique, autant de facteurs qui nous éloignent de l’objectif de +1,5°C fixé par l’Accord de Paris. Le scénario le plus compatible entre l’agenda du climat et celui de la biodiversité est celui où la décarbonisation massive du secteur de l’énergie est réalisée le plus rapidement possible, tout en minimisant le recours aux ressources de la biomasse. Lorsque l’on évalue les effets nets du passage du charbon à la biomasse avec une approche intégrée des flux de carbone tout au long du cycle de vie, la biomasse s’avère être une solution inefficace et même dangereuse. Investir dans la biomasse sape les investissements qui pourraient être utilisés plus efficacement dans des sources d’énergie plus propres, plus efficaces et moins risquées financièrement.

Pour aller plus loin 

Voir les sites de Biofuelwatch, Ember, Environmental Paper Network et Fern. Voir aussi une compilation des principaux travaux de recherche sur la biomasse sur le site dEconomy, Land & Climate Insight et l’analyse pour les investisseurs de Shareaction.