C’est dans un contexte marqué par la crise énergétique et les débats sur les superprofits que se tiennent depuis hier les journées investisseurs de TotalEnergies. A cette occasion, Reclaim Finance et Climate Votes (1) révèlent lesquels de ses actionnaires ont approuvé en mai dernier son plan “climat”, qui prévoit le développement de nombreux nouveaux projets pétroliers et gaziers, à rebours des recommandations pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. La major française fait par ailleurs l’objet d’une action en justice pour manquement à son devoir de vigilance climatique (2) et a été mise en cause par le Parlement européen ce mois-ci pour violations des droits de l’homme en raison de ses projets EACOP et Tilenga en Afrique de l’Est (3)

Reclaim Finance et Climate Votes ont eu accès à des informations provenant de la base de données Insightia, qui agrège les votes des actionnaires aux assemblées générales ainsi que leurs justifications de vote (4). Tous les investisseurs ne publiant pas ces informations, les données disponibles à travers Insightia restent partielles. Elles suffisent toutefois pour dégager des tendances. Les conclusions qui suivent sont tirées d’une analyse portant sur 221 investisseurs.

Les plus gros actionnaires de TotalEnergies votent contre le climat

Parmi les plus grands investisseurs de la major française, seule une minorité, comprenant LGIM, Nordea ou encore Schroders, s’est opposée à son plan “climat” lors de l’assemblée générale de mai 2022. La majorité des actionnaires (5), réunissant entre autres Amundi, AXA IM, BNP Paribas AM ou encore BlackRock (6), a approuvé son plan, malgré leur engagement à limiter le réchauffement à 1,5°C et à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Pour rappel, TotalEnergies est la 7ème entreprise au monde à prévoir le plus grand nombre de nouveaux projets pétroliers et gaziers (7). Bien loin de rapprocher les investisseurs de leurs objectifs climatiques, ce vote va donc à l’encontre de ce qui est attendu d’eux en tant que membres de la Net Zero Asset Manager Initiative (NZAM) (8) : à savoir adopter d’ici juin 2023 un plan de transition dans lequel ils devront apporter des gages sur la manière dont ils soutiennent l’arrêt de l’expansion des énergies fossiles et en accompagnent la sortie (9).

Parmi l’infime minorité s’étant abstenue, deux autres grands investisseurs apparaissent : Aviva Investors et DWS.

Échantillon de votes des actionnaires de TotalEnergies :

Gestionnaire d’actifs Vote sur le plan « climat » de TotalEnergies
(« Pour », « Contre », « Abstention »)
Allianz Global Investors Pour
Amundi Pour
AXA Pour
BlackRock Inc. Pour*
BNP Paribas Asset Management Pour
Capital Group Pour
DWS Investement GmbH Abstention*
HSBC Global Asset Management Pour*
Legal & General Investment Management Contre
Nordea Bank Oyj Contre
Schroders PLC Contre
T. Rowe Price Associates, Inc Pour
UBS Asset Management Pour*

*Pour la majorité de leurs actifs sous gestion.

Votes contre : l’exemplarité d’un engagement pour la transition

Des inquiétudes communes émergent parmi les actionnaires s’étant abstenus ou ayant voté contre le plan “climat” de TotalEnergies :

  1. La production d’énergies fossiles augmente et de nouveaux projets continuent d’être lancés.
  2. Il manque des informations pour évaluer la stratégie de l’entreprise. Notamment, il n’y a pas d’objectif clair en valeur absolue sur les émissions de scope 3.
  3. Les cibles / le CAPEX ne sont pas alignés avec un scénario 1.5°C.

Le projet le plus controversé de TotalEnergies, EACOP, n’est que le révélateur de la stratégie expansionniste de l’entreprise. Cette stratégie, que certains investisseurs estiment en avance par rapport à ses pairs européens, est pourtant celle qui prévoit le plus de nouveaux projets de production de pétrole et de gaz. Ces nouveaux projets signifient que la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique sera limitée à moins de 15% en 2030.

A juste titre, les investisseurs s’inquiètent du fait que les engagements de TotalEnergies ne sont pas fondés sur la science et ne contribueront pas à limiter le réchauffement à 1.5°C. A court terme, plus de 70% des investissements de l’entreprise sont orientés vers le pétrole et le gaz. Ainsi, TotalEnergies aura à minima émis en 2050 32% de gaz à effet de serre de plus que ce qu’il faudrait pour respecter son budget carbone, et limiter le réchauffement climatique à 1,5°C  (10).

Votes pour : des engagements net-zéro bafoués sur l’autel des dividendes

A l’inverse, les investisseurs qui ont voté pour le plan “climat” l’ont justifié de cette façon :

  1. La stratégie progresse et TotalEnergies leur permet de voter annuellement sur celle-ci.
  2. La stratégie climat fait partie des meilleures pratiques sur le marché et TotalEnergies est “moins pire” que les autres majors.
  3. TotalEnergies investit dans des solutions bas carbone, des sources alternatives d’énergie et des technologies bas carbone.
  4. Les cibles de TotalEnergies sont crédibles / alignées avec une trajectoire 1.5°C / alignées avec l’Accord de Paris.

Ces justifications, et en particulier les trois premières, montrent que les investisseurs continuent de plébisciter de manière quasi-automatique les plans “climat” présentés par les majors pétro-gazières, même lorsque ces derniers ne sont pas compatibles avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. En effet :

  1. Approuver un plan au motif d’être consulté et d’apprécier la transparence d’un émetteur dévoie totalement la raison d’être des résolutions “Say on Climate”.
  2. Approuver un plan en raison de sa performance relative par rapport aux autres acteurs du secteur revient à faire passer la gestion du risque climatique avant l’action climatique.
  3. Approuver un plan en se focalisant sur des critères partiels (ici, les investissements “bas carbone”) revient à acter l’échec de l’Accord de Paris dont la réussite dépend d’agir à tous les niveaux.

Quant à la raison 4, il ne faut que déplorer le double discours des actionnaires qui tiennent un tel propos alors que leur analyse collective des engagements de TotalEnergies conclut au non alignement de la stratégie de la major française (11). Peut-être faut-il aussi rappeler que Amundi, BlackRock, ou encore BNP AM se sont engagés à baisser leurs émissions de 50% à horizon 2030 et que TotalEnergies ne prévoit une baisse de ses émissions que de 6 à 7% d’ici 2030.

Alors que la double crise inflationniste et de l’énergie nous exhorte à organiser la sortie progressive des énergies fossiles, les investisseurs qui soutiennent aujourd’hui TotalEnergies seront demain peut-être tenus à leur tour de répondre de leur responsabilité dans le chaos climatique et les injustices sociales et économiques qui en résultent. 

Notes :

  1.  Climate Votes est un collectif composé de spécialistes de la finance climatique qui s’engagent auprès des investisseurs institutionnels à utiliser leur pouvoir d’actionnaire pour une véritable action climatique.
  2. 16 collectivités et 6 associations attaquent TotalEnergies en justice et demandent au Tribunal judiciaire de Paris d’enjoindre à TotalEnergies de reconnaître les risques générés par ses activités et de lui imposer d’adopter des trajectoires d’émissions de GES compatibles avec les grands objectifs climatiques internationaux.
  3.  Le 15 septembre 2022, le Parlement européen a adopté une résolution d’urgence dénonçant les violations des droits humains et les risques majeurs pour l’environnement et le climat causés par les projets Tilenga et EACOP, respectivement un champs pétrolier et un oléoduc chauffé de 1400km, développés par TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie.
  4.  Reclaim Finance appelle tous les investisseurs à publier bien distinctement sur son site ces deux éléments et à les intégrer à une politique publique de vote détaillée, afin d’exposer clairement leurs attentes.
  5.  68% des investisseurs de TotalEnergies dans notre échantillon ont voté pour son plan “climat” et sa stratégie d’expansion dans les énergies fossiles.
  6.  Excepté deux fonds de BlackRock ayant voté contre le plan climat de TotalEnergies.
  7.  D’après les données de la Global Oil and Gas Exit List.
  8.  Parmi les 10 plus gros actionnaires de TotalEnergies, tous sauf 1 sont membres de la NZAM.
  9.  D’après les nouveaux critères de l’initiative Race To Zero mis à jour en juillet 2022.
  10.  Voir notre analyse Major Failure.
  11.  D’après la coalition d’investisseurs Climate Action 100+