L’art de noyer le poisson : notre réponse à la Caisse des Dépôts

Alors que Reclaim Finance publie ce mardi un rapport soulignant les lacunes des engagements climatiques et l’opacité de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), l’investisseur public a communiqué un droit de réponse, contestant certaines des conclusions de ce rapport. Nous y répondons à notre tour et réitérons notre appel à plus de transparence et à un renforcement de ses engagements climatiques. Décryptage des éléments de réponse de la CDC.

Premier investisseur institutionnel public français, la CDC gérait 323 milliards d’euros à fin décembre 2024, dont la majorité provient des dépôts des épargnants français dans le livret A, le livret de développement durable et solidaire (LDDS) et le livret d’épargne populaire (LEP). Malgré ce statut d’investisseur public et la revendication de pratiques d’investissement responsable, Reclaim Finance montre dans ce nouveau rapport que la CDC manque de transparence sur ses pratiques climatiques et peut continuer d’investir dans des entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles comme TotalEnergies et Shell, aggravant le dérèglement climatique.

Une opacité assumée qui ignore les bonnes pratiques de place et les recommandations de la Cour des Comptes

Alors que Reclaim Finance soulignait le manque de transparence de la CDC sur ses entreprises en portefeuille et ses votes en assemblées générales, l’investisseur public dit « assume[r] son choix de ne pas publier le nom des entreprises dans lesquelles elle investit pour privilégier un dialogue actionnarial constructif avec les entreprises ». Elle met en avant une confidentialité nécessaire pour se prémunir contre les stratégies spéculatives et pour permettre un dialogue de qualité, et cite également des enjeux de souveraineté.

Les meilleures pratiques de place, dont se revendique pourtant la CDC, impliquent de publier le détail des votes pour assurer l’efficacité du dialogue actionnarial. C’est ce que font un grand nombre d’investisseurs, à la fois des acteurs publics comme le fonds souverain norvégien (géré par Norges Bank Investment Management – NBIM), le fonds de pension suédois AP7 et le fonds de pension néerlandais ABP, mais aussi des grands investisseurs privés du monde entier tels que BlackRock, Vanguard ou Amundi. Les investisseurs institutionnels publics mentionnés sont pourtant confrontés à des enjeux similaires à ceux de la CDC, et publient bien la composition de leur portefeuille d’investissements.

Par ailleurs, Reclaim Finance n’est pas le seul à appeler à une plus grande transparence des votes et des investissements de la CDC. La Cour des Comptes recommande également à l’investisseur public de publier annuellement la composition de son portefeuille d’actions et ses votes pour des raisons de redevabilité vis-à-vis des épargnants, d’efficacité du dialogue actionnarial et de crédibilité de son action climatique. La Cour des Comptes dit ainsi l’inverse de la CDC : pour que l’engagement actionnarial soit efficace, les votes doivent être publics.

Des éléments qui ne convainquent toujours pas sur son engagement actionnarial avec les développeurs fossiles

Reclaim Finance souligne dans son rapport la faiblesse du cadre de l’engagement actionnarial mené par la CDC auprès des entreprises développant des nouveaux projets fossiles notamment l’absence de démarche d’escalade systématique, comprenant notamment des votes contre le management, pour sanctionner les entreprises poursuivant l’expansion fossile.

Pour rappel, sur ce sujet également, la Cour des Comptes va dans le sens de Reclaim Finance en affirmant que « [L]es effets concrets [de sa politique d’engagement actionnarial pour le climat] sont difficiles à mesurer […]. Elle parait s’inscrire dans une démarche annuelle et non dans une stratégie de moyen terme avec des objectifs, des échéances et un principe dit d’escalade si les attentes de la CDC ne sont pas satisfaites. »

La CDC ne répond pas sur ces points : elle reprécise certains éléments généraux déjà mentionnés par le rapport de Reclaim Finance, comme les demandes adressées aux entreprises et l’existence d’une politique de vote, sans justifier pourquoi elle n’adopte pas une démarche d’escalade systématique en cas de non-progrès avec une entreprise et des mesures de vote contre le management pour sanctionner les entreprises poursuivant l’expansion fossile.

Si la CDC rappelle qu’elle publie des statistiques de votes consolidées sur les résolutions externes et les résolutions climatiques proposées par le management (Say on Climate), ces chiffres ne permettent pas de juger de l’efficacité de sa démarche d’engagement actionnarial car ils ne rendent pas compte de l’ensemble des pratiques de vote de la CDC, en n’incluant pas d’informations sur les résolutions proposées par le management, pourtant plus stratégiques [1]. Par ailleurs, les statistiques publiées sur les résolutions externes sont générales et non sectorielles, et il n’est donc pas possible d’avoir des informations détaillées sur les développeurs fossiles. Et si les statistiques publiées pour les Say on Climate sont bien sectorielles, il faut souligner que ces résolutions sont particulièrement rares, et la plupart du temps seulement consultatives, et ne sauraient donc constituer un levier d’action suffisant dans une démarche d’engagement actionnarial globale.

Une confusion sur les recommandations et analyses de Reclaim Finance

A plusieurs reprises, la CDC justifie son choix de ne pas exclure les entreprises aux pratiques climatiques insuffisantes, préférant les encourager dans le cadre d’un dialogue actionnarial à s’améliorer. Il y a ici une confusion sur les recommandations de Reclaim Finance : nous demandons à l’investisseur public de cesser les nouveaux investissements dans les entreprises développant de nouveaux projets fossiles, et, en cas de maintien des titres déjà en portefeuille, de se doter d’une stratégie d’engagement actionnarial plus robuste (nécessitant notamment des votes contre le management) pour s’opposer clairement et fortement aux stratégies climatiques inadéquates des entreprises restant en portefeuille.

Concernant les gestionnaires d’actifs externes de la CDC, la CDC précise que les actifs délégués sont des actifs immobiliers. Les demandes de Reclaim Finance sont bien applicables car les gestionnaires en charge des actifs immobiliers de la CDC peuvent également gérer des portefeuilles d’autres classes d’actifs, pour le compte de la CDC ou non. Nous appelons la CDC à se doter de critères climatiques robustes alignés sur la science climatique pour sélectionner ces gestionnaires, en considérant leurs pratiques globales et l’ensemble de leurs actifs sous gestion.

Par ailleurs, la CDC affirme que Reclaim Finance a oublié de rappeler plusieurs engagements pris par la CDC concernant les entreprises pétrolières et gazières, en listant les mesures en question. Ces engagements sont pourtant bien mentionnés aux pages 26 et 27 de notre rapport, et accompagnés d’une présentation des limites de chacun d’entre eux. Par exemple, la CDC plafonne son exposition aux entreprises développant de nouveaux projets d’exploration et de production de pétrole : cet engagement, qui ne couvre pas le gaz, n’empêche pas l’investisseur public de réaliser de nouveaux investissements dans ces entreprises, tant qu’il reste sous un seuil maximal d’exposition. Or, ces nouveaux investissements, en particulier s’ils sont réalisés lors d’émissions d’obligations, peuvent permettre à ces entreprises de réaliser des projets incompatibles avec une trajectoire 1,5°C crédible. Autre exemple : pour chaque entité du Groupe CDC, les entreprises en portefeuille doivent représenter moins de 20% des développements de projets de production d’hydrocarbures en cours dans le monde. A travers cette mesure, la CDC reconnait bien la nécessité de limiter l’expansion fossile, à un seuil fixé arbitrairement à 20% des développements en cours, loin des préconisations scientifiques d’arrêter tout nouveau projet d’expansion fossile.

L’annonce d’un nouveau chiffre non justifié

Enfin, la CDC affirme que le chiffre de Reclaim Finance concernant les 10 milliards d’euros environ investis dans les entreprises actives dans le secteur des énergies fossiles est erroné. Elle ajoute que l’exposition globale de ses portefeuilles d’actifs aux énergies fossiles serait de 5 milliards d’euros. Aucun des chiffres n’apparait directement dans les documents publiés par la CDC.

Bien que la CDC n’apporte pas de précisions quant aux modalités de calcul derrière le montant de 5 milliards d’euros, il est possible de penser que celui-ci résulte d’une des deux méthodes de comptabilisation utilisée par l’investisseur public dans son reporting et qui consiste à pondérer l’exposition de la CDC aux entreprises des énergies fossiles en fonction de la part de leurs revenus issus de ces activités. A l’inverse, le montant estimé par Reclaim Finance (plus précisément, 9,8 milliards d’euros qui a été arrondi à 10) est basé sur l’autre méthode de comptabilisation affichée dans le reporting de la CDC [2]. Cette méthode reporte l’exposition non pas aux énergies fossiles mais aux entreprises opérantes dans les énergies fossiles, considérant ainsi 100% de l’activité de ces entreprises et non la part estimée exposée aux activités fossiles de ces entreprises. Les deux méthodologies se valent mais ne cherchent pas à regarder la même chose : alors que la première répond à une logique de gestion du risque financier liés aux énergies fossiles, la deuxième cherche à estimer, à travers l’exposition, la capacité de la CDC à soutenir des entreprises non alignées avec une trajectoire 1,5°C. Les chiffres et la méthodologie utilisés par Reclaim Finance pour son estimation sont donc publiés par la CDC elle-même, et ont été confirmés par la CDC lors d’échanges bilatéraux avant la publication du rapport.

Suite à de nouveaux échanges avec la CDC, le montant mis en avant par Reclaim Finance a été revu à la baisse à 9,2 milliards d’euros détenus dans des entreprises actives dans le secteur des énergies fossiles, dont 1,1 milliards d’euros d’obligations vertes. Ce chiffre est publié directement par la CDC dans son rapport d’investissement responsable et repose sur la même méthodologie de comptabilisation que celle utilisée par Reclaim Finance précédemment.

Notes :

  1. Voir à ce sujet les travaux académiques de la chercheuse Ellen Quigley de l’université de Cambridge, notamment : Evidence-based climate impact: A financial product framework, Ellen Quigley, novembre 2023 
  2. Nous nous sommes fondés sur les données tirées du rapport d’investissement responsable 2023 : l’exposition de 3,40% des portefeuilles de gestion d’actifs aux entreprises actives dans les énergies fossiles (en comptabilisant les entreprises à 100% de leur activité, à fin décembre 2023) et les encours totaux gérés par le département de gestion d’actifs de la CDC (au 31 décembre 2023, 288 milliards d’euros d’investissements). Nous obtenons   une estimation de 9,8 milliards d’euros exposés aux entreprises actives dans l’ensemble de la chaine de valeur des énergies fossiles. Voir la page 75 du Rapport d’Investissement Responsable 2023 de la CDC. 

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2025-04-18T10:59:22+02:00