Avec $41 milliards de financements aux énergies fossiles en 2020, BNP Paribas est la banque à avoir augmenté le plus en montant absolu ses soutiens entre 2019 et 2020 au niveau international. Malgré ses politiques sectorielles plus ambitieuses que ses pairs, BNP Paribas est en 2020 le plus grand financeur européen et le 4ème mondial de l’industrie des énergies fossiles, avec des soutiens très significatifs et croissants aux majors pétrolières et gazières. BNP Paribas a réagi dans une lettre adressée à Reclaim Finance et aux 5 autres organisations partenaires du rapport. Ayant utilisé ses mêmes arguments en réponses aux journalistes et ayant partagé cette lettre avec de nouveaux médias, nous répondons ici à ces arguments.

Une aide exceptionnelle liée à la crise ?

Le premier argument avancé par BNP Paribas réside dans le fait que ses soutiens aux secteurs pétrolier et gazier en 2020 ont été exceptionnels, en réponse à la crise du Covid.

  • L’augmentation de ses financements aux énergies fossiles l’an dernier ne confirme pourtant qu’une tendance à la hausse déjà perçue en 2019. La banque avait ainsi déjà augmenté ses financements aux énergies fossiles de 75% entre 2018 et 2019, avant la hausse de 41% observée entre 2019 et 2020.
  • Si l’augmentation de 2020 était uniquement due à la crise du Covid, celle-ci aurait dû être observée pour toutes les banques au niveau international, vu l’impact global de la pandémie sur l’économie mondiale. Ce n’est pas du tout le cas, avec des baisses significatives de la part de grandes banques internationales comme Natixis (-18%), Bank of America (-13%), Bank of China (-8%) ou encore Barclays (-8%) ou Deutsche Bank (-17%). Rappelons qu’au total, les financements des grandes banques aux énergies fossiles ont globalement baissé de 9% en 2020 par rapport à 2019.
  • L’addiction de BNP Paribas aux majors pétrolières et gazières ne date pas de 2020 puisque la banque française est le second financeur de Total sur la totalité de la période couverte par le rapport, de 2016 à 2020, mais aussi et surtout le premier financeur international sur cette période de BP, Shell et Eni.

Les entreprises financées ont opéré un ‘virage critique’ en 2020 ?

BNP Paribas avance ensuite l’argument selon lequel la majorité des financements octroyés aux secteurs du pétrole et du gaz l’ont été à des entreprises qui ont opéré un “virage critique” en 2020 en termes de transition énergétique.

  • La réalité est tout autre et de nombreuses analyses démontrent que même les majors pétrolières et gazières européennes, comme Total, Shell ou Eni, qui ont multiplié les effets d’annonce ces derniers mois, sont encore très loin de faire le nécessaire pour faire face à l’urgence climatique.
  • La plus récente de ces analyses provient de BNP Paribas elle-même, via sa filiale de gestion d’actifs BNP Paribas Asset Management. Celle-ci est membre, au côté de plus de 500 autres investisseurs, de la coalition Climate Action 100+ qui a publié une analyse de l’alignement des stratégies climatiques des plus grands émetteurs de la planète, parmi lesquels les majors européennes. Le bilan est sans appel et aucune de ces entreprises ne remplit ne serait-ce que le minimum nécessaire à une stratégie crédible.
  • Toutes les majors continuent de planifier de nouveaux projets fossiles à travers le monde, même dans les pires secteurs comme en Arctique ou les gaz et pétrole de schistes, et toutes dirigent encore l’écrasante majorité de leurs investissements vers les énergies fossiles. Soit exactement l’inverse de ce que nous impose la science climatique et les Nations Unies qui recommandent une baisse de 3% et 4% par an de la production de pétrole et de gaz d’ici 2030.

Les banques font souvent valoir l’argument que l’exclusion des plus gros pollueurs ne sert à rien car si elles ne les financent pas, d’autres banques les remplaceront. Or, les données financières montrent que c’est surtout BNP Paribas qui a financé les majors européennes en 2020, alors que d’autres grandes banques, comme les banques états-uniennes réduisaient leurs financements – c’est d’ailleurs un point que fait valoir BNP Paribas. Elle était donc en position de conditionner ses financements à de vrais engagements climat de ces entreprises, à commencer par l’arrêt immédiat de l’expansion du secteur. En vérité, BNP Paribas a déjà raté des occasions pour ce faire, comme l’année dernière lorsqu’elle n’a pas soutenu la résolution des actionnaires de Total allant dans ce sens.

Des politiques sectorielles strictes ?

Un autre argument utilisé par BNP Paribas rappelle les évolutions et le renforcement continu de ses politiques sectorielles depuis 2011, qui seraient “strictes”.

  • BNP Paribas a bien amélioré ses politiques concernant les secteurs fossiles, et se retrouve même en deuxième position dans le rapport dans ce domaine derrière UniCredit, et en première concernant les secteurs pétroliers et gaziers.
  • Si ces politiques ont permis de réduire drastiquement ses financements aux entreprises spécialisées dans les énergies fossiles non-conventionnelles, les données financières publiées dans le rapport montrent que celles-ci n’ont à l’évidence malheureusement aucun impact concernant les majors du secteur. Celles-ci comptent pourtant parfois parmi les plus gros opérateurs dans ces secteurs voire s’y développent. Mais elles sont tellement diversifiées que la part de leur activité dans ces secteurs reste sous les seuils d’exclusion retenus par BNP Paribas.
  • Bien qu’ayant des politiques meilleures sur le papier que celles des autres banques sur les pétrole et gaz non conventionnels, BNP Paribas ne répondra pas à l’urgence climatique si elle surcompense l’arrêt de ses soutiens aux entreprises spécialisées par plus de financements aux majors pétrolières et gazières.
  • Pour prendre un exemple, à quoi sert d’adopter comme l’a fait BNP Paribas une politique sur les pétrole et gaz de schiste si c’est pour être la banque à avoir le plus augmenté, en valeur absolue, ses financements à ce secteur entre 2019 et 2020 – avec des financements de $13 milliards en 2020 à BP et Chevron, bien qu’ils fassent partie des plus gros acteurs du secteur.

Un mix électrique financé moins carboné que la moyenne mondiale.

Comme à de nombreuses reprises par le passé et dans ses publications annuelles, BNP Paribas rappelle que son mix électrique financé est moins carboné que la moyenne mondiale.

  • Ce type de comparaison est au mieux maladroit, au pire trompeur. BNP Paribas n’est en effet pas implantée de la même façon dans tous les pays du monde et elle est donc bien entendu tributaire des choix énergétiques pris par les gouvernements des pays où elle est le plus actif.
  • Le choix du nucléaire par la France et par un grand client historique de la banque comme EDF a donc forcément un impact sur le mix électrique financé qui n’est pas dû au choix politique de BNP Paribas, mais à un héritage historique.

Un alignement avec les objectifs de l’Accord de Paris ?

BNP Paribas indique enfin à la fin de sa lettre qu’elle est en train de mettre en œuvre pour les secteurs pétroliers et gaziers la méthodologie PACTA qui mesure l’alignement des entreprises et des secteurs aux objectifs climatiques de l’Accord de Paris.

  • L’utilisation de cette méthodologie et cette approche est la bienvenue, mais elle ne doit pas servir de paravent pour retarder l’échéance des mesures qui doivent être prises immédiatement. A commencer par le conditionnement des soutiens aux supermajors à l’arrêt immédiat de l’expansion du secteur.

Thibaut Ghirardi, Senior Manager, Finance ClimAct ajoute : « PACTA mesure l’alignement des entreprises que vous financez sur les scénarios climatiques. Selon ces scénarios, la production d’énergies fossiles doit diminuer. Pour que vos expositions financières aux entreprises d’énergies fossiles soient alignées avec l’Accord de Paris, ces entreprises doivent diminuer leur production d’énergies fossiles et changer leurs modèles économiques. PACTA est une méthodologie, la façon dont les banques utilisent les résultats de PACTA (c’est-à-dire pour le désinvestissement ou l’engagement) est à leur discrétion. Nous espérons que les banques utiliseront PACTA pour aligner activement leurs portefeuilles avec l’Accord de Paris, et pour prendre des mesures significatives en faveur du climat, ce qui est une priorité pour la 2DII France. »

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