En février 2021, la société canadienne d’énergie « midstream » Enbridge a annoncé qu’elle avait obtenu un crédit de 1,0 milliard de dollars lié à la durabilité (« Sustainability Linked credit »). En se cachant derrière des objectifs ESG ridicules, cette entreprise spécialisée dans le transport des combustibles fossiles les plus polluants utilise des outils financiers dits « durables » pour aider au financement de son nouveau pipeline « Line 3 », qui détruit le climat et viole les droits. Les institutions financières doivent cesser d’être complices de tels écoblanchiments.

Lors de la présentation des résultats financiers 2020 de son entreprise, Al Monaco, président et PDG d’Enbridge s’est vanté de ce qu’il appelle le  » leadership ESG  » d’Enbridge. Il s’est enorgueilli du fait que l’entreprise était « la première » de son secteur à utiliser une « facilité de crédit liée à la durabilité ».

En effet, le 10 février 2021, Enbridge a obtenu une facilité de crédit liée à la durabilité sur trois ans d’un montant de 1,0 milliard de dollars auprès de la CIBC, de la Banque Scotia (Banque de Nouvelle-Écosse), de la Banque de Montréal (BMO Capital Markets), de RBC Capital Markets et de TD Securities. Jusqu’ici rien de surprenant : ces institutions financières sont également les cinq plus gros financeurs d’Enbridge, de 2016 à 2020 elles ont consacré 48,45 milliards de dollars à l’entreprise – dont 9,11 milliards pour la seule année 2020 -.

Des objectifs ESG pour la destruction de l’environnement

L’opération menée par Enbridge en février n’a pas été faite publiquement. Aucun document n’a été publié par l’entreprise pour décrire clairement en quoi ce crédit est « durable ». L’entreprise s’est limitée à indiquer qu’il intègre ces « objectifs ESG ».

En novembre 2020, Enbridge a présenté de nouveaux objectifs ESG qui incluent deux objectifs environnementaux concernant ses émissions directes de GES (scope 1 et 2) :

  1.  » Réduire l’intensité des émissions de GES de nos activités de 35 % d’ici 2030  » ;
  2. « Atteindre la neutralité carbone de notre activité d’ici 2050″.

Si ces annonces peuvent paraître belles, ce sont en fait des mots creux qui permettent à l’entreprise de continuer à développer des projets et des énergies très polluantes :

  1. Comme indiqué, les objectifs de réduction de GES et de neutralité carbone d’Enbridge ne concernent que les émissions de scope 1 et 2. Ils ne s’appliquent à la part la plus importante de ses émissions : l’utilisation des produits qu’elle vend aux entreprises et les pertes de transmission et de distribution du réseau. Enbridge elle-même écrit que ses objectifs de réduction s’appliquent à moins de 2 % de l’intensité carbone du cycle de vie du pétrole issu des sables bitumineux.
  2. La réduction de l’intensité des émissions ne signifie pas que le niveau absolu d’émissions générées par l’entreprise diminuera. Par exemple, Enbridge pourrait consommer de l’énergie dont l’empreinte carbone est plus faible, mais augmenter sa consommation, maintenant ainsi – voire augmentant – son niveau total d’émissions.
  3. Pour atteindre la neutralité carbone sur ses émissions de scope 1 et 2, Enbridge s’appuie sur la compensation carbone – à savoir des « solutions fondées sur la nature » et des crédits d’énergies renouvelables -. Par conséquent, Enbridge ne ramènera pas réellement ses émissions de scope 1 et 2 au niveau zéro, mais achètera des crédits censés compenser toutes ses émissions résiduelles. Mais ces crédits permettront seulement à Enbridge de compter des « émissions évitées« , et non d’équilibrer l’impact climatique de ces émissions de GES, ce qui rend son affirmation de neutralité carbone infondée.

En examinant de près la stratégie climat d’Enbridge, vous découvrirez qu’elle consiste surtout à construire de nouveaux pipelines et infrastructures de distribution de gaz fossiles. Si l’entreprise aime mettre en avant ses investissements dans les énergies renouvelables, la majorité des projets de croissance de l’entreprise pour 2020 sont toujours liés au pétrole et au gaz – qui représentent 82 % des dépenses totales estimées – et 97 % des investissements de l’entreprise en 2019 ont été consacrés à ces énergies.

Enbridge ignore totalement les études scientifiques qui prouvent que la production de combustibles fossiles doit être réduite de manière drastique. L’entreprise suggère que générer un peu moins de GES lors de leur transport est suffisant pour aligner ses opérations avec l’Accord de Paris.

L’expansion des sables bitumineux financée par des crédits « durables »

Si l’impact d’Enbridge sur l’environnement et son faux engagement en faveur du climat sont une raison suffisante pour ne plus soutenir l’entreprise et rejeter tout financement « durable » ou « vert », l’entreprise donne aux acteurs financiers une autre raison de se tenir à l’écart : le projet de pipeline « Line 3 » dans le Minnesota. Cet oléoduc acheminera le pétrole de la région des sables bitumineux du Canada vers le Wisconsin, favorisant ainsi la consommation et la production d’un carburant qui émet 3,2 à 4,5 fois plus de GES que le pétrole conventionnel.

Les recherches ont montré que les facilités de crédit permettent à Enbridge de disposer des liquidités nécessaires à la réalisation de ses projets d’infrastructures d’énergies fossiles. En particulier, le financement à usage général peut fournir les fonds que les régulateurs exigent pour prendre en compte les risques de fuites de pétrole. En 2018, Enbridge a utilisé des obligations vertes pour financer des projets d’énergie renouvelable, libérant ainsi des capitaux pour poursuivre ses autres investissements dans les énergies fossiles. La facilité de crédit « liée à la durabilité » signée en février est cruciale pour le projet « Line 3 ».

Après six ans d’opposition au projet par les nations tribales et les groupes écologistes, Enbridge a débuté la construction en décembre 2020, malgré les risques liés au COVID, les contestations judiciaires et l’opposition soutenue des communautés indigènes. Ce projet est une catastrophe environnementale : la construction rejetterait 193 millions de tonnes de GES supplémentaires par an, des émissions annuelles équivalentes à 50 nouvelles centrales à charbon. Selon Honor The Earth, elle viole également les droits issus de traités des Anishinaabeg en mettant en danger des ressources naturelles et culturelles essentielles. Ironiquement, les objectifs ESG d’Enbridge incluent la contribution « à la réconciliation autochtone par le biais de stratégies d’emploi et de formation ».

Mettre fin à l’écoblanchiment des énergies fossiles

Le cas d’Enbridge devrait être un avertissement pour tous les acteurs financiers qui souhaitent réellement soutenir les objectifs de l’Accord de Paris et tous ceux qui soutiennent le développement de la « finance durable ». Pourtant, si les affirmations d’Enbridge en matière de durabilité sont choquantes, ce n’est pas la première fois que des entreprises du secteur pétrolier et gazier s’appuient sur des produits dits « verts » ou « durables » pour trouver des capitaux, et ce ne sera pas la dernière. En décembre 2020, NRG a été la première entreprise nord-américaine à émettre une obligation liée à la durabilité (« sustainability-linked bond »), alors même qu’elle n’a aucun plan pour arrêter la production d’électricité à partir de charbon qui représente encore 34 % de son portefeuille.

Les régulateurs financiers et le pouvoir politique doivent créer et adopter des exigences fortes qui obligent les entreprises à suivre de véritables plans d’alignement sur les objectifs de l’Accord de Paris et à détourner les flux financiers des projets et des entreprises qui détruisent le climat. En l’absence d’un cadre réglementaire qui obligerait les entreprises à agir réellement de manière durable, il est du devoir des institutions financières de vérifier soigneusement toute allégation environnementale et de débusquer l’écoblanchiment.