Climat : Crédit Agricole avance en traînant des pieds

Paris, 14 décembre 2023 – L’annonce du Crédit Agricole ce jour (1) est à l’image des limites de l’accord adopté hier à la Dubaï en conclusion de la COP28 (2) : une transition hors des énergies fossiles vers d’autres énergies qui garde la porte ouverte au financement de l’expansion pétro-gazière. En effet, malgré l’adoption de cibles de décarbonation ambitieuses, la banque française se laisse toujours la liberté de financer de nouveaux projets d’infrastructures fossiles comme les terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL), ainsi que des entreprises qui développent de nouveaux champs ou infrastructures pétrolières et gazières. 

Crédit Agricole réhausse sa cible de baisse absolue des émissions financées liées aux prêts accordés au secteur pétrolier et gazier à – 75 % d’ici 2030 par rapport à 2020, contre – 30 % auparavant (3). Malgré son ambition apparente (4), l’atteinte de cette cible ne garantit pas l’arrêt des soutiens à des entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers (5), à contre-courant des scénarios qui visent une limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C. La preuve par l’exemple : Crédit Agricole a beau avoir dépassé sa cible précédente de 30% grâce à une baisse de 40% depuis 2020, Reclaim Finance a relevé au moins 21 transactions au bénéfice de seulement 12 grandes entreprises pétro-gazières sur la même période (6).

En adoptant une cible ambitieuse de baisse des émissions liées au pétrole et gaz, Crédit Agricole se tient prêt à devoir faire le ménage au sein de son portefeuille de clients en renonçant à financer ceux qui n’opèrent pas une décarbonation rapide de leurs activités. Mais si le signal est bon et bienvenu, la méthode demeure très incomplète, voire mauvaise, pour prétendre être aligné sur un objectif de limitation du réchauffement à 1,5°C. L’urgence climatique requiert d’agir maintenant contre l’expansion pétro-gazière, mais Crédit Agricole risque de fournir de nouveaux services financiers non fléchés aux entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles, allant à l’encontre de ses propres objectifs. Nous ne manquerons pas de traquer l’ensemble des financements au secteur énergétique dans les prochains mois et de dénoncer toute transaction incompatible avec une trajectoire 1,5°C robuste.

Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance

Concernant les mesures d’exclusion strictes, Crédit Agricole annonce l’arrêt des financements de projets de champs gaziers.  À l’instar de la décision de décembre 2022 de ne plus financer de nouveaux champs pétroliers, cette mesure ne devrait avoir aucun impact matériel. En effet, Crédit Agricole ne semble pas avoir accordé de tels financements ces dernières années (7). En revanche, la banque a financé directement des nouveaux terminaux de GNL comme celui de Port Arthur aux Etats-Unis en mars 2023 (8). Et alors qu’elle conseille encore aujourd’hui TotalEnergies pour le développement de Papua LNG en Papouasie-Nouvelle-Guinée (9), aucun engagement n’est pris pour ne plus financer ce type de projets à l’avenir.

Crédit Agricole rate une opportunité de s’aligner a minima sur la politique de Société Générale ou HSBC qui ont mis un terme à leurs financements directs à certains nouveaux terminaux de GNL. Tout nouveau projet de gaz naturel liquéfié entrave nos chances de limiter le réchauffement à 1,5°C, en plus de comporter des risques financiers majeurs puisque 70% des projets déjà en construction ou approuvés pourraient ne pas être rentables d’après l’AIE. En refusant d’acter l’arrêt de ses soutiens à ce type de projet et de renoncer à financer Papua LNG, Crédit Agricole entretient la confusion entre les énergies à abandonner et celles à développer. Qu’on ne s’y trompe pas, le gaz est une énergie fossile et aucun mécanisme de captage des émissions ne saura le rendre compatible avec une trajectoire 1,5°C.

Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance

Crédit Agricole annonce aussi une exclusion des entreprises indépendantes actives dans l’extraction de pétrole et de gaz. Ces entreprises sont responsables de 19% de la production de 2022 et 20% des plans d’expansion (10). Autrement dit, les majors et entreprises intégrées du secteur pétrolier et gazier parmi lesquelles se trouvent des grands clients de Crédit Agricole sont épargnées des mesures annoncées. Crédit Agricole indique vouloir accompagner tous ses clients dans la transition mais entend évaluer chaque transaction au cas par cas à l’aune de leurs engagements dans la transition.

Que de tergiversations inutiles qui font le jeu des pollueurs désireux de ralentir la transition vers les énergies soutenables. TotalEnergies, Eni ou encore Saudi Aramco ne sont pas en transition et rien ne saurait justifier des financements non fléchés en leur direction tant qu’ils n’ont pas renoncé au développement de nouveaux projets fossiles. Crédit Agricole déclare vouloir être un acteur de la transition et des énergies renouvelables. Qu’il s’y consacre pleinement, sans perdre du temps avec les acteurs du passé.

Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance

Crédit Agricole annonce enfin plusieurs cibles concernant le financement des “énergies renouvelables, bas carbone, des technologies propres et de projets d’efficacité énergétique”. Ces engagements sont les bienvenus afin de répondre aux objectifs de triplement des capacités d’énergies renouvelables et de doublement des mesures d’efficacité énergétique d’ici 2030 convenu dans l’accord de Dubaï, mais sont difficilement compréhensibles, notamment concernant leur articulation avec les engagements précédents et le périmètre des énergies et technologies qu’ils recoupent. Reclaim Finance appelle le Crédit Agricole à les clarifier et restreindre ses objectifs de financements aux énergies soutenables en évitant d’y intégrer des fausses solutions comme le CCS.

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Notes :

  1. Voir le communiqué de Crédit Agricole.
  2. Reclaim Finance, Now for the real work to ensure a fossil fuel phaseout, décembre 2023.
  3. La cible de décarbonation porte sur les émissions financées des prêts liés aux activités upstream, midstream and downstream des clients actifs dans le secteur du pétrole et du gaz (scope 1,2 et 3), et est exprimée en valeur absolue, avec comme année de référence 2020.
  4. Le scénario NZE de l’AIE projette une baisse de 25% des émissions de CO2 (scope 1, 2 et 3) liées au pétrole et gaz de 25 % entre 2021 et 2030 (calculated from AIE, Net Zero Roadmap: A Global Pathway to Keep the 1.5°C Goal in Reach. 2023 Update, Table A.4, p.198, Septembre 2023), et une baisse de 75% des émissions de méthane liées aux opérations du secteur (AIE, The Oil and Gas Industry in Net Zero Transitions, p.74). Société Générale s’est quant à elle engagée sur une cible de 70% de réduction des émissions financées liées à ses prêts entre 2019 et 2030 (amenant à 20,5 MtCO2e en 2030). L’objectif visé par Crédit Agricole, de  6 MtCOe en 2030, est ainsi plus ambitieux que celui de Société Générale. La comparaison avec BNP Paribas est plus difficile dans la mesure où celle-ci n’a pas adopté, pour 2030, de cible équivalente portant sur les émissions en absolue sur toute la chaîne de valeur à horizon 2030 mais a adopté des cibles d’exposition au secteur de – 80 % pour le pétrole et – 30 % pour le gaz de 2022 à 2030,(BNP Paribas, Climate report 2022, page 39 Mai 2023). Par ailleurs, contrairement à Société Générale et BNP Paribas, Crédit Agricole n’a pas adopté de cible d’exposition à horizon 2030 mais uniquement à horizon 2025 (- 25 % par rapport à 2020).
  5. Les banques appliquent la méthodologie Partnership for Carbon Accounting Financials (PCAF), qui comptabilise les “émissions financées” selon une formule qui tient compte de la valeur des entreprises sur le marché boursier. Si la valeur d’une entreprise augmente, les émissions financées associées à cette entreprise diminuent, même si ses émissions et le montant de ses prêts bancaires restent inchangés. Les très bonnes performances boursières des entreprises pétrolières et gazières après l’invasion de l’Ukraine ont jusqu’à présent soutenu les baisses très importantes des émissions financées du secteur pétro-gazier dans les portefeuilles des banques.
  6. Source : base de données Bloomberg. Les 12 entrerpises sont : TotalEnergies, Eni, BP, Shell, Repsol, Equinor, Chevron, ExxonMobil, ConocoPillips, Adnoc, Saudi Aramco, Quatar Energy.
  7. Source : base de données IJGlobal.
  8. PFI, Mega LNG projects make it to finish, Mai 2023
  9. Defund Total, Papua LNG.
  10. D’après la Global Oil and Gas Exit List.

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2023-12-14T10:20:54+01:00