C’était un des 2 derniers poids lourds de la finance française sans politique dans le domaine, et pas des moindres : l’Agirc-Arrco, le régime de retraite complémentaire auquel cotisent 25 millions de salariés du secteur privé et aux 68 milliards d’euros de réserves, vient enfin de se doter d’une politique de sortie du secteur du charbon. Celle-ci comprend tous les critères nécessaires à une politique robuste, à commencer par l’exclusion des développeurs de mines/centrales/infrastructures de charbon. L’Agirc-Arrco annonce aussi vouloir se doter d’une politique pétrole et gaz aux alentours de mars 2023, une occasion à ne pas manquer pour passer de la voiture balai au peloton de tête des acteurs financiers en matière climatique.

Points clés de la politique

La nouvelle politique s’applique à la fois à la partie des actifs centralisée au niveau de la fédération (environ un tiers), mais aussi aux 11 institutions de retraite complémentaire (IRC) qui gèrent les autres actifs du régime (environ deux tiers).

L’Agirc-Arrco s’engage à exclure de ses portefeuilles (1) :

  • Les développeurs de mines/centrales/infrastructures charbon depuis le 1er janvier 2023 ;
  • Les entreprises tirant plus de 10% de leur chiffre d’affaires/mix énergétique du charbon d’ici fin 2023 ; seuil abaissé à 5% fin 2024 ;
  • Les entreprises produisant plus de 10Mt de charbon par an ou ayant plus de 5GW de capacité de production d’électricité installée à base de charbon d’ici fin 2023, seuils abaissés dans le temps ;

L’Agirc-Arrco s’engage par ailleurs à sortir totalement du secteur du charbon d’ici 2030, en incitant les entreprises restant en portefeuille “à adopter un plan de fermeture ou de conversion de leurs actifs charbon dans le cadre d’une transition juste”.

Notre analyse

LES POINTS POSITIFS

  • La politique exclut bien les 490 développeurs de charbon répertoriés par la Global Coal Exit List (GCEL), qui prévoient toujours la production supplémentaire de 2500 millions de tonnes de charbon par an et 476 GW de nouvelles capacités de production d’électricité à partir de charbon. Elle couvre également bien les développeurs d’infrastructures qui peuvent être vitales pour l’exploitation de nouveaux gisements (voies ferrées, ports…), souvent omis par de nombreux acteurs financiers ; 
  • La politique exclut également les entreprises actives dans le secteur, à la fois selon un seuil relatif mais également selon un seuil absolu pour couvrir aussi les entreprises dont la part d’activité dans le secteur du charbon est faible, mais qui produisent de grandes quantités de charbon ou d’électricité à partir de charbon en valeur absolue. Le seuil relatif adopté est similaire à celui adopté par le FRR ou l’ERAFP, et plus strict que celui de la GCEL, avec l’engagement de baisser ces différents seuils dans le temps. Les seuils absolus adoptés étant similaires à ceux de la GCEL, le régime de retraite complémentaire prévoit donc d’exclure d’ici la fin de l’année plus d’entreprises du secteur que les 1064 qui y sont répertoriées ; 
  • L’Agirc-Arrco a indiqué à Reclaim Finance qu’elle utilisait la GCEL comme liste principale de référence pour identifier les entreprises du secteur, ce qui est bien car la GCEL, déjà utilisée par des centaines d’acteurs dont AXA, La Banque Postale ou Ostrum AM, est publique, utilise la métrique la plus pertinente et à même de refléter la part de l’activité liée à la production d’électricité à partir de charbon, à savoir la part d’électricité produite dans le mix énergétique total. C’est également la seule liste qui fournit des données sur les plans de développement futurs dans le charbon. Ces éléments permettent aux acteurs financiers de ne pas uniquement prendre des mesures visant à se protéger des risques financiers, mais leur permettant aussi de ne pas contribuer à l’aggravation de la crise climatique ; 
  • La politique couvre pour la première fois les actifs gérés au niveau de la fédération mais elle permettra également d’harmoniser la politique de 9 des 11 IRC qui géraient l’autre partie des actifs du régime et s’étaient déjà dotés d’une politique charbon. 

LES POINTS D’AMELIORATION

  • La politique mentionne bien un cadre général d’engagement actionnarial avec les entreprises du secteur du charbon qui ne seraient pas exclus par les critères de la politique, mais celui-ci pourrait être encore amélioré : 
    • Le dialogue engagé doit être mené afin d’éviter une conversion des actifs charbon au gaz ou à la biomasse qui ne garantissent pas de véritables baisses d’émissions voire pourraient entraîner une hausse sur l’ensemble de la chaîne de valeur ; 
    • Ce dialogue doit par ailleurs être conduit avec des demandes précises et un processus d’escalade clair et détaillé dans le temps, devant culminer avec la suspension de tout nouvel investissement puis le désinvestissement du stock existant en cas d’échec.  

Ce tableau indique les notes de l’Agirc-Arrco basées sur les 5 critères du Coal Policy Tool

Avec cette politique, adoptée trois ans et demi après l’engagement de la place financière de Paris à sortir du charbon, Agirc-Arrco devient le 24ème acteur financier français à adopter une politique robuste, laissant Natixis Investment Managers comme dernier poids lourd tricolore sans politique. Quant à Agirc-Arrco, il lui reste surtout à faire de même dans sa politique pétrole et gaz, annoncée pour mars 2023. Les nouveaux champs et infrastructures pétroliers et gaziers étant tout aussi incompatibles que les nouveaux projets charbon avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C, il lui faudra se doter en priorité de mesures visant un arrêt rapide de tout nouvel investissement dans les entreprises qui développent de tels nouveaux projets pétroliers et gaziers, à l’instar de l’Ircantec ou de la Banque Postale.

Notes :

  1. La politique mentionne l’arrêt de “nouveaux investissements” mais l’Agirc-Arrco a fait savoir à Reclaim Finance que les développeurs de charbon avaient déjà été désinvestis, et que les autres entreprises du secteur le seraient prochainement, “l’objectif étant une extinction très rapide du stock”.

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