Communiqué de presse

Paris, le 24 octobre 2022 – Trois jours avant la tenue à Paris du Climate Finance Day, Société Générale annonce des cibles de décarbonation pour les secteurs de la production d’électricité ainsi que du pétrole et du gaz. Reclaim Finance déplore l’absence d’annonces immédiates permettant de stopper l’expansion du secteur pétrolier et gazier, pas même dans les secteurs non conventionnels, et appelle le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire à prendre enfin ce jeudi des mesures visant à contraindre les acteurs de la place financière de Paris à s’aligner sur une trajectoire 1,5°C.

Société Générale vient d’annoncer (1) plusieurs cibles de baisse de son exposition et des émissions pour les secteurs de la production d’électricité ainsi que du pétrole et du gaz (2). Cela découle de son engagement, à travers la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) et la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), à aligner son portefeuille avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 afin de limiter le réchauffement à 1,5°C .

“Société Générale s’acquitte du strict minimum et se trompe de priorité. Il y a urgence à signaler le plus explicitement possible aux entreprises des énergies fossiles qu’elles ne sauraient prétendre à de nouveaux services financiers si elles ne cessent de développer de nouveaux projets dans ces secteurs. Cette année encore, Société Générale a multiplié des financements à des entreprises qui ouvrent de nouveaux projets de pétrole, de gaz et même de charbon et ses nouveaux engagements ne pourraient rien y changer.” déplore Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance.

L’adoption de cibles de décarbonation et de baisse d’exposition sur les secteurs les plus carbonés permet de guider la trajectoire d’un portefeuille mais relève plus de la gestion des risques financiers que d’une approche visant un alignement avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. En effet, non seulement ces cibles ne couvrent pas l’intégralité des activités de financement des banques et sont pour certaines exprimées en valeur relative et non absolue (3), mais les acteurs financiers peuvent les atteindre tout en maintenant des financements à des entreprises qui développeraient de nouveaux projets pétroliers et gaziers, lesquels sont incompatibles avec l’objectif 1,5°C. (4)

Pour prendre un exemple concret, Société Générale peut financer TotalEnergies à travers un prêt général. Ce prêt contribuera à la forte stratégie d’expansion de la major dans le pétrole et le gaz et donc au développement d’actifs incompatibles avec l’objectif 1,5°C. Si le prêt est remboursé avant 2030, ces actifs ne figureront pas au bilan de Société Générale mais ils continueront bien à émettre au-delà de cette date, grignotant encore du budget carbone ou se transformant en actifs échoués (stranded assets).

Il est donc important d’adopter des mesures supplémentaires permettant d’atteindre des baisses immédiates d’émissions dans le monde réel. En juin dernier, le Crédit Agricole (5) a pour cette raison complété l’annonce de ses cibles de décarbonation par un engagement à revoir sa politique pétrole et gaz, et à faire cela en cohérence avec les recommandations de la GFANZ (6). Reclaim Finance regrette l’absence d’un tel engagement par Société Générale.

Depuis 2016, Société Générale a apporté US$87,4 milliards aux énergies fossiles selon le Banking On Climate Chaos (7) dont US$33,6 milliards aux 100 principaux développeurs d’énergies fossiles. Parmi eux, Société Générale a apporté US$5,9 milliards à ExxonMobil, US$3,7 milliards à Saudi Aramco et US$3,5 milliards à BP qui figurent tous parmi les 10 principaux développeurs de pétrole et de gaz dans le monde. ExxonMobil entend même développer massivement son activité dans les pétrole et gaz de schiste, qui représentent 30% de ses plans d’expansion (8).

Par ailleurs, alors que Société Générale note avoir “bien avancé sur ses engagements de sortie totale du secteur du charbon à l’horizon 2030 pour les pays de l’UE et de l’OCDE et 2040”, Reclaim Finance a relevé en 2022 au moins une transaction à une entreprise qui figure parmi celles prévoyant toujours le développement de nouveaux projets charbon : le conglomérat japonais Marubeni (9) qui produit 25% de son électricité à partir de charbon et qui prévoit toujours le développement de nouvelles centrales au Japon et en Indonésie, pour une capacité totale de 410 MW (10).

Société Générale annonce également d’autres mesures aux contours extrêmement flous et dont il est impossible de mesurer la matérialité. C’est le cas d’une “cible de 300 milliards d’euros de contribution à la finance durable à horizon 2025, qui concerne tous les métiers sur les enjeux à la fois environnementaux et sociaux”. Reclaim Finance regrette l’absence de précisions concernant les soutiens de la banque aux énergies renouvelables. Un récent rapport de BloombergNEF indiquait en effet qu’il faudrait investir 4 dollars dans l’approvisionnement en énergies renouvelables pour chaque dollar investi dans l’approvisionnement en énergie fossile entre 2021 et 2030 afin de rester sur la voie des scénarios à long terme de 1,5°C de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et du Network for Greening the Financial System (NGFS) (11).

“Cette annonce montre une fois de plus le mythe de l’autorégulation puisque Société Générale ne répond même pas à la demande de Bruno Le Maire d’adopter des politiques de sortie du charbon et des énergies fossiles non conventionnelles. Il est temps pour lui de passer de la demande à la contrainte” conclut Lucie Pinson.

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Notes :

  1. Voir le communiqué de presse de Société Générale
  2. Société Générale a renforcé son objectif de réduction de son exposition au secteur de la production de pétrole et de gaz, en passant de -10% à -20% d’ici 2025 vs 2019 et ajouté une cible en émissions carbone absolues liées à l’utilisation finale de la production de pétrole et de gaz de -30% en 2030 vs 2019. Cette nouvelle cible est cohérente avec la réduction des émissions absolue du secteur dans le scénario NZE de l’AIE (28%) ou encore OECM (24,5%). Cette cible sera un indicateur utile pour suivre la décarbonation réelle du secteur à condition que les émissions mesurées comprennent bien les émissions de méthane. Société Générale a aussi renforcé son objectif de baisse de l’intensité carbone de l’exposition au secteur de la production d’électricité qui passe à 125g de CO2 par kWh en 2030 (vs 163g précédemment). Cette dernière cible reste uniquement formulée en termes d’intensité carbone, et non d’émissions absolues qui garantissent une réelle décarbonation du secteur. Cependant, comme la Société Générale l’indique, cette cible est légèrement inférieure à l’intensité carbone du secteur en 2030 dans le scénario NZE de l’AIE. Elle se situe aussi juste en deçà de l’intensité carbone atteinte à la même date dans le scénario OECM (135 gCO2/KWh en 2030) qui ne repose pas sur le déploiement de capture de CO2 technologique.
  3. Ne sont notamment pas couvertes les activités d’émissions obligataires qui représentent pourtant une part significative de l’activité bancaire dans le secteur pétro-gazier.
  4. L’incompatibilité du développement de nouveaux champs pétroliers et gaziers avec la limitation du réchauffement à 1,5°C a été clairement établie par le GIEC et d’autres scientifiques qui soulignent que la consommation des réserves actuellement exploitées épuiserait quasiment le budget carbone restant pour limiter le réchauffement à 2°C. Cette incompatibilité est aussi reconnue par l’AIE dans son NZE et dans l’OECM. De même, le GIEC rappel pourtant que l’annulation de nouvelles centrales est un impératif pour limiter le réchauffement à 1.5°C. Dans le NZE, la production d’électricité à partir de gaz diminue fortement : elle représente moins d’un tiers des niveaux de 2020 en 2040 et baisse même de 90 % pour les centrales non équipées de dispositifs de capture. L’absence de critères spécifiques limitant les soutiens aux nouveaux projets gaziers dans l’annonce de Société Générale est d’autant plus problématique que – en l’absence de déploiement massif d’une capture de CO2 immature et couteuse – seules les énergies renouvelables permettent d’atteindre l’objectifs d’intensité fixé.
  5. Crédit Agricole, Plan ‘Ambitions 2025’, 2022
  6. Société Générale a rejoint en juin 2021 la Net-Zero Banking Alliance (NZBA), une des coalitions d’acteurs financiers abritées par la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ). Ces coalitions engagent leurs membres à s’aligner sur les critères fixés par les Nations Unies via l’initiative Race to Zero, notamment publier d’ici juin 2023 un plan de transition dans lequel ils expliquent comment ils entendent diviser par deux leurs émissions d’ici 2030, atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, et contribuer aux objectifs d’arrêt de l’expansion des énergies fossiles et de sortie progressive du secteur.
  7. Rainforest Action Network, Banking On Climate Chaos, 2022
  8. Urgewald, Global Oil and Gas Exit List, 2021
  9. Urgewald, Global Coal Exit List, 2021
  10. Société Générale a participé à un prêt général de US$555 millions (revolving credit facility) à Marubeni en février 2022, aux côtés de 12 autres banques.
  11. BloombergNEF, Investment in Renewable Energy Needs to Quadruple by 2030, 2022