La toute première stratégie climatique de la Banque centrale européenne (BCE), dévoilée en 2021, marque un tournant dans la politique monétaire européenne. Pourtant, si le changement climatique est désormais un élément incontournable dans le discours des banquiers centraux de l’Eurosystème, la feuille de route de la BCE est loin de soutenir la transition écologique européenne et ne coupe même pas ses soutiens aux entreprises qui creusent de nouvelles mines de charbon ou de nouveaux puits de pétrole et de gaz. Restant sourd à l’urgence climatique et à la crise des prix de l’énergie, la BCE préfère se consacrer à prendre en compte les risques financiers que le changement climatique peut engendrer. Reclaim Finance et 16 ONG présentent des recommandations clés pour tirer parti de la feuille de route climatique de la BCE et prendre réellement en compte le changement climatique dans ses opérations.

En juillet 2021, après un long processus de révision, la Banque centrale européenne (BCE) a présenté une « feuille de route climatique ». Elle marque un changement majeur dans la réflexion des banques centrales, mais ne répond pas à l’urgence climatique. Les mesures qu’elle contient mettront des années à produire leurs effets et ont une portée limitée.(1)

La BCE n’a même pas coupé son soutien – par le biais d’achats d’actifs et de l’acceptation dans la liste des garanties – aux entreprises les plus polluantes, notamment celles qui développent de nouveaux projets de production d’énergies fossiles. Alors qu’elle finalisait et publiait sa feuille de route sur le climat, la BCE continuait d’acheter les obligations de cinq grands groupes pétroliers et gaziers européens dans le cadre de ses mesures liées à la crise du Covid. Cela l’a amenée à acheter pour un montant estimé à 80 milliards d’euros d’obligations d’entreprises très émettrices de CO2 entre mars 2020 et septembre 2021, dont 15,3 milliards d’euros d’obligations liées aux énergies fossiles.

En outre, la feuille de route de la BCE ne contient aucune mesure aidant l’Union européenne (UE) à atteindre ses objectifs climatiques et à accélérer sa décarbonation. Il s’agit d’une faille critique à une époque où l’UE se démène pour répondre à la fois à la crise des prix de l’énergie et pour accélérer sa transition écologique.

Sur ce constat, Reclaim Finance et 16 partenaires ont élaboré un briefing demandant à la BCE de soutenir la transition vers une économie à faible émission de carbone et d’intégrer pleinement les impacts et les risques climatiques dans toutes ses opérations. Ce document fait écho à la demande des citoyens européens qui ont poussé la BCE à adopter une approche audacieuse en réponse au changement climatique et à cesser immédiatement de soutenir les entreprises des énergies fossiles.

Les organisations de la société civile proposent quatre principes que la BCE doit suivre pour construire un système monétaire plus juste, plus durable et plus démocratique :

  • Agir sur la base de son obligation légale de soutenir les politiques économiques générales de l’UE, comme indiqué dans son mandat secondaire en vertu des traités de l’UE
  • Suivre les décideurs politiques européens en reconnaissant et en adoptant le principe de la double matérialité des risques climatiques
  • Mettre en œuvre des mesures à impact immédiat pour aligner toutes ses opérations sur une trajectoire de 1,5°C, en adoptant une approche de précaution et en utilisant les données existantes
  • Travailler pour la société, en améliorant les échanges avec les citoyens et en augmentant la responsabilité démocratique

L’acceptation de ces principes implique la mise en œuvre d’un ensemble de cinq mesures urgentes pour mettre la politique monétaire en conformité avec l’Accord de Paris et les objectifs de l’UE :

  1. Remplacer le principe de « neutralité du marché  » par un nouveau principe qui s’aligne sur les objectifs environnementaux de l’UE 
  2. Décarboner les programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) et les garanties que la BCE accepte des banques, notamment en excluant les entreprises qui développent de nouveaux projets de production d’énergies fossiles
  3. Ajuster les opérations de prêt de la BCE aux banques afin qu’elles soutiennent la transition verte 
  4. Prendre en compte les critères climatiques et environnementaux dans la notation du crédit
  5. Dans son rôle de superviseur de la stabilité financière, soutenir les mesures visant à orienter l’argent vers des activités vertes