En juillet 2021, la Banque centrale européenne (BCE) a dévoilé sa première feuille de route climatique, prenant ainsi la tête de la course d’escargots lancée pour le « verdissement » des banques centrales. En 2020 et 2021, alors même qu’elle construisait cette feuille de route et proclamait sa bonne volonté sur les questions climatiques, la banque achetait des quantités inédites d’actifs en réponse à la pandémie de coronavirus. Alors que ces achats étaient l’occasion pour la BCE de commencer à mettre en pratique ses promesses vertes, ce n’est pas la banque centrale a choisi la direction opposée en acquérant toujours plus d’actifs appartenant aux géants pétroliers et gaziers européens – Shell, TotalEnergies, Repsol, Eni et OMV – qui prévoient pourtant de développer massivement leur production d‘énergies fossiles.
En réponse à la pandémie de Covid-19, la BCE a publié un plan massif d’achats d’actifs, s’engageant à acheter un total de 1970 milliards d’euros d’actifs entre 2020 et 2022. Bien que la majeure partie de ces achats portent sur des actifs du secteur public, cette mesure sans précédent a entraîné une augmentation de 64 % des actifs du secteur privé détenus par la BCE entre mars et septembre 2021 (1). Cette augmentation de 128,7 milliards d’euros a probablement résulté à l’achat d’environ 15,3 milliards d’euros d’obligations liées aux entreprises des énergies fossiles et de 80 milliards d’euros d’obligations dans des activités à forte intensité carbone (2).
Malgré le refus de la BCE de fournir davantage d’informations sur la valeur de ses actifs d’entreprises ou sur leur impact environnemental (3), qui rend impossible de déterminer le montant exact dépensé en obligations liées aux énergies fossiles, une nouvelle recherche de Reclaim Finance révèle que les achats d’actifs liés au covid ont bénéficié aux cinq majors européennes du pétrole et du gaz : Shell, TotalEnergies, Repsol, Eni, OMV.
En effet, du 17 avril 2020 au 3 septembre 2021, le nombre d’obligations de ces sociétés détenues par la BCE a augmenté de 16,2% pour atteindre un total de 79. La BCE a acquis 15 obligations de ce type durant la pandémie. Elle a notamment acquis quatre obligations de TotalEnergies (+ 22,2 %) et trois d’Eni (+ 20 %). TotalEnergies est la principale major pétrolière et gazière à bénéficier des achats de la BCE (22 obligations), suivie par Eni (18 obligations) et Shell (17 obligations). Certaines des obligations des majors pétro-gazières détenues par la BCE ne seront pas remboursées avant 2040 (4).
Problème : ces entreprises comptent parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre au monde et leurs projets sont en contradiction avec l’Accord de Paris et les objectifs climatiques de l’Union Européenne. Selon Carbon Tracker, les investissements qu’elles prévoient dans la production de pétrole et de gaz nous feraient passer au-dessus d’un réchauffement climatique de 2,7°C. Shell, TotalEnergies, Repsol et Eni misent agressivement sur le gaz naturel liquéfié (GNL), sont impliqués dans le pétrole et le gaz non conventionnels et dans de grands projets d’expansion. Pour résumer, soutenir ces entreprises signifie soutenir le développement des énergies fossiles, et donc aller à l’encontre de l’Accord de Paris et des objectifs climatiques de l’UE.
La BCE le savait. Plus de 170 000 Européens lui ont demandé de cesser de soutenir les grands pollueurs, l’exhortant à utiliser ses dispositions “Covid” pour favoriser une reprise verte. Les ONG lui ont demandé à plusieurs reprises d’adopter des exigences minimales pour éviter de voir ses achats d’actifs alimenter le développement des énergies fossiles et prouver sa bonne volonté sur les enjeux climatiques. En fait, la BCE elle-même se méfie plus en plus des impacts du changement climatique, soulignant les risques qu’il crée pour l’ensemble du système financier et exhortant les institutions financières privées à les prendre en compte. Pourtant, pendant tout ce temps, elle continuait d’acheter les actifs des plus grands pollueurs de l’UE.
De plus, la nouvelle feuille de route de la BCE sur le climat ne résout pas le problème. Incomplète, axée presque exclusivement sur les risques financiers et dotée d’un calendrier de mise en œuvre très lent, la stratégie de la BCE n’est pas à la hauteur. Elle ne garantit pas que ceux qui développent les énergies fossiles soient exclus des achats d’actifs de la banque, et s’ils l’étaient ce ne serait qu’en 2023 au plus tôt (5).
Pour la BCE, la première étape est simple : exclure les développeurs du charbon, pétrole et gaz de ses achats d’actifs et de son cadre de garanties. Un petit pas, mais un pas essentiel pour préserver le climat, et pour être au moins un peu crédible quand elle parle de changement climatique.