En pleine COP27 et alors que le secteur financier refuse toujours d’acter la fin des soutiens à l’expansion pétro-gazière, Urgewald publie avec 50 autres ONG dont Reclaim Finance la mise à jour de la Global Oil & Gas Exit List (GOGEL), la base de données de référence sur les entreprises de l’extraction et du transport d’hydrocarbures conventionnels ou non conventionnels. Sur les 901 entreprises recensées, 655 développent encore de nouveaux projets de production de pétrole et de gaz et 289 développent de nouvelles infrastructures de transport, des plans d’expansion pourtant incompatibles avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C. Il est urgent que les acteurs financiers s’emparent de cet outil public pour engager et exclure ces développeurs de bombes climatiques.

L’industrie pétro-gazière : développer pour mieux régner

Nous sommes sur une autoroute vers l’enfer climatique, avec le pied toujours sur l’accélérateur”, alertait le secrétaire général de l’ONU à l’ouverture de la COP 27. Un constat largement appuyé par la GOGEL qui révèle que les plans d’expansion à court-terme développés par 655 entreprises (96% des 685 entreprises du segment upstream) ont augmenté de 20% depuis 2021. Alors que les réserves déjà en exploitation brûlent plus de gaz à effet de serre que ce qui est permis dans notre budget carbone, les entreprises ont injecté plus de $US 160 milliards dans l’exploration de pétrole et de gaz depuis 2020 – de quoi doubler la capacité installée du parc terrestre éolien américain si les investissements avaient été dirigés vers les énergies renouvelables.

Extraire ces ressources nous éloigne toujours plus de l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C, comme l’a rappelé l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans le World Energy Outlook 2022 qui stipule qu’aucun nouveau champ pétrolier et gazier n’est possible dans un scénario +1,5°C. La GOGEL permet pour la première fois d’évaluer si les activités d’une entreprise pétro-gazière sont conformes au scénario Net Zero de l’AIE en analysant ses plans d’expansion et en déterminant la part des ressources qui dépassent le scénario Net Zero. Le constat est accablant : 51,6% des plans d’expansion à court terme des entreprises de l’industrie pétro-gazière ne sont pas conformes au scénario Net Zero de l’AIE (1). Les majors comme ExxonMobil, TotalEnergies et Chevron font partie des mauvais élèves.

Construire de nouvelles infrastructures : un pari contre l’avenir

L’industrie du pétrole et du gaz ne planifie pas uniquement une expansion de la production à court terme : la construction massive de nouvelles infrastructures liées au transport (2) d’énergies fossiles nous enferme dans un monde dépendant du pétrole et du gaz sur le long terme. Les entreprises du secteur midstream prévoient notamment de construire de nouveaux oléoducs et gazoducs néfastes pour le climat mais également pour la biodiversité et les populations concernées. Parmi les plus controversés, le développement d’EACOP de TotalEnergies, un pipeline chauffé de 1 400 km de long, produirait chaque année plus de 34 millions de tonnes de CO2, détruirait la biodiversité de ces régions et déplacerait plus de 100 000 personnes. Plus de 43 700 kilomètres d’oléoducs et gazoducs sont en cours de construction par les 6 plus gros développeurs de pipelines, de quoi encercler la Terre au niveau de l’Équateur.

Les récentes crises géopolitique et énergétique mettent également l’accent sur le développement des nouveaux terminaux d’importation et d’exportation de Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Alors que de nouvelles infrastructures de transport et d’import de gaz ne sauraient être une solution à la crise énergétique que traverse actuellement l’Europe (3), cette région concentre près de 20% des terminaux GNL d’importation en développement. Au total, les plans de développement de terminaux GNL augmenteront la capacité totale annuelle de 1391,5 millions de tonnes.

La GOGEL, l’outil pour enfin rendre crédible les engagements Net-Zero des institutions financières

A ce jour, l’Oil & Gas Policy Tracker a recensé 41 institutions financières françaises ayant adopté les premiers éléments d’une politique sectorielle sur l’industrie du pétrole et du gaz,. Si la plupart des acteurs financiers français se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, ils sont encore trop peu nombreux à traduire leurs engagements par des politiques sectorielles robustes. La Banque Postale et certains investisseurs français commencent à exclure les développeurs de pétrole et de gaz, en se basant sur la GOGEL (4) pour les identifier, mais la majorité des acteurs financiers français continue de financer directement ou indirectement l’expansion pétro-gazière (5).

La GOGEL est un puissant outil à disposition de tous les acteurs financiers qui veulent enfin joindre le geste à la parole en matière climatique. Si seulement 10 acteurs financiers français se réfèrent explicitement à la GOGEL, Reclaim Finance appelle toute la Place à s’en emparer de toute urgence pour identifier, engager et exclure les entreprises de l’industrie du pétrole et du gaz, en commençant par les développeurs de nouveaux projets d’exploration, d’extraction et d’infrastructures de transport.

Notes :

  1. Ce dépassement comprend tous les actifs non productifs qui ont été approuvés après le 31 décembre 2021 ou qui sont actuellement en cours d’approbation (évaluation du champ). Parmi les 655 développeurs de nouveaux champs pétroliers et gaziers, seules 58 entreprises, qui ne représentent que 7,2% des plans d’expansion totaux à court terme, n’ont aucun plan d’expansion considéré comme “en dépassement”. Il est également important de noter que le scénario Net-Zero de l’AIE a été établi dans l’objectif de contenir le réchauffement à 1,5°C à horizon 2100, avec une probabilité de 50%. Ce scénario optimiste repose en partie sur des hypothèses très optimistes (croissance rapide de l’utilisation des solutions de captage et de stockage du carbone et diminution radicale de l’intensité en GES de la production de gaz naturel). Les exigences de l’AIE en matière de scénario Net-Zero doivent donc être considérées comme la norme minimale.
  2. La GOGEL recense 289 entreprises qui prévoient de construire de nouveaux oléoducs, gazoducs, terminaux d’exportation ou d’importation de GNL.
  3. Les projets actuellement à l’étude pour de nouveaux terminaux de regazéification européens ne permettront pas de répondre à l’urgence à laquelle l’Europe est confrontée à court-terme. Une étude récente de Global Energy Monitor montre que les terminaux de liquéfaction de GNL aux États-Unis ont généralement nécessité trois à cinq ans de construction, ce qui exclut les nouveaux terminaux comme solution aux problèmes énergétiques à court terme. De la même façon en Europe, l’analyse des données disponibles sur les terminaux GNL terrestres de regazéification les plus récents montre qu’il s’est écoulé en moyenne plus de cinq ans entre le moment de la proposition et celui de l’exploitation.
  4. La Banque Postale, Abeille Assurances, CNP Assurances, MACIF, MAIF, Groupama, Ircantec, SCOR, Anaxis, Groupama AM et OFI AM excluent dès 2022 certaines entreprises en raison de leur stratégie d’expansion.
  5. A moyen-terme, Ircantec (dès 2024), Abeille Assurances et MACIF (dès 2025) et OFI AM (dès 2030) prévoient un renforcement de leur politique et l’exclusion de tous les développeurs. LFDE et La Française AM prévoient d’exclure d’ici 2025 certaines entreprises en raison de leur stratégie d’expansion. MACSF, Ostrum AM, LBPAM prévoient d’engager puis d’exclure d’ici 2030 certaines entreprises en raison de leur stratégie d’expansion. Crédit Mutuel Alliance Fédérale engage les développeurs, mais sans engagement à les exclure. Les autres acteurs financiers français n’ont pris aucun engagement vis-à-vis des développeurs de nouveaux projets pétrole et gaz.

Pour aller plus loin :