Les perles du greenwashing de l’épargne salariale

72% des salariés considèrent comme important le fait d’investir leur épargne salariale sur des supports de placement prenant en compte les enjeux du développement durable (1). Malheureusement, l’analyse des fonds d’épargne salariale proposés aux entreprises par les gestionnaires d’actifs révèle que la majorité de ces fonds est exposée à des entreprises qui œuvrent à l’expansion fossile, pourtant incompatible avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C. Il est parfois difficile de connaître le contenu de ces fonds, c’est pourquoi Reclaim Finance accompagne les salariés qui le souhaitent dans cette analyse et dans la mise en place d’une épargne salariale au service du climat.

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des salariés considèrent comme important le fait d’investir leur épargne salariale sur des supports de placement prenant en compte les enjeux du développement durable.

Mobiliser l’épargne des Français.es pour financer la transition est un objectif annoncé par le gouvernement, et c’est aussi un souhait d’un nombre grandissant de salarié.es. Aux côtés de Mouvement Impact France, du Centre des Jeunes Dirigeants, des Collectifs, de Printemps Écologique et de Pour Un Réveil Écologique, Reclaim Finance a publié en mars dernier un site internet, epargnesalarialepourleclimat.org, afin d’accompagner des salarié.es et dirigeant.es souhaitant mettre en place une épargne salariale au service du climat.

Dans cette perspective, nous avons réalisé le mois dernier une analyse détaillée d’un échantillon de 154 fonds représentatifs du marché de l’épargne salariale en France (2). Parmi les gestionnaires des fonds passés au crible figurent Amundi, Natixis IM, AXA IM, BNP Paribas AM, Crédit Mutuel AM, HSBC AM et d’autres acteurs plus modestes comme Epsens et Ofi AM.

Une épargne qui profite au développement de nouveaux projets fossiles

Part des fonds sur l’ensemble de l’échantillon ayant au moins une exposition fossile en portefeuille

Global

Fonds obligataires

Exposition fossile

Pas d’exposition

Près de 60% des fonds analysés sont exposés à des entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles (3). Si l’on cible uniquement les fonds obligataires, c’est-à-dire, les fonds investissant dans des “prêts à long terme” circulant sur les marchés financiers dits “obligations”, ce pourcentage monte à 80%. Or, ces obligations sont précisément des poches de financement nécessaires aux entreprises afin d’investir dans de nouveaux projets. En investissant dans des développeurs d’énergies fossiles, ces fonds deviennent des outils d’aggravation de la catastrophe écologique et de ses conséquences sur les populations et les écosystèmes.

Nous avons identifié au total 44 entreprises actives dans l’expansion pétrolière et gazière et 2 entreprises actives dans l’expansion du charbon dans les lignes des portefeuilles de ces fonds d’épargne salariale.

  • TotalEnergies arrive en première place (4). C’est également l’entreprise européenne à développer le plus de nouveaux projets de production pétrolière et gazière (5).
  • On y retrouve également fréquemment l’espagnol Repsol, l’italien Eni, le britannique BP et l’anglo-néerlandais Shell. Toutes ces entreprises ont en commun le fait d’avoir aucun plan pour se transformer et contribuer à limiter le réchauffement de 1,5°C (6).
  • Glencore, l’un des plus grands producteurs de charbon au monde, impliqué dans de multiples scandales, allant du blanchiment d’argent, à la corruption présumée et à des violations des droits de l’homme et du travail (7), est l’une des deux entreprises charbonnières identifiées.

Le greenwashing de l’épargne salariale

Ces résultats n’épargnent pas les fonds labelisés ISR (investissement socialement responsables) ou commercialisés sous un nom laissant entendre une démarche engagée et responsable. Voici une sélection des plus belles perles de greenwashing :

3) Le fonds d’épargne salariale d’Amundi AM ‘Amundi ESG Improvers Euro’.

Si l’on en croit sa fiche d’identité, ce fonds a pour objectif de sélectionner les entreprises ayant “les meilleures pratiques environnementales, sociales et de gouvernance” ou bien celles s’inscrivant dans une démarche d’amélioration de leurs pratiques. Dans ce cadre, on s’étonne d’y retrouver TotalEnergies alors que la major est loin d’être en transition.

2) Le fonds d’épargne salariale de Natixis IM labellisé ISR ‘Seeyond Actions Europe’.

De nombreux fonds labellisés Investissement Socialement Responsable (ISR) investissent encore dans des entreprises développant de nouveaux projets pétroliers et gaziers. On retrouve dans les lignes de ce portefeuille l’italien Eni qui investit en moyenne 787 millions de dollars par an dans l’exploration pétro-gazière, ce qui en fait le 17e plus gros investisseur sur ce segment (7).

1) Le fonds d’épargne salariale de BNP Paribas AM labellisé ISR ‘Multipar Actions Euro Bas Carbone’

Pour conclure, on a jeté un oeil au fonds bas carbone de BNP Paribas AM. Sur sa fiche d’identité, il est indiqué que les contraintes environnementales et bas carbone sont partie intégrante des contraintes de construction de portefeuille. Mais là encore, on a découvert que TotalEnergies, Eni et Repsol étaient au rendez-vous.

L’opacité de l’épargne salariale

Lors de cette analyse, nous avons été confrontés à la complexité de la composition des fonds d’épargne salariale. Bien souvent, ces fonds n’investissent pas directement dans des actions ou des obligations mais dans d’autres fonds d’investissement qui investissent eux-mêmes parfois dans d’autres fonds d’investissement. De véritables poupées russes.

Le problème dans ce mode de gestion étant qu’un.e salarié.e peut vite se retrouver dans l’incapacité d’avoir des informations sur les actifs qu’il ou elle détient et se voir contraint de faire confiance à la fiche descriptive des fonds, qui, comme on vient de le voir, est parfois trompeuse.

Le gouvernement aurait pu, dans le cadre du projet de loi sur le partage de la valeur, mettre en place des règles améliorant la transparence au profit des salariés et facilitant la mobilisation de l’épargne salariale au profit de la transition. Mais la majorité a rejeté tous les amendements en ce sens. Il est toutefois possible d’agir au niveau des entreprises en se mobilisant pour flécher les fonds d’épargne salariale vers le financement de la transition énergétique et non le développement des énergies fossiles. Reclaim Finance aide celles et ceux qui le souhaitent à analyser leur plan d’épargne salariale et les accompagne dans le passage à l’action. Si l’initiative vous intéresse, rendez-vous sur le site epargnesalarialepourleclimat.org.

Pour plus de détails à propos de la méthodologie de cette analyse : Méthodologie – Les perles du greenwashing

 Notes :

  1. Sondage AMF 2023

  2. Pour cette étude, Reclaim Finance a sélectionné 538 parts de fonds d’épargne salariale distribués en France. Cette sélection s’est opérée en deux temps : 319 parts de fonds ont été extraites des sites internet des 5 premiers gestionnaires d’épargne salariale en France : Amundi, Natixis IM, BNP Paribas AM, Crédit Mutuel AM, AXA IM (qui comptent pour 85% du marché de l’épargne salariale). Ensuite, cette sélection a été complétée par 219 parts de fonds à partir d’une liste de fonds labellisés, notamment pour étendre notre couverture à d’autres gestionnaires de l’épargne salariale : Epsens, HSBC AM, Ofi AM. Parmi cette sélection, nous sommes parvenus à en analyser 372 parts en nous appuyant sur les données financières publiées par Morningstar et consultées le 14 juin 2023. Il peut exister jusqu’à une dizaine de parts de fonds différentes pour un fonds. Pour éviter un problème de double-comptage, nous avons réalisé cette étude sur les 154 fonds uniques correspondant à ces 372 parts de fonds. Cette analyse a été réalisée à partir des données financières disponibles sur Morningstar, au 14 juin 2023. Les valeurs constituant les portefeuilles de fonds d’investissement étant amenées à évoluer périodiquement, cette analyse permet seulement de photographier la composition de ces fonds à un instant t.
  3. Un fonds est considéré comme ayant une “exposition fossile” dès lors que l’analyse de sa composition révèle la présence d’au moins une entreprise active dans les énergies fossiles. Pour obtenir cette donnée, Reclaim Finance a croisé la composition des 372 fonds d’épargne salariale avec deux listes d’entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles :
    La Global Oil & Gas Exit List 2022 (GOGEL), qui recense 901 entreprises du secteur pétrole et gaz qui opèrent soit dans l’exploration et l’extraction d’hydrocarbures soit dans le développement d’infrastructures (oléoducs et gazoducs ou des terminaux de gaz naturel liquéfié). Cette liste publique est éditée chaque année par l’ONG Urgewald. Elle permet d’identifier les entreprises ayant ayant des plans d’expansion upstream ou midstream,
    La Global Coal Exit List 2022 (GCEL), qui liste 1 000 sociétés mères et plus de 1 800 filiales et coentreprises actives dans le charbon (extraction, production d’électricité, infrastructures et services). Cette liste publique est éditée chaque année par l’ONG allemande Urgewald. Elle permet d’identifier les entreprises ayant planifié la construction de nouvelles mines de charbon, centrales à charbon ou autres infrastructures relatives au charbon.

  4. Par nombre d’occurrence dans 65 fonds sous-jacents analysés. Par fonds sous-jacents, nous entendons les fonds d’investissement dans lesquels les 154 fonds d’épargne salariale investissent.

  5. Source : https://gogel.org/, 1ère entreprise en termes de ressources explorées ou en développement.

  6. Evaluation des stratégies climat des entreprises pétro-gazières

  7. Financial Times – Glencore et NB Mediacoop – Glencore

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2023-08-03T15:08:30+02:00