Au cours des derniers mois, de nouveaux projets de terminaux d’importation de GNL ont vu le jour dans toute l’Europe dans une recherche de diversification des approvisionnements en gaz, s’ajoutant à plusieurs plans existants. La finance privée est essentielle pour permettre la construction de ces nouvelles infrastructures, et de nombreux projets de terminaux doivent encore obtenir des financements et une couverture d’assurance. Les institutions financières doivent prendre conscience de leurs responsabilités et s’engager à ne pas soutenir ces projets, au risque de compromettre leurs propres engagements climatiques.

Boom des projets de terminaux GNL en Europe

Il y a un an, l’approvisionnement en gaz de l’Europe suscitait déjà des inquiétudes, alors qu’elle abordait l’hiver 2021/2022 avec des stocks de gaz historiquement bas. Depuis février 2022, la guerre russe en Ukraine a considérablement exacerbé la crise gazière, au niveau mondial et plus particulièrement en Europe, pour laquelle le gaz russe représentait plus de 40% de la consommation totale de gaz en 2021 (1).

En réponse à la baisse des importations de gaz russe, une vague de projets de terminaux d’importation de GNL sont apparus dans toute l’Europe, avec au moins 16 nouveaux projets et 6 plans dormants réactivés (2), pour augmenter la capacité actuelle d’importation de GNL, en plus de plusieurs développements déjà existants. Au total, la somme des nouvelles capacités d’importation proposées pourrait presque doubler la capacité actuelle.

Des investissements irréfléchis qui ne résoudront pas la crise actuelle

Tous ces projets passent à côté de l’essentiel : de nouvelles capacités d’importation de GNL ne résoudront pas la crise énergétique. En effet, ces projets :

  • Ne seront pas opérationnels avant plusieurs années (avec un délai moyen de construction des derniers terminaux d’importation de GNL en Europe de 3,5 ans à partir de la décision finale d’investissement), et arriveront donc trop tard pour résoudre le manque de gaz à court terme ;
  • Ne permettront pas à l’Europe d’importer davantage de gaz en raison de marchés mondiaux du gaz tendus – le gaz que l’Europe pourrait importer grâce à ces nouvelles infrastructures n’est tout simplement pas disponible actuellement sur les marchés mondiaux du gaz – étant donné l’augmentation de la demande mondiale de gaz ;
  • En outre, même si toutes les capacités d’importation par gazoduc de la Russie n’étaient pas disponibles, la capacité d’importation nette de l’UE resterait supérieure à la demande de gaz dans différents scénarios 1,5°C (3) ;
  • Renforcera la dépendance de l’Europe à l’égard des principaux pays exportateurs de GNL, ce qui soulève la question de la sécurité énergétique – en 2021, 3 pays ont fourni plus de 70 % du GNL de l’Europe : la Russie, les États-Unis et le Qatar (4) ;
  • Aura des effets néfastes sur la pauvreté énergétique, tant en Europe qu’au niveau mondial.

Non seulement ces projets de terminaux d’importation de GNL, qui ont été proposés dans un climat de panique généralisée et dénotent un manque de coordination, ne constituent pas une solution adéquate à la crise énergétique, mais ils sont également lourds de conséquences pour le climat.

Des perspectives dévastatrices pour la transition européenne

Chaque goutte de GNL est constituée de gaz fossile, composé majoritairement de méthane, un gaz à effet de serre 86 fois plus nocif que le CO2 sur 20 ans (5) et responsable de 30% de l’augmentation des températures mondiales depuis la révolution industrielle (6). Le GNL, dont la chaîne d’approvisionnement est plus complexe que celle du gaz conventionnel, présente de multiples points de fuite de méthane potentiels. Le recours au GNL risque d’amplifier les émissions de méthane, et donc le potentiel de réchauffement planétaire du gaz européen, ce qui est d’autant plus vrai que l’Europe importe de plus en plus de gaz de schiste américain – l’un des pires gaz en termes d’émissions de méthane.

Avec une durée de vie de 30 ans ou plus, les projets GNL sont extrêmement susceptibles de créer un carbon lock-in. En enfermant l’Europe dans une dépendance continue aux combustibles fossiles pour les décennies à venir, elles pourraient générer des émissions de gaz à effet de serre qui empêcheront l’UE d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de 55 % en 2030 et de neutralité climatique en 2050. Si ces infrastructures sont construites, la seule façon d’éviter ce risque sera de fermer les terminaux récemment mis en service, entraînant un accroissement massif des actifs échoués.

L’exemple du terminal du Havre : un projet précipité et opaque

Le projet de terminal flottant du Havre est un projet directement issu de la guerre de Poutine et de la crise du gaz en Europe. Les premiers détails ont été publiés en mars 2022, et la mise en service est prévue pour septembre 2023 (7). Ce projet, exploité par TotalEnergies, devrait avoir une capacité de 5 milliard de mètre cube par an. Peu d’informations ont été rendues publiques, notamment sur le coût du projet, sa durée d’exploitation prévue ou les contrats d’importation qui y sont associés.

Malheureusement, les détails des impacts environnementaux du terminal ne seront pas non plus rendus publics, en raison de la décision du gouvernement français d’accélérer le projet à travers la récente loi pouvoir d’achat, qui accorde au projet de nombreuses exemptions au code de l’environnement et permet le début des constructions avant même que toutes les autorisations classiques aient été obtenues (8).

Les institutions financières peuvent limiter la construction de ces projets

Ces projets de terminaux GNL représentent des besoins de financement considérables, de plusieurs centaines de millions de dollars. Par exemple, les projets de terminaux de regazéification terrestres allemands de Brünsbuttel et de Stade nécessitent des investissements de 500 et 580 millions de dollars respectivement. Si une partie des investissements nécessaires sera prise en charge par les États dans certains cas, les fonds privés auront également un rôle à jouer. Or, les politiques pétrolières et gazières concernant les infrastructures de GNL sont pratiquement inexistantes.

Les institutions financières privées qui se sont engagées à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, y compris les membres de l’alliance GFANZ, ne doivent pas soutenir ces projets destructeurs de GNL. Les institutions financières ne doivent pas octroyer de financement à ces projets, et doivent développer des exclusions sérieuses les concernant, ainsi que des pratiques d’engagement avec les utilities qui alimentent la dépendance de l’Europe au GNL.