RWE, le géant du charbon européen (1), est en train de démolir le village de Lützerath pour l’agrandissement de sa mine de Garzweiler, dans l’ouest de l’Allemagne, piétinant de ce fait les droits humains et le climat. Et pourtant RWE est toujours soutenu par de nombreux grands acteurs financiers, parmi lesquels Société Générale, BNP Paribas, Amundi ou Natixis. On fait le point. 

Le refus de RWE d’adopter une vraie stratégie de sortie du charbon et de renoncer au développement de ses mines a conduit de nombreux acteurs financiers à l’exclure de ses portefeuilles. Parmi eux, AXA qui a d’abord désinvesti de l’entreprise en 2017, avant de l’exclure de ses portefeuilles d’assurance suite à sa politique de 2019.

Qui soutient encore RWE ?

Mais d’autres acteurs financiers continuent de soutenir RWE, y compris de nombreuses banques internationales. Plus d’une vingtaine d’entre elles ont participé à au moins un des deux prêts d’un montant total de 5 milliards d’euros octroyés l’an dernier en mars et avril 2022, parmi lesquelles les banques françaises Société Générale et BNP Paribas (2). Six d’entre elles ont par ailleurs émis de nouvelles obligations de RWE pour un montant de 1,3 milliard de dollars en août 2022.

Du côté des investisseurs qui soutiennent RWE, on retrouve notamment Amundi, la filiale de gestion d’actifs du Crédit Agricole, et Natixis, filiale du groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne, qui figurent parmi les principaux actionnaires de l’entreprise allemande.

A gauche : Les 25 banques ayant financé RWE de janvier à août 2022 – Prêts et émissions d’actions et d’obligations – Source : Profundo

A droite : Les 25 premiers actionnaires de RWE au 20/01/2023 – Source : Bloomberg

Banques Montant (US$M) Investisseur Montant (€M)
Commerbank 849 BlackRock 1786
Société Générale 459 KEB 1342
MUFG 299 Vanguard 1000
NatWest 299 Crédit Agricole / Amundi 918
Intesa Sanpaolo 299 GIC 839
JPMorgan Chase 299 Stadt Essen 777
UniCredit 247 Deutsche Bank 568
BNP Paribas 247 Fidelity Investments 451
Mizuho 247 JPMorgan Chase 318
Deutsche Bank 247 TIAA 299
SMBC 247 Pictet 290
DZ Bank 247 Union Investment 272
Bank of America 247 DekaBank 207
Goldman Sachs 247 Capital Group 187
Morgan Stanley 247 MFS 181
HSBC 247 GPIF 147
RBC 247 Allianz 139
Barclays 247 Fidelity International 126
Citi 247 Causeway 102
LBBW 247 Dimensional 93
Helaba 247 Azimut 86
BayemLB 247 The Hartford 82
BBVA 87 Jennison Associates 79
SEB 87 Natixis 78
Santander 87 State Street 76

Soutenir RWE en 2022 : un contresens historique ?

La liste des financeurs et investisseurs de RWE interpelle puisqu’à l’exception d’une poignée parmi lesquels figurent Vanguard et JPMorgan AM, la majorité d’entre eux ont adopté des politiques visant à restreindre leurs soutiens au charbon et qu’il serait logique d’en attendre l’exclusion d’un géant du secteur tel que RWE.

Mais il n’en est rien. En cause, des politiques notoirement insuffisantes ou truffées d’exceptions :

  • Un périmètre problématique : certaines politiques, comme celles de MUFG et SMBC, ne couvrent que le financement direct de projets, et non le financement général d’entreprises, qui représente la grande majorité des flux financiers au secteur du charbon comme ici pour RWE ;
  • Des seuils inadéquats : malgré l’adoption de nombreuses versions de politiques de plus en plus strictes, les seuils d’exclusion relatifs de nombre d’entre elles restent insuffisants pour exclure RWE qui tire plus de 22% de ses revenus du charbon. C’est notamment le cas de Barclays (30% à partir de 2023), Deutsche Bank (50% sans stratégie de diversification), HSBC (40%), Bank of America (25%, élimination progressive d’ici 2025), JPMorgan Chase (50%) et Morgan Stanley (20% à partir de 2025) ;
  • Des exclusions uniquement pour les nouveaux clients : de nombreuses banques ont adopté des seuils d’exclusion qui devraient exclure RWE, mais ces seuils ne s’appliquent que pour leurs potentiels nouveaux clients, et non pour leurs clients historiques comme RWE. C’est notamment le cas de Commerzbank, Santander et Citi. Mizuho et RBC cumulent même cette faille avec la précédente.
  • Des exceptions sur mesure : de nombreuses politiques comportent des exceptions, comme celle de la banque suédoise SEB, au seuil d’exclusion très strict de 15% de revenus/mix énergétique mais qui exempte les entreprises actives en Allemagne, donc RWE. UniCredit a adopté la même exception pour l’année 2022. Existe aussi le cas de BBVA qui exclut les entreprises qui ont un mix énergétique de plus de 25% issu du charbon quand RWE est à 33%, mais qui exempte les entreprises “avec une stratégie de diversification”. Ou enfin Natwest, au seuil d’exclusion strict de 15% comme SEB, sauf pour les entreprises ayant un plan de transition aligné sur les accords de Paris. Or, il faut le noter, RWE alloue aujourd’hui la majorité de ses dépenses d’investissement aux énergies renouvelables.

Quand le carbone prime sur la transition juste

Mais c’est surtout la présence d’acteurs financiers français qui interrogent. Société Générale et BNP Paribas font partie par exemple de ceux qui ont adopté en 2020 des politiques charbon qui ne visent rien d’autre que l’arrêt de l’expansion du secteur du charbon et le soutien à sa sortie d’ici 2030 en Europe.

L’extension du site de Garzweiler par RWE apparaît de prime abord en contradiction avec l’engagement des deux banques françaises à exclure les entreprises qui développent de nouvelles mines de charbon. Mais en vérité, cette extension ne peut techniquement être considérée comme une expansion de capacité. Il s’agit en effet d’un élargissement physique de la fosse minière actuelle dans une zone qui fait partie du domaine minier depuis le premier agrément en 1987, aucune approbation supplémentaire n’ayant été nécessaire, d’après l’ONG Urgewald (3)

En revanche, avec une production de 52 Mt de charbon en 2020 et 63 Mt en 2021, RWE se situe bien au-delà du seuil absolu d’exclusion de 10 Mt adopté par les deux banques françaises. Mais ici aussi, RWE échappe une fois encore à l’exclusion qui ne s’applique qu’aux filiales du groupe qui détiennent ou opèrent directement les mines de charbon, et non au niveau du groupe lui-même.

Enfin, BNP Paribas et Société Générale demandaient par ailleurs dans leurs politiques charbon adoptées à l’été 2020 l’adoption obligatoire d’un plan de sortie du secteur d’ici 2030 pour les pays de l’OCDE avant la fin d’année 2021, mais les deux banques ont joué la montre et repoussé la date d’application de leur politique à RWE en prétextant attendre les conclusions du gouvernement allemand et ses négociations avec les entreprises allemandes.

Si RWE a bien fini par reconnaître en octobre 2022 la date de sortie du charbon de 2030 décidée par le gouvernement allemand, l’attitude pose question étant donné les pratiques de l’entreprise qui a tout fait pour faire dérailler ce processus en jouant un maximum sur le rapport de force pour obtenir un maximum de compensations de l’Etat allemand. RWE s’est en effet toujours opposé à l’adoption puis à l’accélération d’un plan de sortie du secteur du charbon, pendant des années, en insistant sur le fait qu’il utiliserait ses actifs jusqu’à la fin de leur durée de vie, et qu’il ne sortirait du secteur qu’en 2050. L’entreprise a par ailleurs poursuivi en justice l’Etat néerlandais suite à sa décision de sortir du charbon d’ici 2030. Aujourd’hui, l’entreprise poursuit la même stratégie avec son extension à Lützerath. Or, aucun acteur financier français, pas même Amundi qui figure pourtant en tête de ceux ravis de clamer leur engagement pour une “transition juste”, n’est intervenu pour même condamner les agissements de RWE.

De grands acteurs financiers sont donc ravis aujourd’hui de dire soutenir à la fois la sortie du charbon et le développement d’un géant en devenir dans les renouvelables. Mais leur silence concernant la destruction de Lützerath n’en reste pas moins assourdissant et on est en droit de s’interroger sur leur responsabilité dans cet ultime acte contre les droits humains et la justice climatique. Leur absence de réaction publique quand une entreprise rase inutilement un village à 200 kilomètres de la frontière française suffit à poser le verdict : leurs intérêts financiers priment sur les enjeux de transition juste. 

Notes :

  1. RWE a produit 63 Mt de charbon en 2022 d’après la Global Coal Exit List, ce qui en fait le plus gros producteur au sein de l’Union européenne.
  2. Les deux prêts se répartissent comme suit : un prêt d’un montant total de 3 milliards d’euros en mars 2022, et un autre prêt de 2 milliards d’euros en avril 2022.
  3. Voir l’article de l’Agefi, Le projet minier de RWE met les banques et gérants face à leurs contradictions, Janvier 2022.