Alors que Fortum/Uniper est l’un des principaux producteurs d’électricité à partir d’énergie fossile en Europe (1) et que l’énergéticien peine à proposer un plan de sortie du charbon à la hauteur de l’urgence climatique, il trouve sa place dans les portefeuilles de multiples acteurs financiers, qu’il s’agisse de BNP Paribas, de la Société Générale ou du Crédit Agricole. Entre des dates de sortie du charbon au mieux non alignées avec les recommandations scientifiques, au pire inexistantes, et un recours croissant au gaz, l’entreprise est pourtant loin d’être en transition.

Selon les chiffres de la Global Coal Exit List, de nombreuses banques et investisseurs soutiennent Fortum/Uniper, dont plusieurs acteurs français. Fortum/Uniper est pourtant une entreprise embourbée dans les énergies fossiles, avec encore 13% de son électricité issue du charbon en 2021 et 47% du gaz fossile (2).

Sortie du charbon en trompe-l’oeil …

Malgré une volonté de se présenter comme un acteur de la transition énergétique, Fortum/Uniper n’a pas de stratégie robuste et crédible de sortie du charbon :

  • Son plan de sortie n’est pas détaillé et ne respecte pas les recommandations des scientifiques, avec des centrales à charbon actives jusqu’en 2038 au sein de l’UE ;
  • Les centrales de Berezovskaya (opérée par Unipro, filiale d’Uniper) et d’Apatitskaya (joint venture Fortum / Gazprom) en Russie n’ont pas de date de sortie prévue ;
  • Les centrales à charbon sont soit cédées soit converties au gaz, les émissions ne disparaissent donc pas mais se reportent simplement sur d’autres entreprises ou d’autres énergies fossiles.

De plus, la crédibilité de l’énergéticien est mise à mal par son action en justice contre l’État néerlandais, dont il conteste la date de sortie du charbon du pays, fixée à 2030 (3).

Et recours croissant au gaz

Fortum/Uniper prévoit d’augmenter ses capacités de production issues du gaz d’ici 2035, de tripler son portefeuille de GNL, et développe deux nouvelles centrales à gaz en Allemagne. Pourtant, les conclusions de l’AIE afin de limiter le réchauffement à 1,5 °C sont claires : toutes les centrales utilisant des énergies fossiles et non équipées de dispositif de capture devront avoir été fermées en 2035 pour les pays de l’UE/OCDE.

Alors que la guerre menée par la Russie en Ukraine aurait pu pousser Fortum/Uniper à revoir à la baisse ses ambitions de développement du gaz, le groupe se tourne vers une diversification des approvisionnements (4). Avec la hausse des importations de GNL et la reprise du terminal GNL de Wilhelmshaven en Allemagne, l’énergéticien prépare sa sortie des ressources russes mais ancre sa dépendance aux énergies fossiles.

L’énergéticien demeure par ailleurs actif en Russie à travers ses 12 centrales (5), à gaz ou à cycle combiné, d’une capacité totale de 15 GW d’électricité (6). Si les contrats de long terme d’approvisionnement d’Uniper s’appuient très largement sur les ressources russes (jusqu’à 55% du gaz importé en Allemagne en 2021 (7)), l’énergéticien a même augmenté ses approvisionnements en gaz russe depuis le début de la guerre.

Cet enracinement dans le gaz se fait au détriment des énergies renouvelables, alors que la marge de progression du groupe est considérable : en 2021, moins d’1% de sa production d’électricité était issue du solaire et de l’éolien (8). Malgré des annonces de développement de l’éolien … en Russie, les objectifs d’énergie renouvelable de Fortum/Uniper demeurent faibles et ne risquent pas de combler son retard vis-à-vis des autres énergéticiens européens, comme le montre le graphique ci-dessous :

Politiques d’exclusion des acteurs financiers : resserrer les mailles du filet !

De nombreux acteurs financiers soutiennent Fortum/Uniper, alors même qu’ils ont adopté des politiques sur le charbon. Parmis eux se trouvent plusieurs acteurs français (9) :

  • BNP Paribas, qui en est la 2ème banque (939,99 millions $ de soutien entre janvier 2019 et novembre 2021) ainsi qu’un investisseur (139,84 millions $) ;
  • Société Générale, à la fois banque (231,24 millions $) et investisseur (143,32 millions $) du groupe ;
  • Crédit Agricole, 6ème investisseur (200,46 millions $).

Fortum/Uniper figurent dans les portefeuilles de nombreux autres acteurs français dont AXA ou Crédit Mutuel CIC. De quoi souligner l’insuffisance de leurs politiques et l’urgence à se montrer plus ambitieux, notamment en précisant leurs exigences en matière de plan de transition.

Jusqu’à présent, les acteurs financiers se sont contentés d’exclure les entreprises très exposées au charbon et qui n’auraient pas de plan de sortie. S’ils sont nombreux à demander l’adoption d’un tel plan, trop peu font attention à la stratégie globale de transition des entreprises, en regardant par exemple si elles s’engagent bien à fermer et non à convertir au gaz leurs centrales ou si elles intègrent leur sortie du charbon dans une vraie stratégie de transition visant une sortie de toutes les énergies fossiles, au-delà du charbon. Il est visiblement essentiel de rappeler que le gaz, présenté par de nombreux acteurs économiques et financiers comme une énergie de transition, est en réalité une énergie fossile, composée en majorité de méthane, gaz à effet de serre 84 fois plus important que le CO2 sur 20 ans (10). L’évaluation d’un plan de transition à l’aune de la simple diversification des énergies est donc insuffisante.

Les politiques trop peu restrictives des acteurs financiers permettent de soutenir des énergéticiens tels que Fortum/Uniper, qui sont non seulement engagés dans de mauvais plans de sortie du charbon mais qui entretiennent une dépendance aux énergies fossiles. Restreindre le réchauffement à 1,5 °C implique de sortir du charbon d’ici 2030 mais aussi de fermer les centrales à gaz d’ici 2035 dans l’UE/OCDE. Les banques et investisseurs de Fortum/Uniper doivent donc sans plus tarder requérir de l’entreprise l’adoption d’un vrai plan de transition, au risque sinon de s’engouffrer dans des fausses solutions et rater leurs propres objectifs en matière climatique.

Notes :

  1. Limited Utility report, EMBER/EBC 
  2. Fortum Investor Presentation march 2022
  3. RWE and Fortum attack the Dutch state over its coal exit 
  4. Fortum CEO Markus Rauramo’s statement on the Group’s Russian businesses 
  5. L’annonce d’Uniper concernant un potentiel désinvestissement de sa filiale Unipro ne concerne que 5 d’entre elles (11,3 GW). Il s’agit de centrales à gaz ou à cycle combiné.
  6. Fortum Group in Russia
  7. Update on Uniper’s Russian activities and way forward
  8. Fortum Investor Presentation march 2022
  9. Chiffres issus de la Global Coal Exit List et couvrant la période janvier 2019 à novembre 2021.
  10. IPCC, 2014: Climate Change 2014: Synthesis Report, p.87