Décryptage pré-AG & Réaction post-AG ↓

14 avril 2022 – L’énergéticien français ENGIE tiendra son Assemblée Générale (AG) la semaine prochaine. Le climat figurera parmi les principaux sujets de discussion et ce rendez-vous s’annonce comme un test décisif pour “l’engagement actionnarial”. En apparence, le plan de sortie du charbon d’ENGIE semble satisfaisant: sortie du charbon d’ici 2025 en Europe et d’ici 2027 dans le reste du monde, baisse de 86% des capacités de production d’électricité à partir de charbon depuis la COP21, etc. Mais à y regarder de plus près, sa stratégie de sortie du charbon est plus qu’insuffisante : depuis 2015, transition rime avec cessions, conversions … et gazéification. Avec un recours croissant au gaz, ENGIE a choisi de s’enfoncer dans les énergies fossiles plutôt que d’entrer en transition. Les investisseurs soucieux du climat doivent mettre à profit la tenue de l’AG d’ENGIE pour voter contre le “Say on Climate” défaillant proposé par l’énergéticien, mais aussi pour le questionner sur ses inquiétants choix de transition.

Une stratégie de sortie du charbon principalement basée sur les cessions et les conversions

Jusqu’à présent, ENGIE a vendu la plupart de ses actifs charbon au lieu de les fermer. ENGIE a vendu 15 centrales depuis la COP21, représentant 58% (12,1 GW) de la diminution totale de sa capacité de production de charbon. Si cette stratégie permet à ENGIE de réduire drastiquement son portefeuille charbon (de 20,9 GW en 2015 à 2,9 GW actuellement), elle n’entraîne pas de réductions d’émissions significatives : celles-ci sont simplement transférées vers d’autres acteurs.

Plus de la moitié de ses centrales électriques au charbon restantes (2,9 GW) sont destinées à être soit vendues, soit converties au gaz ou à la biomasse, au lieu d’être fermées. Sur ses huit centrales électriques au charbon restantes, deux n’ont pas de date précise de sortie du charbon. En ce qui concerne les six actifs charbon pour lesquels une date de sortie est fournie, ENGIE prévoit de fermer trois centrales et de convertir les trois autres (deux seront converties à la biomasse, et une au gaz fossile). Avec ces conversions prévues, ENGIE s’engage sur la mauvaise voie.

La conversion de centrales au charbon en centrales à biomasse peut effectivement entraîner une hausse des émissions de CO2 par KWh en raison de la densité énergétique inférieure de la biomasse, des émissions le long de la chaîne d’approvisionnement ainsi que de la conversion moins efficace de la chaleur de combustion en électricité. En outre, l’utilisation de la biomasse à l’échelle industrielle pour produire de l’électricité entraîne souvent la destruction à grande échelle de forêts et a de graves répercussions sur la biodiversité.

Concernant, la conversion au gaz de l’une des dernières centrales à charbon du groupe,  il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg : le mix énergétique d’ENGIE est désormais dépendant à 50% des gaz fossiles.

Pour sa transition, ENGIE mise sur le gaz fossile

Le plan de transition d’ENGIE s’appuie excessivement sur le gaz, que l’énergéticien considère comme un énergie de transition. Pourtant, le gaz est une énergie fossile, composée majoritairement de méthane, un gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement est 84 fois plus important que celui du CO2 sur 20 ans. Or, 50% de la capacité totale de production d’électricité d’ENGIE provient du gaz fossile. Parmi les énergéticiens européens, ENGIE détient actuellement la plus grande capacité de production d’électricité à partir de gaz.

Alors que les conclusions des scientifiques en vue de limiter le réchauffement à 1,5°C indiquent clairement que toutes les centrales électriques à combustibles fossiles doivent être fermées d’ici 2035 pour les pays de l’UE/OCDE, ENGIE accumule de futurs actifs échoués. La plupart des centrales électriques au gaz ont une durée de vie de 20 à 30 ans : construire ou planifier de nouvelles capacités gazières en 2022 est un très mauvais choix stratégique. Et pourtant, ENGIE prévoit toujours de développer ses capacités en gaz en Australie, en Belgique, au Brésil et en Italie.

Enfin, l’engagement d’ENGIE de décarboner sa production de gaz à l’horizon 2040-2045 est très incertain et repose en grande partie sur le développement de gaz renouvelables, comme l’hydrogène vert, qui ne sont pas encore matures. Au niveau mondial, le biogaz et le biométhane ne représentent que 1% de la production actuelle de gaz, et l’hydrogène vert ne représente que 0,5% de la production mondiale actuelle d’hydrogène, soit environ 0,03% de la production mondiale de gaz. En fondant son plan de transition sur des capacités futures purement hypothétiques, ENGIE prend un pari extrêmement risqué. Et dans l’intervalle, cela permet au groupe de continuer à parier sur le développement du gaz fossile.

Un manque d’ambition qui ne permet pas de faire face au changement climatique

Pour la première fois, ENGIE a décidé de déposer une résolution « Say on Climate » lors de sa prochaine AG, ce qui signifie que l’entreprise consultera ses actionnaires sur sa stratégie et ses objectifs climatiques, par le biais d’un vote consultatif non contraignant. Bien qu’un « Say on Climate » soit un premier pas bienvenu, il est malheureusement très insuffisant puisque la stratégie climatique sous-jacente d’ENGIE reste à la fois incomplète et non alignée sur une trajectoire de 1,5°C. En misant sur une stratégie de  » décarbonisation du gaz  » vaguement définie, ENGIE s’engage seulement à contribuer à un monde  » bien en dessous de 2°C « .

Les investisseurs soucieux d’accélérer la transition d’ENGIE doivent se mobiliser lors de son assemblée générale. Le vote sur le climat et le renouvellement du président du conseil d’administration ainsi que du président du comité pour l’éthique, l’environnement et le développement durable offrent une occasion unique de mettre le climat sur le devant de la scène. Les investisseurs devraient également envoyer des questions écrites à l’entreprise française, afin d’obtenir des détails sur un véritable plan de transition.

Notes :

Apprenez-en davantage sur les lacunes de la résolution « Say on Climate » d’ENGIE et accédez à nos recommandations pour les investisseurs avant l’AGA.

Accédez à des informations comparatives détaillées concernant les plans de transition partiels et mal alignés d’ENGIE et d’autres services publics européens.

Paris, 25 avril 2022 – Décryptage suite à l’Assemblée générale d’ENGIE :

En apparence, les actionnaires ont plébiscité la stratégie climatique d’ENGIE : 96,7% des suffrages exprimés l’ont soutenue et seulement 3,3% s’y sont opposés. Ce résultat doit toutefois être fortement nuancé :

  • L’abstention a été importante (NB: l’abstention est bel et bien un vote “actif” et ne comptabilise pas les absents). En la prenant en compte, 86% des actionnaires ont soutenu le plan d’ENGIE, 3% s’y sont opposés et 11% se sont abstenus.
  • Le taux d’approbation de la stratégie climatique d’ENGIE se situe donc : i) Au même niveau environ que celui de TotalEnergies en 2021 (83%); ii) Très significativement en deçà des Say on Climate proposés par de nombreux acteurs, en France (Atos et Vinci à 98% en 2021) ou parmi les pairs internationaux d’ENGIE (Iberdrola à 97% en 2021).

« ENGIE recueille aujourd’hui 86% d’avis favorables sur son plan “climat”, qui n’est pourtant pas aligné sur une trajectoire 1.5°C et fait la part belle au gaz fossile. On est loin du plébiscite que l’entreprise espérait, puisqu’il s’agit du deuxième pire score obtenu en France sur ce type de vote. Que seulement 3% des investisseurs s’opposent à un plan qui revendique ne pas être aligné avec 1,5°C – alors que nombre d’entre eux ont pris cet engagement via des alliances “Net Zéro » – montre que l’engagement actionnarial” reste encore de la rhétorique » déclare Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance.