Communiqué de presse

Paris, le 10 mars 2022 – Un mois après que la Commission européenne a approuvé l’inclusion du gaz fossile et de l’énergie nucléaire dans la taxonomie de l’UE, 92 organisations de la société civile appellent les institutions financières à rejeter ce greenwashing en excluant ces deux énergies de leurs fonds et obligations « durables » ou « verts ». Cette lettre ouverte est publiée dans le contexte de la guerre contre l’Ukraine qui rappelle que les démocraties occidentales doivent éliminer leur dépendance aux combustibles fossiles pour limiter l’influence de régimes autoritaires comme la Russie.

Dans une lettre ouverte, 92 organisations de la société civile font le point sur l’échec de la Commission européenne à fournir une taxonomie durable « fondée sur la science » (1). Pour éviter un greenwashing massif, elles demandent aux institutions financières de s’engager publiquement à exclure le gaz fossile et l’énergie nucléaire de tous leurs produits et obligations commercialisés comme durables, verts ou responsables. Cela implique notamment d’exclure ces énergies des fonds « article 9 », définis dans le Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) comme des fonds dont l’objectif est l’investissement durable ou la réduction des émissions de carbone. Les institutions financières peuvent s’appuyer les obligations spécifiques de reporting pour le gaz fossile et l’énergie nucléaire pour opérer ces exclusions (2).

Nick Bryer, responsable des campagnes de 350.org en Europe, déclare : « L’UE sait parfaitement que le financement de nouveaux gazoducs et de nouvelles centrales à gaz n’est pas ‘vert’ ou ‘durable’. Elle a cédé à la pression des lobbyistes de l’industrie fossile, qui veulent que rien ne s’oppose à leurs profits. Nous devons donc nous tourner vers les banques et autres institutions financières pour qu’elles indiquent clairement qu’il est possible d’investir dans le gaz fossile ou d’investir de manière durable, mais pas les deux à la fois.« 

Simone Ogno, chargée de campagne Finance et Climat chez ReCommon, déclare : « La taxonomie de l’UE devrait établir une liste d’activités économiques écologiquement durables, et par ce biais soutenir la transition écologique. Ce n’est qu’en excluant le soutien au gaz fossile et au nucléaire que les institutions financières pourront dire qu’elles font « partie de la solution » à la crise climatique actuelle.« 

L’inclusion du gaz fossile et de l’énergie nucléaire dans la taxonomie pousse les entreprises et les investisseurs à compter le gaz et le nucléaire dans la part durable de leurs activités et de leurs investissements. Ils pourront financer de nouvelles centrales à gaz et de nouveaux réacteurs nucléaires au moyen d’obligations conformes à la norme européenne sur les obligations vertes, une démarche que plusieurs compagnies gazières entreprennent déjà selon Nomura International Plc (3). La taxonomie pourrait également permettre aux institutions financières et aux entreprises énergétiques d’intégrer leur soutien aux deux énergies dans leurs plans de « transition » ou de « neutralité carbone ».

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, les nouvelles centrales à gaz ou les réacteurs nucléaires fonctionnant avec des combustibles fournis par la Russie peuvent bénéficier d’un financement aligné sur la taxonomie ou dit « durable ». Un tel scénario n’est pas improbable : La Russie représentait 45 % des importations de gaz de l’UE en 2021, elle est le premier exportateur de gaz au monde et produit environ 35 % de l’uranium enrichi destiné aux réacteurs nucléaires. La taxonomie pourrait donc permettre à la Russie de continuer à utiliser ses exportations d’énergies fossiles comme une arme géopolitique.

Paul Schreiber, chargé de campagne chez Reclaim Finance, souligne : « La tragique guerre contre l’Ukraine révèle les effets délétères d’une taxonomie européenne ouvrant la porte aux énergies fossiles. Les états démocratiques doivent rapidement réduire leur dépendance aux énergies fossiles pour couper l’herbe sous le pied des régimes autoritaires producteurs comme la Russie (4) et respecter leurs propres engagements climatiques. Pourtant, la décision de l’UE de qualifier le gaz fossile de durable ouvre la voie à une nouvelle dépendance gazière et drape ses producteurs de vert.« 

Le gaz fossile et l’énergie nucléaire sont tous deux exclus de plusieurs normes de finance durable, notamment de la future taxonomie ISO, du cadre des obligations vertes du gouvernement canadien ou du label Greenfin. Plusieurs institutions financières se sont opposées à l’inclusion de ces deux énergies dans la taxonomie européenne (5) et l’IIGCC – un groupe d’investisseurs composé de plus de 370 institutions gérant plus de 50 000 milliards de dollars d’actifs – a haussé le ton contre le gaz.

Regine Richter, chargée de campagne à Urgewald, déclare : « En ouvrant la porte au gaz fossile et à l’énergie nucléaire, la taxonomie européenne devient un standard laxiste et ignore les avertissements du secteur financier. Pour éviter de se tirer une balle dans le pied, les investisseurs doivent compenser l’échec de la taxonomie en excluant le gaz fossile et le nucléaire de leurs fonds et obligations durables ou verts.« 

Notes :

  1. Le gaz fossile et l’énergie nucléaire ne figuraient pas dans la liste initiale d’activités établie par le « groupe d’experts techniques » (TEG) de l’UE. De nombreuses ONG, la propre plateforme finance durable de l’UE et de nombreux experts et groupes travaillant sur les enjeux de durabilité – comme l’organisation européenne Eurosif et les Principes pour l’investissement responsable (PRI) des Nations unies – se sont opposés à l’inclusion du gaz fossile et du nucléaire. Toutefois, le lobbying intensif de l’industrie et les interventions politiques de haut niveau ont eu le dessus sur ces alertes. Selon les propres termes de la commissaire McGuiness, la proposition de la Commission européenne du 2 février qui approuve l’inclusion du gaz fossile et de l’énergie nucléaire dans la taxonomie est un « compromis ». La Commission était sous la pression d’une alliance pro-gaz et nucléaire menée par la France, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, tandis que l’Allemagne et plusieurs autres États membres ont joué un rôle ambigu en se faisant les champions de l’inclusion d’au moins l’une des deux énergies. Seuls quatre pays se sont publiquement opposés à l’inclusion des deux énergies. De plus, à huis clos, les représentants du gaz et du nucléaire ont eu de nombreuses réunions avec des fonctionnaires européens. Les entreprises et organisations gazières ont mobilisé des ressources massives pour obtenir un très grand nombre de réunions et un statut de « transition » pour l’énergie fossile. Une analyse complète de l’acte délégué du 2 février est disponible ici.
  2. Le gaz fossile et l’énergie nucléaire sont considérés comme des « activités de transition » et feront l’objet d’un reporting spécifique. Pour chaque indicateur, la présence ou l’absence du gaz fossile ou du nucléaire dans la part des activités alignées sur la taxonomie ainsi que la part relative du gaz fossile ou du nucléaire dans ces activités devront être publiées.
  3. Selon John Ainger et Greg Ritchie de Bloomberg, « les clients de l’industrie gazière de Nomura International Plc sont déjà en pourparlers avec la banque au sujet de ventes potentielles d’obligations vertes ».
  4. Voir l’article de Carbon Tracker « Clean energy can help undermine Russia and strengthen Europe« , du 2 mars 2022.
  5. Le PDG de Mirova s’est prononcé publiquement contre l’inclusion du gaz dans la taxonomie. Plusieurs acteurs financiers allemands et la RBI autrichienne se sont prononcés contre l’inclusion du nucléaire. Les acteurs financiers néerlandais – dont Achmea et Triodos – ont publié une déclaration commune contre l’inclusion des deux énergies, tandis que les fonds de pension ont appelé la Commission à respecter l’avis de la plateforme européenne sur la finance durable. Les banques danoises Folkesparekassen et Merkur Cooperative Bank se sont également prononcées contre l’inclusion du gaz. Le fournisseur ESG ISS a lui été clair sur l’absence d’impact positif du nucléaire et du gaz sur la durabilité.

Contacts presse :

  • Paul Schreiber, chargé de campagne, Reclaim Finance, paul@reclaimfinance.org (FR/AN)
  • Ognyan Seizov, Communication internationale, Urgewald, ognyan.seizov@urgewald.org (ALL/AN)