Paris, le jeudi 28 octobre – Les achats d’actifs massifs de la Banque centrale européenne (BCE) liés à la crise du coronavirus ont significativement amplifié le soutien de la banque aux majors européennes du pétrole et du gaz, selon une nouvelle étude choc de Reclaim Finance. Entre avril 2020 et septembre 2021, au moment même où elle élaborait et promouvait sa première “feuille de route” climatique (1), la BCE a acquis 15 obligations de cinq géants pétro-gaziers – Shell, TotalEnergies, Eni, Repsol et OMV. L’ONG accuse la BCE de saper la stratégie environnementale européenne en « reconstruisant plus sale » (“building back dirtier”). Elles demandent à la BCE d’exclure immédiatement les entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles de ses achats et de son cadre de garantie.
De mars 2020 à septembre 2021, les avoirs d’entreprises de la BCE ont augmenté d’environ 64 % (128,7 milliards d’euros). En s’appuyant sur des recherches antérieures, Reclaim Finance estime que la banque centrale a acheté 80 milliards d’euros d’obligations d’activités intensives en carbone – dont 15.3 milliards d’euros d’obligations d’entreprises des énergies fossiles – avec ces nouveaux achats (2).
Ces achats ont notamment bénéficié aux cinq majors pétrolières et gazières européennes (3). Ces entreprises comptent parmi les plus gros émetteurs de CO2 au monde et leurs projets sont en contradiction avec l’accord de Paris et les objectifs climatiques de l’UE. Selon l’analyse de Carbon Tracker, les investissements qu’elles prévoient dans la production de pétrole et de gaz dépassent même ceux compatibles avec un réchauffement climatique de 2,7°C. Shell, TotalEnergies, Repsol et Eni misent agressivement sur le gaz naturel liquéfié et sont impliqués dans le pétrole et le gaz non conventionnels ainsi que dans de grands projets d’expansion.
Du 17 avril 2020 au 3 septembre 2021, le nombre d’obligations de ces sociétés détenues par la BCE a augmenté de 16,2 %, soit 11 de plus pour atteindre un total de 79. La BCE a acquis 15 obligations de ce type durant la pandémie, dont quatre obligations de TotalEnergies (+ 22,2 %) et trois d’Eni (+ 20 %). TotalEnergies est le principal groupe pétrolier et gazier à avoir bénéficié des achats de la BCE (22 obligations), suivi par Eni (18 obligations) et Shell (17 obligations).
Paul Schreiber, chargé de campagne chez Reclaim Finance, explique : « Malgré les nombreux appels à cesser de soutenir le développement des énergies fossiles et à s’aligner sur les objectifs climatiques de l’UE, la BCE a augmenté son soutien aux plus grands pollueurs européens au cours de la pandémie de coronavirus. En augmentant ses achats d’obligations des majors du pétrole et du gaz, la BCE contribue à « une relance sale » après la crise et tourne en dérision ses récents engagements climatiques. »
Certaines des obligations de TotalEnergies et de Shell détenues par la BCE ne seront pas remboursées avant 2040 et 2039 respectivement. De même, la banque conservera les obligations de Repsol, OMV et Eni jusqu’à au moins 2033, 2034 et 2031.
Schreiber poursuit : « La BCE met en garde contre le risque systémique (3) que le changement climatique fait peser sur le système financier mais, dans le même temps, elle détient la dette à long terme de majors pétro-gazières dont les stratégies sont une recette pour le désastre climatique. Les projets d’exploitation d’énergies fossiles prévus par ces entreprises aggraveront considérablement la crise climatique tout en créant autant d’actifs échoués en puissance, maximisant ainsi les dommages pour tous, et les risques physiques et de transition pour l’industrie financière et la BCE elle-même. En les soutenant, la BCE échoue à remplir sa fonction sur tous les plans. »
Alors que 170 000 Européens (4) lui ont demandé de couper ses soutiens aux grands pollueurs, la nouvelle feuille de route climatique de la BCE ne l’empêche pas de continuer d’acquérir les obligations des promoteurs des énergies fossiles (5), rendant ainsi très probable le maintien ou l’augmentation du soutien de la banque aux cinq majors pétrolières et gazières européennes dans les mois et années à venir.