Le gouvernement déposera prochainement au Parlement le projet de loi “Industrie verte”, qui vise à décarboner l’industrie et à développer de nouvelles filières destinées à l’économie “verte”. Le volet financement de cette loi prétend mobiliser l’épargne des Français au profit de la transition écologique, sans pour autant proposer de mesures suffisamment ambitieuses susceptibles d’orienter massivement les investissements privés depuis les activités carbonées – en particulier les énergies fossiles – vers les entreprises et les secteurs réellement engagés sur la voie de la transformation écologique. Analyse critique et propositions alternatives par Reclaim Finance.
Le projet de loi “Industrie verte” (1), qui sera présenté en Conseil des Ministres la semaine prochaine, s’inscrit dans une série de mesures que le gouvernement prévoit de faire adopter par voie réglementaire ou à travers la loi de finances 2024. Celles-ci visent un double objectif : verdir l’industrie française d’une part – en particulier les sites de production les plus polluants comme la métallurgie, la pétrochimie et la cimenterie (2), et répondre aux besoins industriels de la transition énergétique d’autre part.
Cette loi est également une traduction nationale de la volonté européenne de prendre part à la course à l’industrialisation “verte”, dans laquelle les Etats-Unis et la Chine ont déjà pris une certaine avance (3), et ce dans un contexte de désindustrialisation chronique de l’économie française (4).
Le volet financement de la loi
Parmi les divers chantiers couverts (5), ce projet de loi contient quatre articles liés au financement qui visent à mobiliser l’investissement privé au profit de la transition écologique, en particulier la part “patiente” des 5 700 milliards d’euros (6) épargnés par les Français (c-à-d l’épargne de long terme en vue de la retraite ou d’achats futurs, qui cherchent moins le rendement ou la liquidité que la sécurité).
La principale nouveauté vient du plan d’épargne “Avenir climat” (Article 11). Réservé aux mineurs, ce nouveau produit de placement sera géré par un établissement public, recevra des abondements de l’Etat (7), et bénéficiera d’avantages fiscaux équivalents à ceux applicables au Livret A. Tout retrait sera gelé jusqu’au passage à la majorité de l’épargnant.
Deux autres dispositions liées à des produits d’épargne existants sont proposées. Le projet de loi revient d’une part sur l’obligation issue de la loi PACTE pour les distributeurs de contrats d’assurance-vie de proposer au moins une unité de compte labélisée verte (Article 10). D’autre part, il vise à orienter les investissements vers les PME, les ETI, l’immobilier et les grands projets d’infrastructures (Article 13) et autorise l’investissement dans les actifs non-cotés à travers l’assurance-vie et le plan épargne retraite (Article 12).
Une mobilisation modeste de l’épargne, sans garantie sur sa bonne allocation
S’il affiche un objectif de “financer l’économie productive et la transition écologique”, le projet de loi n’apporte aucune garantie sur la manière dont les fonds du plan d’épargne “Avenir climat” seront investis (8). Par exemple, pour le secteur énergétique, son périmètre d’investissement ne prévoit pas d’exclure les entreprises qui continuent de développer de nouveaux projets de production et de transport de pétrole et de gaz. A fortiori, aucune garantie quant à la trajectoire de transition des entreprises n’est exigée, comme par exemple la baisse de la production d’hydrocarbures à moyen terme. Contrairement à ce que son nom insinue, le plan d’épargne “Avenir climat” pourrait soutenir des activités qui desservent l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C.
Avec ce plan “Avenir climat”, le gouvernement souhaite également permettre aux mineurs de “constituer un capital pour l’insertion dans la vie active” (9) et de de “familiariser les mineurs avec le fonctionnement des produits d’épargne, voire des marchés financiers, afin de former à terme des investisseurs avertis” (10). Considérant que seule une minorité aisée de la population a la possibilité de se constituer un filet de sécurité en investissant son épargne sur les marchés financiers, ce plan “Avenir climat” pourrait, en plus de continuer d’entretenir les causes premières du dérèglement climatique, contribuer au creusement des inégalités.
L’absence de fléchage significatif et de filtres restrictifs sur les autres produits d’investissement pose des problèmes similaires, y compris concernant les investissements dans les PME et les ETI dont rien ne garantit leur contribution à la transition écologique. Pire, sans garantie sur l’avenir du label ISR (11), la loi revient sur l’unique mesure garantissant le fléchage – minime mais réel – d’une partie des contrats d’assurance-vie vers des activités utiles à la transition (12).
Nos propositions pour mobiliser l’épargne au profit de la transition écologique
Pendant la phase de préparation du projet de loi, Reclaim Finance a transmis au gouvernement une série de propositions pour mobiliser l’épargne au profit de la transition écologique :
- Inciter les épargnants à réduire la part de leurs investissements dans des activités controversées en améliorant la transparence sur l’allocation qui est faite de leurs placements. Pour ce faire, nous proposons d’une part que soit obligatoirement affiché, à côté de chaque produit financier, un indicateur tricolore illustrant l’exposition des produits investissements dans des activités controversées comme les énergies fossiles, la déforestation, le tabac ou encore l’armement (13). D’autre part, seuls les produits d’épargne ayant des règles d’exclusion de certaines activités controversées peuvent offrir des avantages fiscaux et/ou sociaux (14).
- Définir des critères minimums destinés à encadrer la politique d’investissement des différents produits d’épargne qui bénéficient de soutiens publics (livrets réglementés, assurance-vie, épargne salariale (15), plan épargne retraite, futur plan d’épargne “Avenir climat”) et celles des obligations vertes (16). Ces critères doivent permettre de juger de la crédibilité des plans de transition des entreprises qui bénéficieraient de ces fonds (17), et d’autre part d’exclure les entreprises qui développent de nouveaux projets de production et de transport pétroliers et gaziers ou qui ne prévoient pas une baisse de leur production d’hydrocarbures ;
- Créer un taux d’emprunt préférentiel pour les “crédits” alloués dans le cadre du financement de projets contribuant à la transition écologique. (18)
Sans critère permettant un fléchage rigoureux de l’épargne en direction des activités compatibles avec les objectifs de limitation du réchauffement à 1,5 °C, le gouvernement manque sa cible et perd une opportunité précieuse. Non seulement il aurait dû renforcer les mesures encadrant l’assurance-vie – un produit qui pèse près de 2 000 milliards d’euros d’encours (6) et qui bénéficie de plus d’un milliards d’euros d’avantages fiscaux (14), mais il aurait dû également se pencher aussi sur la mise en place de mesures strictes garantissant l’absence d’investissement dans les énergies fossiles à partir des 520 milliards d’euros du Livret A et Livret Développement Durable et Solidaire (LDDS) (19).