OBLIGATIONS VERTES : ATTENTION ARNAQUE ?

Dans le contexte de la crise climatique, certains considèrent les instruments du marché de la dette durable – obligations vertes, obligations durables, « sustainability-linked bonds, obligations de transition – comme une porte de sortie « verte ».

Parmi tous ces labels du marché de la dette durable, le plus courant et le plus consolidé est celui des obligations vertes. Les obligations vertes sont des titres de dette, émis par des entreprises ou des entités publiques, visant à financer des projets dits « verts » et qui paraissent incarner le produit « éco-responsable » par excellence.

Cependant, souffrant d’un encadrement encore très faible, les obligations vertes couvrent une multitude de réalités, notamment le financement de projets non écologiques et l’émission d’obligations par des entreprises polluantes. En outre, un examen plus approfondi de leurs caractéristiques financières révèle qu’elles ne sont pas différentes des obligations traditionnelles et facilitent de fait le greenwashing. Malgré ces nombreux défauts, les obligations vertes devraient continuer à se développer, alors que la nouvelle génération d’obligations durables reproduit déjà les mêmes erreurs.

Pour que les obligations vertes et durables soient de véritables outils de décarbonisation, il faut s’assurer que les entreprises qui les émettent s’engagent à respecter une trajectoire de 1,5°C et ne sont pas actives dans les secteurs les plus polluants.

En ce qui concerne les obligations destinées à financer la transition climatique des entreprises – « sustainability-linked bonds et obligations de transition – elles devraient être fondées sur les engagements de l’émetteur. Seules les entreprises ayant adopté des objectifs détaillés dans le temps de “décarbonation” absolue de l’ensemble de leurs activités et visant un alignement sur une trajectoire de 1,5°C, doivent pouvoir en bénéficier. Plus spécifiquement, pour les entreprises du secteur des énergies fossiles, des objectifs crédibles doivent aller de pair avec un engagement à arrêter immédiatement l’exploration d’hydrocarbures et les nouveaux projets pétroliers et gaziers.

1 000 nuances d’obligations « vertes »

La première obligation verte a été émise par la Banque européenne d’investissement (BEI) en juillet 2007. Il faudra attendre 2013 pour voir émerger une première tentative d’encadrement, avec les « Green Bond Principles ». Cependant, peu précis et non contraignants, ces principes demeurent insuffisants pour éviter les risques de greenwashing et l’utilisation d’obligations auto-étiquetées vertes pour financer des activités polluantes ou sans réelle valeur ajoutée verte. Encore aujourd’hui, il n’existe pas de définition légale d’une obligation “verte”. En effet, sans une définition unique, ces principes restent incapables de garantir la qualité « verte » des obligations, comme l’ont souvent souligné certaines ONG et certains acteurs financiers. 

Le discrédit demeure donc et à raison. Les obligations « vertes » ont permis de financer des projets controversés, comme les grands barrages d’Engie (alors GDF Suez), ou massivement polluants, comme des projets charbon en Chine. Le Climate Bond Initiative analyse le degré d’alignement avec une trajectoire de 2°C des obligations dites vertes émises. De janvier à fin mai 2020, il indique que la majorité des obligations d’une valeur de 90,1 milliards de dollars, n’était pas alignée, contre une minorité alignée (66,5 milliards de dollars).

Depuis 2018, l’Union européenne travaille sur des « Green Bond Standards », afin de renforcer l’efficacité, la transparence, la comparabilité et la crédibilité des obligations vertes. Bien que la Commission européenne envisage une possible initiative législative, ces principes, qui suggèrent d’aligner les investissements financés sur la nouvelle taxonomie verte, ne constituent pour l’instant que des recommandations.

Les obligations vertes, un simple outil marketing ? 

En l’absence de prime verte sur le plan financier et économique, l’obligation verte semble donc être un puissant outil de greenwashing.

Les émetteurs peuvent utiliser ces obligations pour cacher leurs activités polluantes tandis que les investisseurs peuvent s’en servir pour justifier la présence de ces entreprises dans leur portefeuille. Les acteurs financiers ne disent d’ailleurs pas autre chose. Les émetteurs ne parlent pas non plus d’avantages financiers pour justifier l’utilisation des obligations vertes. En effet, la Climate Bond Initiative indique que l’émission d’obligations vertes présente l’avantage de « mettre en évidence les actifs/entreprises verts », de raconter une « histoire marketing positive », de « diversifier la base d’investisseurs » et d’offrir la possibilité de « joindre les équipes internes afin de faire la tournée des investisseurs ». 

La crédibilité des obligations vertes ne sera pas assurée sans un processus strict de certification, dépendant à la fois de la qualité du projet et des engagements des émetteurs. Ces obligations devraient être réservées aux émetteurs engagés sur une trajectoire 1,5°C et sans implication dans les secteurs et activités les plus polluants (charbon, énergies fossiles, secteur aérien…).

« Sustainability-linked bonds »  

L’année 2021 a vu le nombre d’obligations liées au développement durable ou « sustainability-linked bons » (SLB) exploser. Après la première émission d’une SLB en 2019, elles n’ont depuis cessé de gagner en notoriété car elles répondent à certaines des principales préoccupations des émetteurs et des acheteurs d’obligations vertes : elles offrent la possibilité aux émetteurs d’avoir une décote sur le coupon et elles sont accessibles aux entreprises qui n’ont pas forcément de projets verts individuels. En effet, contrairement aux obligations vertes, qui sont destinées à financer des projets « verts » spécifiques, les SLB financent l’entité émettrice dans son ensemble. Cela signifie que l’entreprise est libre d’utiliser l’argent comme elle le souhaite, tant qu’elle atteint des objectifs de durabilité prédéfinis, fixés par… elle-même ! 

Cette flexibilité est très appréciée des prêteurs et des emprunteurs, et certains y voient un moyen de contribuer à la décarbonisation des entreprises polluantes. Toutefois, cette flexibilité est en fait une arme à double tranchant. Ce ne sont pas seulement les objectifs de durabilité et les indicateurs permettant de les mesurer qui doivent être ambitieux et significatifs pour les activités de l’émetteur, c’est toute la stratégie de l’entreprise qui doit être alignée sur les recommandations scientifiques pour atteindre l’objectif de 1,5°C. Plusieurs émissions récentes démontrent que même des entreprises hautement destructives peuvent étiqueter leurs obligations comme étant « liées au développement durable » tout en ne s’engageant qu’à faire des efforts marginaux pour améliorer leurs propres performances ou celles de leurs pairs. C’est le cas de TotalEnergies, Enbridge, Albioma, JBS et l’Aéroport de Rome. 

Loin de soutenir la transformation des secteurs polluants, les SLB risquent fort d’être utilisées comme un autre instrument de greenwashing. Il appartient aux banques et aux investisseurs de procéder à une évaluation complète des entreprises qu’ils entendent soutenir. Comme l’ont montré plusieurs exemples récents, les avis des tiers (Second Party Opinions – SPO) ne sont en aucun cas suffisants pour valider les références de développement durable d’une émission et les risques pour la réputation des institutions financières concernées.

Obligations de transition

Autre outil financier apparu ces dernières années : les « obligations de transition ». Selon AXA, l’un de ses principaux promoteurs, l’objectif est de financer des projets de « transition » d’entreprises qui sont « brunes aujourd’hui » et « ne peuvent pas émettre d’obligations vertes par manque de projets verts » mais qui ont « l’ambition de passer au vert à l’avenir ». 

Ces obligations n’ont pas été reprises par le marché, principalement parce qu’il y a beaucoup de confusion sur ce qui pourrait être qualifié de projet de « transition ». En outre, il s’agit d’un produit très risqué, car les émetteurs ne sont pas tenus de prouver leur engagement en faveur d’une transition écologique et la valeur ajoutée des projets financés est particulièrement difficile à évaluer dans un contexte d’évolution technologique rapide. Ainsi, la première émission d’obligations de transition, portée par AXA et Crédit Agricole, annoncée fin 2019, comprenait des projets gaziers en Asie. En effet, les obligations de transition ont été largement utilisées pour financer des projets gaziers, en s’appuyant sur le vieil argument selon lequel le gaz est un « combustible de transition ». Cet argument ne pourrait être plus faux. Le gaz peut émettre autant de gaz à effet de serre (GES) que le charbon et est récemment devenu le plus grand émetteur de GES dans le secteur de l’électricité de l’UE. De plus, la production mondiale de gaz doit être réduite de manière drastique pour pouvoir limiter le réchauffement climatique à 1,5°C et les infrastructures et usines européennes sont déjà surdimensionnées pour respecter cet objectif. Les scientifiques soulignent ainsi l’urgence qu’il y a à réduire les émissions de méthane si le monde veut atteindre ses objectifs climatiques. 

Les obligations de transition ne semblent donc qu’ajouter de la confusion. Il est difficile de prouver que les projets financés seront réellement alignés sur les objectifs de l’accord de Paris, et elles ne tiennent pas compte de la stratégie climatique globale des émetteurs. Les obligations de transition ne semblent donc qu’ajouter de la confusion. Il est difficile de prouver que les projets financés seront réellement alignés sur les objectifs de l’accord de Paris, et elles ne tiennent pas compte de la stratégie climatique globale des émetteurs.

Du greenwashing déguisé ? 

 

Pour être crédible et contribuer réellement aux objectifs climatiques mondiaux, tout instrument du marché de la dette durable provenant d’un secteur à forte intensité de carbone doit donc être réservé aux entreprises qui ont adopté des objectifs de réduction absolue des émissions à court, moyen et long terme, alignés sur une trajectoire de 1,5°C.