Le monde économique, financier et la société civile contre le texte Omnibus

Depuis plus de deux mois, l’actualité politique européenne ne parle que d’elle : la « compétitivité ». Tout argument est désormais bon pour revenir sur des pans entiers de législations qui doivent aider l’Europe à atteindre ses objectifs climatiques tout en protégeant les droits humains et en favorisant la croissance économique à long terme. Alors que les voix en faveur de la dérégulation sont très entendues dès fin 2024, un contre-narratif émerge. Celui-ci est poussé par des ONG, des syndicats, des universitaires, mais également par de nombreux acteurs économiques et financiers. Cet article revient ainsi sur les nombreuses tribunes et lettres ouvertes – collectées dans une note spécifique – qui dénoncent l’entreprise de détricotage des textes européens et se positionnent pour une préservation de ces textes nécessaires.

La défense des lois sur la durabilité

Les directives européennes CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) et CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) sont au cœur de la transformation de l’économie européenne mais font face à des tentatives de démantèlement sous couvert de simplification à travers la proposition « Omnibus » de la Commission européenne.

Les acteurs qui se sont mobilisés pour défendre les directives CSDDD et CSRD rappellent ainsi qu’elles ne sont pas des contraintes bureaucratiques qui seraient inutiles et coûteuses, mais plutôt des outils pour prévoir et transformer l’économie sur le moyen et long terme, et ainsi permettre l’adaptation des acteurs économiques et financiers avec une stratégie net zéro d’ici 2050. C’est grâce à ces lois, et notamment à travers l’adoption de plans de transition qu’elles demandent, que les entreprises anticiperont mieux les changements nécessaires comme les risques liés au réchauffement planétaire. En se mobilisant sur les questions extra-financières, les entreprises peuvent intégrer les enjeux sociaux et environnementaux dans leurs modèles d’affaires et se positionner comme des éléments moteurs en faveur de la transition. Comme le souligne le Mouvement Impact France, sur le reporting extra-financier, « cette directive est un levier clé de compétitivité et de protection pour l’économie européenne, et de résilience pour nos entreprises. » La transparence et la responsabilité promues par ces directives sont des atouts essentiels pour attirer les investissements, fidéliser les clients et motiver les employés.

D’ailleurs, ces réglementations défendues aujourd’hui par de nombreux acteurs permettent aux acteurs financiers de réorienter leurs financements vers la transition et de faire, enfin, la différence entre les acteurs ayant la volonté de transformer de l’économie de ceux pratiquant le greenwashing. Les informations extra-financière ont d’ailleurs expressément été demandées par les acteurs financiers. C’est ce que confirment des investisseurs représentant environ 6,6 milliards d’euros d’actifs sous gestion qui appellent la Commission européenne à « préserver l’intégrité et l’ambition du cadre de la finance durable de l’UE. »

Les craintes d’un grand bon en arrière

Les nombreuses prises de parole sur la loi omnibus partagent une vive inquiétude quant aux ajustements proposés. Les directives sur la finance durable ont été le fruit de compromis laborieux, longs, intégrant des mécanismes de flexibilité et de proportionnalité afin de ne pas imposer de fardeau excessif aux entreprises (1). Revenir sur les textes aujourd’hui serait abandonner ce long travail de compromis réalisés par les législateurs et l’ensemble des parties prenantes (entreprises, ONG, universitaires, etc.) au profit d’une réglementation sans consultation démocratique et décidée sous la pression internationale (2).

Ces directives sont pourtant adaptées aux entreprises qui sont concernées. Ainsi, les TPE/PME ne sont globalement pas couvertes par la CSRD, et celles qui le sont bénéficient de standards de reporting allégés. Il en est de même pour la CSDDD qui n’inclut pas directement que les grandes entreprises et prévoit des dispositions spécifiques pour les PME touchées indirectement. C’est justement en touchant à ces législations récentes que le climat d’incertitude réglementaire viendra heurter les entreprises, favorisant de fait celles qui n’ont pas commencé leur transition par rapport aux acteurs qui ont déjà réalisé des efforts en la matière. Revenir sur ces textes remettrait en cause la crédibilité des directives et des engagements européens sur le climat ou les droits humains, et découragerait les entreprises de s’engager pleinement dans la transition écologique. C’est d’ailleurs ce que souligne le Collège des Directeurs du Développement Durable, il est crucial de « respecter l’intention initiale des co-législateurs et l’agenda plus large du Green Deal. » (3) Dans ce contexte, nombre des acteurs économiques opposent au projet de la Commission européenne des mesures de simplification ciblées – surtout en matière de reporting – qui n’exigent souvent pas la réouverture des textes européens et qui préservent l’ensemble de leurs caractéristiques essentielles.

Les coalitions d’acteurs économiques, financiers, d’ONG et d’universitaires qui ont émergé en soutien aux textes européens et au Green Deal sont un signal fort envoyé aux décideurs politiques : la déréglementation n’est pas une option valable. Le soutien des entreprises insiste sur la notion de durabilité qui est un moteur de compétitivité. Les acteurs financiers soulignent quant à eux l’importance de la transparence et de la responsabilité pour orienter les capitaux vers des activités durables. La voix des universitaires rappelle la nécessité de fonder les politiques sur des données scientifiques solides et met en garde contre « la menace d’un détricotage en Europe » des avancées réglementaires. Les ONG enfin remettent les enjeux climatiques et de droits humains au centre d’un débat centralisé sur l’économie aux dépens des populations et de la planète. Les lois sur la durabilité aujourd’hui attaquées sont la feuille de route de l’Union européenne pour atteindre ses objectifs, la Commission européenne et la France doivent renoncer à leur détricotage et se concentrer sur une application effective.

lire aussi

2025-02-25T17:25:28+01:00